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Sabrina ou les nouvelles aventures réjouissantes de la sorcière post #MeToo

Sabrina ou les nouvelles aventures réjouissantes de la sorcière post #MeToo

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©Netflix

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Par Marion Olité

Publié le

Le reboot de Sabrina a beau placer la sorcière dans une esthétique sixties, elle est le fruit de la génération post #MeToo.

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Cette année, la sorcière, figure par excellence de la lutte contre le patriarcat (on accusait en écrasante majorité des femmes de sorcellerie, parce qu’elles détenaient un savoir inaccessible aux hommes), effectue un come-back tonitruant. De Charmed à Legacies, en passant par Les Nouvelles Aventures de Sabrina et A Discovery of Witches, elle est partout. Il ne faut pas être Einstein pour comprendre d’où vient ce regain de popularité. Le mouvement #MeToo et la nouvelle vague féministe qui s’est ensuivie ont remis au goût du jour ce symbole de l’oppression des femmes, mais aussi d’esprit de rébellion et de connaissance. Les sorcières travaillent avec les énergies, connaissent le pouvoir des plantes, interprètent les cycles lunaires et les saisons. Elles connaissent aussi bien leur corps et leur puissance que celle de la nature qui les entourent.

Loin de l’image kitsch et bébête de la Sabrina Spellman des années 1990, la version 2018 de Roberto Aguirre-Sacasa – qui adapte là ses propres comics, Chilling Adventures of Sabrina – revient aux sources et à l’esprit des sorcières, tout en les inscrivant dans une contemporanéité certaine. On retrouve donc la jeune “Brina” (son petit surnom dans la série) la veille de ses 16 ans. Mi-mortelle, mi-sorcière, orpheline suite à la mort “accidentelle” de ses parents, l’adolescente vit avec ses deux tantes, les excentriques Hilda et Zelda, ainsi que son cousin Ambrose. Jusqu’ici, Sabrina conciliait le monde de la sorcellerie avec celui des mortels. Elle adore ses amies, Rosalind et Susie, et son chéri, Harvey. Mais voilà, pour devenir une vraie sorcière, elle doit en passer par un “Dark Baptism”, comme tous les membres de sa famille avant elle, et se soumettre au Dark Lord, qui n’est nul autre que Satan. En effet, les sorcières de ce coven obéissent à la religion opposée de celle du catholicisme. Au lieu de prier Dieu, elles prient… Satan.

Ce retournement des codes de la religion chrétienne n’est pas sans rappeler l’humour noir de La Famille Adams. À coups d’imageries sataniques, de démons cachés dans le manoir ou encore de fantômes d’enfants, la série instaure un effet “chair de poule” mi-fun mi-effrayant des plus réussis. Elle arrive à point nommé, en cette période d’Halloween, pour nous faire frissonner sous nos draps, une tasse de thé à la main. Si la réalisation abuse de l’utilisation de flous en arrière-plan, elle sert à merveille le propos et les scènes d’un show volontairement intemporel. Comme Riverdale, l’autre série de Roberto Aguirre-Sacasa, qui se passe dans le même univers adapté des comics Archie, Les Nouvelles Aventures de Sabrina partage avec elle une esthétique années 1960 (notamment dans les looks preppy des ados) tout en s’autorisant des références (aux Goonies par exemple) ou l’apparition d’outils high-tech, comme un ordinateur portable, qui placent le show dans une époque contemporaine indéterminée.

Sorcière woke

Mais assez plausible pour qu’en sous-texte, Sabrina évoque des sujets féministes qui résonnent en cette ère post #MeToo. Dès le premier épisode, la métaphore du consentement est évidente : le prêtre Faustus tente par tous les moyens d’obtenir la signature de la jeune sorcière sur le Book of the Beast, ce qui entérinerait sa soumission à Satan. Pressée de toutes parts, notamment par sa propre famille, Sabrina résistera, et dira non. Punie par son coven et par le grand prêtre, elle se bat pendant deux épisodes au tribunal pour faire valoir ses droits et obtenir justice.

Plus explicite encore, cette scène où elle s’allie avec trois sorcières pour donner une leçon à un groupe de garçons populaires qui s’en sont pris à Susie, adolescente qui se pose des questions sur son identité de genre. Après avoir attiré la bande décérébrée dans les mines, les sorcières leur donnent l’illusion qu’ils sont en train de coucher avec elles, alors qu’en réalité, ils sont en train de se toucher entre eux, entre hommes. Drôle et piquant, sachant qu’on est face à une belle brochette d’homophobes (l’un des garçons avait d’ailleurs appelé son pote “pédé” dans la scène précédente).

Un peu plus tard, les mêmes, Prudence, Agatha et Dorcas, harcèlent Sabrina alors que celle-ci vit ses premiers jours à l’Académie des arts invisibles, sorte de Poudlard satanique. L’épisode permet à la fois de dénoncer la misogynie intégrée des femmes qui s’en prennent à d’autres femmes par cruauté ou jalousie, sans réfléchir aux mécanismes qui les poussent à se comporter ainsi, mais aussi les traditions de bizutage d’un autre temps, qui perdurent encore aujourd’hui dans la vraie vie. La série creuse encore davantage le thème des traditions malsaines dans l’épisode “Feast of the Feasts”, où un vieux rite religieux oblige une femme à se sacrifier et à être mangée par son coven. Oui, cette nouvelle Sabrina est assez imprévisible (et c’est pour ça qu’on l’aime) : au moment où on commence à la trouver un peu lisse, voilà qu’elle nous parle de sorcières cannibales !

Comme Buffy contre les vampires à son époque, Les Nouvelles Aventures de Sabrina trouve ce subtil mélange entre un univers fantastique fun à la mythologie riche et un sous-texte féministe des plus intéressants à décortiquer. Elle réussit l’amalgame, a priori casse-gueule, de plusieurs monuments de la pop culture ado. On pense par exemple beaucoup à Harry Potter : comme le jeune sorcier au front marqué d’un éclair, Sabrina est orpheline et une sorte d’élue, dont le nom est lié à une prophétie. Comme Harry, elle peut compter sur ses amis en toutes circonstances et elle va découvrir l’ampleur de son pouvoir dans une école de magie. Et puis, le jeu sobre et tout en retenue de Kiernan Shipka n’est pas sans rappeler celui de Daniel Radcliffe. Ajoutez à cela une touche de ce qui fait le charme de Riverdale (le goût de Roberto Aguirre-Sacasa pour des années 1960 fantasmées) et une belle dose d’inclusivité (si l’héroïne reste une jeune femme blanche un brin coincée, elle est entourée de personnages secondaires aux origines culturelles diversifiées et aux désirs sexuels variés), et vous obtenez la série inratable d’Halloween 2018.

La première saison des Nouvelles aventures de Sabrina, composée de dix épisodes, est disponible sur Netflix.