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Pen15 : une comédie ado pas comme les autres sur les joies de l’âge ingrat

Pen15 : une comédie ado pas comme les autres sur les joies de l’âge ingrat

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©Hulu

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Par Marion Olité

Publié le

Un peu comme si My So-Called Life rencontrait Freaks and Geeks.

Popularisés dans les années 1990 dans le sillage de Beverly Hills, les teen shows ont exploré de multiples formes ces trente dernières années, devenant parfois des divertissements pop (Riverdale, Pretty Little Liars, Vampire Diaries…) n’ayant plus grand-chose à voir avec l’essence du genre. Devenu un enjeu financier majeur – Netflix en produit à la pelle depuis le succès de 13 Reasons Why –, le genre s’est un peu perdu, au point qu’on en oublierait presque ce qui fait tout son charme : retranscrire cette expérience si bouleversante du passage à l’âge adulte. Ses premiers coups de cœur amicaux et sentimentaux, la découverte de la sexualité, les premières désillusions… La fragilité et la sincérité de l’état adolescent ont été captées dans diverses séries cultes, et les changements sociétaux font que chaque génération a son chef-d’œuvre en la matière. Récemment, c’est Euphoria et ses (grands) ados paumés, addict aux drogues et au porno, qui a marqué les esprits.

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Alors, dans la grande foire des teen shows, que peut apporter une énième série sur ce thème ? Beaucoup de choses, répondent Maya Erskine et Anna Konkle, les créatrices de Pen15, qui ont décidé de revivre leurs années coup de cœur en fiction. Et contrairement à la plupart des séries du genre, elles ont choisi de mettre en scène leurs propres personnages (qu’elles incarnent) à l’âge de 13 ans, et non pas 16 ou 17 ans comme les protagonistes d’Euphoria, qui peut ainsi se permettre de montrer des scènes de sexe explicites. Exit le lycée vu et revu, bienvenue dans la jungle du collège et ce moment charnière – parfois qualifié de préadolescence – où l’enfant va devenir un ado, puis un adulte. Maya Ishii-Peters et Anna Kone sont deux meilleures amies fusionnelles comme on peut l’être à 13 ans. La première saison suit leur année de 5e, et toutes les premières fois qui vont avec.

Difficile de retranscrire l’atmosphère de Pen15 tant l’objet est singulier : d’abord, Maya Erskine et Anna Konkle – 33 ans chacune – ont choisi d’incarner leurs versions scolaires fictives. Elles peuvent ainsi proposer des nuances de jeu – qui sont autant de clins aux adultes regardant la série – et des scènes aussi géniales que gênantes (masturbation, premières règles, crises de larmes, etc.) qu’il aurait été extrêmement compliqué de faire jouer à de véritables enfants de 13 ans. C’est d’ailleurs aussi l’une des raisons pour lesquelles les séries ados font souvent appel à des interprètes plus âgés que leur alter ego de fiction. Il faut donc accepter de signer avec elles ce qu’on appelle une “suspension d’incrédulité” et se laisser porter par l’univers.

On peut alors apprécier toute la subtilité d’une série qui se place quelque part entre My So-Called Life (Angela, 15 ans) pour la justesse des sentiments et l’expérience adolescente d’un point de vue féminin et Freaks and Geeks pour la créativité des scènes et un humour décapant et irrévérencieux. Avez-vous déjà vu dans une série une jeune fille de 13 ans imiter les pets de Jim Carrey dans Ace Ventura ? Les références de pop culture – le sulfureux Sexcrimes, les choré des Spice Girls, les poupées Magic Troll, le vieux bruit de la connexion Internet au Modem et les premiers chats en ligne, les “what’s uuup” – sentent bon la délicieuse madeleine de Proust édition 1990-2000 pour les trentenaires, qui plongeront la tête la première dans une machine à remonter le temps.

À travers des épisodes inventifs et des scènes hilarantes (c’est un peu sale la puberté, et Pen15 nous le rappelle avec beaucoup d’humour), Maya Erskine et Anna Konkle nous font revivre tous ces petits moments de découvertes, où la honte se mêle à la curiosité : quand Maya découvre les joies de la masturbation mais est arrêtée dans son élan par une photo de son grand-père, ou qu’elle s’entraîne avec Anna à embrasser en s’en prenant à une tête de lit, les chorés mi-choupi mi-ridicules entre filles et les premières injonctions à la féminité… On rit beaucoup, un peu honteuses pour elles, mais en fait c’est parce qu’elles incarnent avec la bonne dose de cringe et d’émotion l’enfant qu’on a toutes et tous été, et elles sont décidées à ne rien nous cacher ! Pen15 (une blague qui figure le mot “pénis”, les jeunes personnages étant plutôt obsédés par la chose) évoquent aussi des sujets plus complexes, comme le divorce des parents du point de vue de l’enfant ou le racisme auquel se retrouve confrontée Maya. Nippo-Américaine, elle ne met pas encore de mot sur ce comportement qu’elle subit, mais qui la blesse évidemment.

© Hulu

La série possède ce petit truc en plus, ce sens du détail – quand Anna se retrouve à aller chez son père pour la première fois, elle répète les mots que sa mère lui a dits au sujet de leur séparation – qui rend ces deux gamines si crédibles, quand bien même elles s’incarnent dans la peau de deux actrices trentenaires ! Se dessinent en creux les futures personnalités de nos deux préados agitées : Maya a du mal à quitter l’enfance. En lutte avec des sentiments de jalousie et une colère naissante liée au fait qu’on la traite différemment, elle sociabilise en jouant les clowns de service. Refrénant ses émotions au collège, elle se décharge chez ses parents. Anna elle est un peu plus mature, et aime la compagnie des adultes. Excellente chanteuse, elle s’intègre plus facilement aux groupes populaires, mais est plus sensible à la pression sociale.

Le plus beau dans Pen15, c’est cette amitié qui nous rappelle tout ce que l’enfance a de magique, quelque chose de pur et ludique, qui se perd souvent dans le processus du passage à l’âge adulte. La danse finale réconciliant les deux copines, brouillées le temps de deux épisodes, illustre à merveille le propos de la série. Alors qu’il s’agit de leur bal d’hiver et que les flirts sont à l’ordre du jour, la réconciliation prend la forme d’une danse pastiche d’une comédie romantique à la Dirty Dancing, comme si le monde n’existait pas, juste leur amitié. Comme elles, on n’a qu’une envie, celle de figer le temps, pour que rien ne change. Or, on l’apprend justement à cet âge-là : tout change, malgré nous.

En France, la saison 1 de Pen15, composée de dix épisodes, est diffusée sur Canal +. La série a été renouvelée par Hulu pour une saison 2, qui comptera 14 épisodes.