Portée par la brillante Sarah Paulson, Ratched rend hommage à la folie d’Hollywood

Portée par la brillante Sarah Paulson, Ratched rend hommage à la folie d’Hollywood

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Par Marion Olité

Publié le

The show must go on !

Il est conseillé d’avoir visionné l’intégralité de la première saison de Ratched avant de lire cette critique, qui contient des spoilers.

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C’est l’événement de cette rentrée sérielle 2020 un peu spéciale, marquée par une pandémie mondiale qui a paralysé (entre autres) l’industrie du divertissement. Quoi de plus opportun alors, en ces temps troublés qui manquent de glamour, de lancer une série qui célèbre la folie et la grandeur d’Hollywood ? C’est ce que nous proposent Netflix et Ryan Murphy avec Ratched, un projet pour le moins unique en son genre, centré sur la genèse du personnage de Mildred Ratched, la “méchante” du classique Vol au-dessus d’un nid de coucou.
 
Réalisée par Milos Forman en 1975, cette adaptation ciné du roman éponyme de Ken Kesey (paru en 1962) avait récolté cinq Oscars, dont ceux du meilleur acteur pour Jack Nicholson et de la meilleure actrice pour Louise Fletcher. Si le personnage de Randle McMurphy, archétype du rebelle macho des années 1970, a mal vieilli, en revisionnant le film en 2020, la fascination pour Mildred Ratched, antagoniste taiseuse et manipulatrice, reste intacte.
 
En grand amoureux d’Hollywood – il a même créé une série sur Netflix portant le nom de l’usine à rêves –, Ryan Murphy a décidé de rendre hommage à cette icône cinématographique en lui imaginant une origin story. Il a confié ce rôle casse-gueule à la pièce maîtresse de sa carrière, Sarah Paulson. L’actrice se glisse sans peine – avec la grâce et la justesse qui caractérisent son jeu – dans les costumes colorés de l’infirmière au code moral très personnel, alors qu’elle pousse en 1947 les portes d’un hôpital psychiatrique de renom, situé dans le nord de la Californie. Elle y découvre les dernières techniques de traitement des patient·e·s atteint·e·s (ou déclarés atteint·e·s) d’une maladie mentale.

American Horror Story : Ratched

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Réalisés par Ryan Murphy, les deux premiers épisodes de Ratched nous plongent dans une atmosphère des plus familières. Esthétique aux couleurs saturées, décorum somptueux, première scène de meurtre sanguinolente… Pas de doute, cette nouvelle série s’inscrit dans la continuité de l’horrifique et stylisée American Horror Story, aussi bien sur la forme que sur le fond. On y retrouve tous les gimmicks du Murphyverse, pour le meilleur et pour le pire : un casting féminin trois étoiles (Sarah Paulson a pour compagnes de jeu les excellentes Judy Davis, Cynthia Nixon et Sharon Stone), des performances over the top, une débauche de scènes gores et dérangeantes, une réalisation ultra-soignée (dont une réhabilitation de ce bon vieux split screen), qui rend ici hommage à des classiques tels que Psychose ou Shining, et un attrait pour toutes les facettes de la monstruosité.
 
Le monstre n’est jamais celle ou celui que l’on croit dans Ratched. Il peut posséder un visage angélique (comme Dolly ou Henry Osgood), tandis que Huck, le jeune infirmier au visage ravagé par la guerre de 1939-1945 est la bienveillance incarnée. Après une présentation terrifiante (il assassine plusieurs prêtres), Edmund, le tueur en attente de son jugement et transféré dans l’hôpital pour statuer sur sa santé mentale, va de son côté révéler des sentiments, des peurs et des motifs insoupçonnés. Plus tard, c’est Charlotte Wells (impressionnante Sophie Okonedo), une patiente noire victime de séquestration par des hommes blancs, qui personnifie toute la problématique de Ratched : on ne naît pas monstre, on le devient. Problème présent dans de nombreuses productions du Murphyverse, en particulier AHS : l’exploration de ce qui fait monstre en nous amène irrémédiablement à une narration confuse et à une débauche de scènes violentes et sensationnalistes.

Lesbian Love Story

Heureusement, il y a Sarah Paulson : dans le rôle-titre, l’actrice se taille la part du lion. Bénéficiant d’une partition plus subtile que ses partenaires de jeu, parfois en roue libre, elle se détache au milieu d’une galerie de personnages fantasques (Sharon Stone incarne avec panache, mais aussi vacuité une diva richissime, parodie des grandes stars hollywoodiennes d’antan) aux identités instables. Son personnage est bien mystérieux et opaque dans les premiers épisodes, avant que l’on ne comprenne ses motivations et traumatismes (une enfance ambiance Les Misérables). Malgré une caractérisation brouillonne (la série semble ne pas vouloir décider de son statut, elle commet des actes qui font d’elle tantôt un monstre, tantôt une héroïne), elle apporte à ce personnage d’infirmière rigide, manipulatrice et control freak une vraie vulnérabilité, absente du film de Milos Forman.
 

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La volonté de braquer les projecteurs sur les minorités et les laissé·e·s-pour-compte de la société dominante, blanche et hétéronormative reste l’une des constantes réjouissantes des productions estampillées Ryan Murphy. Ratched ne fait pas exception, la série mettant en scène plusieurs personnages lesbiens (une exception sur le petit comme le grand écran), plongés dans une époque particulièrement répressive. Si certaines scènes de traitements barbares sont à peine soutenables, elles s’appuient sur une réalité (les lobotomies, bains bouillants, etc., notamment infligés aux femmes internées contre leur gré pour cause d’orientation sexuelle “déviante”) et la série les filme pour les dénoncer. Imaginer que Mildred est lesbienne permet donc de désinvisibiliser les lesbiennes, tout en collant avec la personnalité de la Ratched de 1975, à la rigidité d’une mère supérieure, qui pourrait très bien avoir refoulé sa sexualité.
 
L’une des réussites de la série repose sur la relation entre l’infirmière au code moral très personnel et Gwendolyn Briggs, à tel point que ces deux-là semblent parfois s’envoler loin de ce déchaînement d’excentricités et vivre dans une autre série ! L’alchimie entre Sarah Paulson et Cynthia Nixon, qui écope du personnage le plus lumineux de la série, est évidente. Au contact de la douce et aimante Gwendolyn, Mildred entrevoit une vie en accord avec ses désirs, qui semble apaiser son âme.
 
Il fallait bien un Ryan Murphy pour imaginer un personnage principal lesbien et quarantenaire, dans une série aussi mainstream que celle-ci, diffusée sur Netflix. Ratched est la réponse féminine et féministe de Ryan Murphy à Vol au-dessus d’un nid de coucou, un film centré sur les vicissitudes de ses personnages masculins. Et quelque part, c’est un peu la réponse du monde des séries, celui des récits qui adoptent des points de vue différents, à un cinéma hollywoodien qui se pense universel, parce qu’il privilégie un regard masculin.
 
En choisissant de se pencher sur les histoires de ces infirmières “monstrueuses” qui en ont trop vu et trop subit et dont la boussole morale a perdu le nord, il retourne le cliché de la femme empathique, censée prendre soin des autres, à commencer par les hommes. C’est en voulant protéger son frère à tout prix que Mildred penche du côté du mal. C’est aussi car elle fait preuve d’une empathie exagérée pour les soldats qu’elle les euthanasie. Elle illustre la face sombre du care. À force de trop en demander aux femmes, elles deviennent… folles ou monstrueuses.
 
Ratched est bordélique, l’évolution psychologique de son héroïne n’est pas linéaire et le final promet toujours plus de rebondissements WTF. Une fois que l’on a accepté la nature changeante et over the top de la série, on peut aussi apprécier son grain de folie, sa flamboyance et le talent de Sarah Paulson. Il ne reste plus qu’à attendre la suite – une saison 2 a déjà été commandée par Netflix – des festivités.
 
La saison 1 de Ratched, composée de 8 épisodes, est disponible sur Netflix.