Sexify, une série polonaise subversive, qui s’intéresse au plaisir féminin

Sexify, une série polonaise subversive, qui s’intéresse au plaisir féminin

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Par Marion Olité

Publié le

Une lointaine cousine de Sex Education a débarqué sur Netflix.

Depuis la dernière vague féministe lancée avec le mouvement #MeToo en 2017, les discussions autour de l’anatomie féminine et le plaisir sexuel se sont multipliées, tandis que les comptes Instagram et les essais célébrant le clitoris, organe ayant pour unique fonction de donner du plaisir (et c’est pour ça qu’on l’adore) aux personnes qui en ont un, affluent. Le sujet est planétaire, et ça, Netflix s’en est bien rendu compte. Après le succès inattendu de la géniale Sex Education de Laurie Nunn, une nouvelle série vient réfléchir à la question de la sexualité, en adoptant un point de vue 100 % féminin et elle nous vient de Pologne. Ceci a son importance.

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Coécrite et coréalisée par Kalina Alabrudzińska et Piotr Domalewski, Sexify raconte sur un ton comique (décidément, il semblerait que parler de sexualité féminine sur le mode de la comédie soit la voie la plus acceptable pour faire passer incognito, ou presque, la portée subversive du message) les tribulations de trois étudiantes. Tout part de Natalia (Aleksandra Skraba), archétype de la geek asociale, hyper forte en cours mais pas franchement en relations humaines, et encore moins amoureuses ou sexuelles. Sur le point de terminer son projet de fin d’études, qui concerne la création d’une appli pour optimiser son temps de sommeil, notre Sheldon Cooper au féminin essuie un sérieux revers qui la laisse perplexe. Son idée n’est pas assez “sexy” selon son tuteur. Elle va droit dans le mur et ne sera pas présentée à la prestigieuse compétition de tech qu’elle convoite depuis des années.

Après réflexion, Natalia se lance dans la création d’une appli dont elle va saisir au fil des épisodes sa portée révolutionnaire : il s’agit d’aider les femmes à atteindre l’orgasme. Elle est aidée dans sa tâche par sa BFF et coloc, Paulina (Maria Sobocińska), en pleine remise en question existentielle alors que son petit ami et sa famille catholique planifient un mariage sur lequel elle a des doutes, ainsi que par une nouvelle venue, Monika (Sandra Drzymalska), leur voisine de chambre universitaire, une gosse de riche en quête d’émancipation paternelle. Les trois actrices, drôles et investies, portent leur personnage à merveille, avec une mention spéciale pour l’espièglerie de Maria Sobocińska.

Les premiers épisodes de Sexify sont en revanche un peu à l’image de leurs héroïnes : lents à la détente ! Il faut bien deux à trois épisodes aux scénaristes pour poser les enjeux et leurs personnages avant qu’ils ne se lancent dans le vif du sujet : à savoir la création de leur appli et cette fameuse quête du plaisir féminin. Le choix d’un montage très dynamique, qui joue sur des collages pop, un thème musical récurrent et une identité sonore très forte (un peu gonflante à la longue, disons que comme les rires enregistrés dans les sitcoms, il faut s’habituer) peut aussi rebuter.

Passés ces premiers bémols, on apprend à découvrir nos trois personnages féminins et à s’y attacher. D’abord présentées comme des stéréotypes sur pattes – la geek, la sainte, la libertine, elles se lancent à corps perdu dans ce projet d’appli pour des raisons pas spécialement féministes et plutôt différentes. Elles vont découvrir en chemin chacune le pouvoir qui réside dans la connaissance de son corps et dans l’expérimentation. Déconnectée de ses désirs et de ses émotions, Natalia commence à flirter avec le bien nommé Adam (Jan Wieteska), non sans un bon paquet de quiproquos. La cynique Monika va de son côté trouver un projet auquel elle tient, se défaire d’une relation toxique et découvrir les bienfaits de l’amitié entre femmes. Tandis que Paulina, probablement celle qui change le plus, réalise que son mariage (auquel elle n’a même pas explicitement consenti, comme le montre la scène du premier épisode, absolument édifiante, dans laquelle sa famille s’esclaffe avant qu’elle ne réponde un franc “oui”) a plus à voir avec la pression sociétale et parentale qu’avec ses propres désirs.

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Alors oui, Sexify n’est pas révolutionnaire. Elle fait d’ailleurs référence elle-même aux travaux sur l’orgasme féminin (pour le coup révolutionnaires) des scientifiques William Masters et Virginia Johnson réalisés dans les années 50 et ayant fait l’objet d’une fabuleuse série, Masters of Sex, au ton bien différent, plus adulte et dramatique. Sexify se présente comme une petite sœur agitée, une version moderne et plus accessible au grand public, de par son ton comique, ses jeunes héroïnes milléniales et sa diffusion planétaire. Elle plonge parfois les deux pieds dans des séquences un peu clichés : la balade dans un sex-shop, la découverte des sex-toys pour Paulina, ou encore l’inévitable exposition 100 % sexe avec gros plan sur des scènes de BDSM pour le décorum. Et puis, malgré le sujet de la série, le plaisir des femmes, on remarque aussi que les symboles phalliques restent omniprésents quand les emblèmes vulvaires se font plus discrets.

En revanche, le show fait passer des messages d’empouvoirement toujours aussi pertinents et qui ne rentrent pas dans la tête de tout le monde. La série évoque ainsi la liberté des femmes à disposer de leur corps dans un pays, la Pologne, où le gouvernement conservateur a restreint le droit à l’avortement des femmes. Sexify affiche aussi son soutien à la communauté LGBTQ+, en proposant des scènes de ballroom, un personnage secondaire gay, l’informaticien Jabba (touchant Sebastian Stankiewicz) loin des stéréotypes. L’une des trois héroïnes, et, comme un pied de nez, la plus portée sur la religion, s’interroge également sur son orientation sexuelle et se découvre une attirance pour les femmes. Là encore, le geste est fort dans un pays clairement hostile aux LGBTQ+, qui a mis en place des “zones libres d’idéologie LGBT” et refuse de reconnaître légalement les couples de personnes du même genre. La série ne manque pas non plus l’occasion de mettre en scène l’impuissance (sans mauvais jeu de mots !) de l’institution religieuse face à Paulina, qui se confie de façon sincère et candide sur ses préoccupations au confessionnal, faisant face à des prêtres tous gênés et inutiles.

L’idée de mélanger sexualité féminine et nouvelles technologies permet également aux scénaristes de pointer du doigt le sexisme ambiant de l’institution universitaire (le doyen refuse de les soutenir dans leur projet d’appli et considère, avec ses vues conservatrices, leurs recherches comme de la pornographie) et de l’univers de la tech, notamment à travers un personnage de geek revanchard et pathétique, Rafal (Kamil Wodka) à deux doigts de virer masculiniste. Peu importent ses jérémiades, quand les femmes ont enfin le droit, elles aussi, de réfléchir à des outils tech, elles font trembler le patriarcat.

La première saison de Sexify, composée de huit épisodes, est disponible sur Netflix