Rose Byrne brille dans Physical, une série tranchante sur le mal-être des femmes

Rose Byrne brille dans Physical, une série tranchante sur le mal-être des femmes

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Par Marion Olité

Publié le

Une pépite à découvrir sur Apple TV+.

“Tu es grosse”, “Tu es moche”, “Tu es vraiment stupide”. Vous la connaissez, cette petite voix intérieure autodestructrice qui accompagne tant de femmes au quotidien. Cette “voix patriarcale” dirons-nous, faite de reproches, d’insultes, d’injonctions à la minceur lus ou entendus sous diverses formes toute notre vie, ne quitte jamais Sheila, l’anti-héroïne incarnée par Rose Byrne dans la brillante Physical. Disponible sur Apple TV+ depuis le 18 juin dernier, cette comédie à l’humour noir met en scène cette femme et mère au foyer désespérée dans le San Diego des années 1980, qui lutte contre ses démons et va trouver une nouvelle raison de vivre dans la découverte de l’aérobic.

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Créée par Annie Weisman, une ancienne plume de Desperate Housewives, Physical va faire grincer davantage de dents que le soap acidulé qui racontait les déboires over the top des femmes mariées de Wisteria Lane. Certaines critiques américaines – comme celle de Variety ou d’AV Club – ne sont pas des plus tendres. C’est que, contrairement à Desperate et son ton léger assumé, Physical se révèle être une expérience de female gaze pas spécialement destinée à mettre son public à l’aise. La voix intérieure de Sheila, féroce, reflète toute sa colère intériorisée envers son mari, Danny (Rory Scovel), et toute la violence avec laquelle elle perçoit son corps et celui de ses proches.

Une voix intérieure comme outil féministe

La série n’a pas inventé la voix off, dispositif présent dans d’innombrables fictions, en particulier celles qui mettent en scène des personnages féminins, comme Grey’s Anatomy ou My So-Called Life. Mais cette voix-là est celle de la colère, de l’oppression, de la haine de soi. Elle ne romantise pas les faits comme Meredith Grey, elle ne tease pas son audience comme Alice dans Desperate Housewives. Elle dévoile les troubles alimentaires dont souffre son héroïne, la charge mentale monstrueuse qu’elle subit en tant que mère et épouse censée être “cool” après la révolution sexuelle des seventies (qui a surtout profité aux époux, comme le montre extrêmement bien la série). Ou encore le “tone policing”, le fait de devoir constamment polir ses propos quand elle s’adresse à son mari pour ne pas le vexer.

Cette voix intérieure violente est précieuse. Elle nous permet de comprendre le monde de Sheila et la façon dont elle suffoque et gère sa boulimie et ses crises de confiance en elles quotidiennes. Voilà à quoi ça ressemble d’être dans la tête d’une femme et mère coincée dans un mariage inégalitaire. Alors ce n’est pas toujours aisé à regarder, mais c’est criant de vérité. Sheila, c’est un peu nos mères des années 1980 (ou certaines d’entre elles en tout cas), à qui on demandait de tout faire (être belle, mince, mère parfaite, gestionnaire, soutien silencieux du mari…) avec le sourire et surtout sans la ramener.

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“Shame, rinse, repeat.” C’est ainsi que Sheila décrit dans la série la maladie mentale dont elle souffre. On a rarement vu un sujet comme la boulimie ou l’anorexie abordé aussi frontalement dans une série, à travers l’expérience d’un personnage concerné. Dans l’épisode 7 de Physical, on apprend que ses troubles alimentaires ont commencé à l’âge de l’adolescence, avec plusieurs anciennes copines. De nombreuses femmes développent effectivement des angoisses liées à la nourriture et au corps à un âge, la puberté, où elles sont confrontées avec une violence folle à des injonctions à la minceur de toutes parts. “It was never about food, it was about control” (“Ce n’est pas une question de nourriture, c’est une question de contrôle”), dit une amie de cette époque à Sheila. Et justement, cette dernière a le sentiment de ne pas contrôler sa vie. Elle va trouver une échappatoire en découvrant, par hasard, le monde de l’aérobic, alors en plein essor.  

L’empowerment par le sport (et ses limites) 

Sur l’estrade, brillant de mille feux dans son body coloré, Sheila vit sa meilleure vie. Son coup de foudre pour l’aérobic, certes en lien avec son besoin maladif de contrôler son corps, qu’elle perçoit comme gros, lui permet de reprendre confiance en elle. Au fil des épisodes, sa voix intérieure si violente s’apaise, et la dissonance entre son comportement et ce qu’elle pense s’amenuise.

Son évolution positive va de pair avec une prise de distance avec son mari énergivore (elle soutient une grosse partie de sa campagne politique, et assume quasiment seule son rôle de parent et de gestionnaire du foyer, la moindre de ses erreurs la clouant au pilori), et une amitié féminine, que l’on devine être sa première du genre, avec une autre femme au foyer, Greta (Dierdre Friel). Cette dernière va la confronter à sa grossophobie, mais aussi lui faire prendre conscience de la façon dont elle s’est isolée du reste du monde en général, et des femmes en particulier. Ce type de maladie isole.

Sa passion pour l’aérobic réveille tout son être : ses envies sexuelles – Sheila est attirée par un opposant politique de son mari – et ses ambitions professionnelles. Son partenariat improbable avec un jeune couple lunaire va également lui ouvrir les yeux sur son sens moral. La trajectoire de Sheila se fait là aussi le reflet des femmes qui trouvent dans le sport un exutoire à leur légitime colère, et tout simplement un moment à elles, et une façon de se connecter à un corps souvent mal-aimé dans une société patriarcale qui ne cesse de le juger. Mais comme le prouve la réaction de Greta, qui rejette les cours collectifs d’aérobic, le sport ne doit pas devenir une nouvelle injonction et ne convient pas à toutes les femmes.

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C’est un peu le paradoxe de la série et l’écueil dans lequel on peut tomber en étant constamment du point de vue de Sheila. Ce personnage, magnifiquement incarné par une Rose Byrne au sommet de sa forme – elle est à la fois rigide de colère intériorisée comme une Bree Van de Kamp, émouvante et attachante quand il faut –, reste une anti-héroïne qui souffre de dysmorphie et de boulimie. Elle regarde le monde, ses proches et elle-même avec une extrême férocité.

Mais Sheila va vers la lumière à la fin de cette première saison qui, on l’espère de tout cœur, ne sera pas la dernière. Physical n’est pas une série facile à regarder. Pour autant, son acuité féministe et sa sincérité en font une oeuvre de pop culture (on se régale aussi de la reconstitution des eighties californiennes, des séquences de “montages” ambiance Rocky Balboa, où Sheila alterne vie quotidienne et séances d’aérobic) radicale.

La première saison de Physical, composée de dix épisodes, est disponible sur Apple TV+, à raison d’un épisode par semaine.