Ethan Hawke brille en cow-boy illuminé dans le western The Good Lord Bird

Ethan Hawke brille en cow-boy illuminé dans le western The Good Lord Bird

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Par Adrien Delage

Publié le

L'acteur américain incarne l'abolitionniste John Brown dans un western aussi drôle que glaçant, hérité des frères Coen.

Hormis quelques apparitions aléatoires (Alias en 2003, Moby Dick en 2011, The Purge en 2019) au cours de sa carrière, Ethan Hawke s’est toujours tenu à l’écart du petit écran. L’acteur caméléon attendait sûrement son heure, un projet qui lui tienne à cœur et à la hauteur de son charisme trop souvent oublié au cinéma, pour franchir le pas. C’est désormais chose faite avec The Good Lord Bird, étrange western crépusculaire adapté du roman éponyme de James McBride, où il incarne une figure de l’abolitionnisme américain au XIXe siècle.

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Ethan Hawke est donc John Brown, un cow-boy de Virginie qui prône la violence et l’insurrection armée pour combattre l’esclavagisme. Bien évidemment, son comportement, jugé comme déviant voire blasphématoire pour l’époque, lui vaut le titre de hors-la-loi, et il se retrouve pourchassé par les confédérés. Pourtant, John Brown se présente comme un messie, le white savior d’une Amérique ouvertement raciste et qui connaîtra dans quelques années une guerre civile meurtrière, la guerre de Sécession. Sans le savoir, il sera l’une des figures pionnières de ce mouvement de révolte antiesclavagiste, avec le fameux raid de Harpers Ferry survenu en 1859.

John Brown, un cow-boy qui vous veut du bien

Ⓒ Showtime

Officiellement, The Good Lord Bird a été reportée plusieurs fois par Showtime à cause de la pandémie mondiale. Officieusement, il est fort probable que les récentes manifestations Black Lives Matter pour les droits des citoyens noirs et afro-américains aux États-Unis ont refroidi la chaîne (qui n’a toutefois pas fait de communiqué dans ce sens). Il faut dire que des spectateurs engagés dans ces causes auraient pu émettre certains a priori vis-à-vis du développement de la mini-série : l’adaptation est supervisée par deux hommes blancs (Ethan Hawke et Mark Richard), alors qu’il s’agit d’une œuvre écrite par un auteur noir, et réanime la figure du white savior, pas franchement progressiste et surtout mise à mal par les bavures policières survenues ces derniers mois.

Toutefois, The Good Lord Bird balaie vite nos inquiétudes avec une écriture respectueuse des thèmes du roman. Si John Brown est le héros, l’histoire est vue à travers les yeux d’Henry, un jeune esclave afro-américain sauvé par l’abolitionniste. De cette manière, le show remet toujours en contexte les actions salvatrices du cow-boy, leader illuminé et souvent glaçant, qui fait preuve d’une autorité quasi tyrannique pour appliquer ses engagements. À l’inverse, la présence d’Henry apporte une touche de poésie et d’émotion, tout en replaçant au centre du récit une victime de l’esclavage.

Ainsi, on découvre avec plaisir et fascination les sept épisodes de The Good Lord Bird, œuvre tragicomique bien équilibrée entre humour irrévérencieux et situations dramatiques haletantes et choquantes. On se prend rapidement d’affection pour Henry, surnommé “Henrietta” par Brown et son armée d’insurgés, qui le prennent pour une fille et l’habillent comme tel. Une situation absurde et comique, souvent employée pour désamorcer la gravité du sujet mais aussi sauver in extremis Henry des batailles sanglantes menées par les abolitionnistes. On sent l’influence des frères Coen dans la série, à travers un récit qui se montre aussi sombre que parfois drôle.

Ⓒ Showtime

Le duo principal, formé par Ethan Hawke et Joshua Caleb Johnson (vu dans Snowfall et Black-ish), reste l’atout majeur de la série. L’acteur vétéran se lâche complètement dans ce personnage foncièrement fou mais doté de bons sentiments, à la croisée du gourou psychopathe et du justicier attendrissant. La douceur et la naïveté d’Henry, à la fois acolyte et victime des éclats de folie de Brown, complète cette dynamique avec une justesse de tous les instants. Le show peut aussi compter sur une mise en scène intimiste et une photographie crépusculaire, qui vient souligner l’urgence de la situation dans un pays divisé.

La justesse de The Good Lord Bird peut se résumer en un dialogue de l’épisode 3, que Henry exprime en ces mots lourds de sens : “Il ne va pas te sauver, il essaie de le faire.” La série ne condamne ou n’élève en héros aucun personnage, et préfère accorder à chacun un traitement sincère et réfléchi : John Brown, l’homme blanc qui a pris conscience de l’esclavage, est dans une quête de rédemption et de compassion, tandis que Henry, l’homme noir victime de la servitude, traduit la souffrance mais aussi la tolérance de la culpabilité humaine. Une série qui plonge avec intelligence ses spectateurs dans l’Amérique raciste d’autrefois et qui, comme Watchmen, Lovecraft Country ou encore Hunters récemment, la confronte avec celle d’aujourd’hui, où les parallèles sont tristement bluffants.

En France, la mini-série The Good Lord Bird est inédite pour le moment.