The Nevers porte la marque de Joss Whedon, pour le meilleur et pour le pire

The Nevers porte la marque de Joss Whedon, pour le meilleur et pour le pire

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Par Marion Olité

Publié le

Un gang de meufs victoriennes vient botter le cul des aristos.

Prononçons tout de suite le nom qui fâche, inévitablement lié à cette nouvelle série : Joss Whedon. Lancée sur HBO ce dimanche 11 avril et sur OCS en France, The Nevers devait signer le grand retour du créateur de Buffy contre les vampires sur le petit écran. En 2018, les plateformes s’arrachaient le projet, et HBO remportait finalement ce qu’elle pensait être à l’époque le gros lot.

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Quatre ans plus tard, Joss Whedon est tombé de son piédestal, accusé d’abus de pouvoir par Ray Fisher sur la production chaotique de Justice League, puis par Charisma Carpenter sur Angel, elle-même soutenue par une grande partie du cast de Buffy. Il y a quelques jours, c’est la Wonder Woman Gal Gadot qui a expliqué avoir subi les foudres d’un Joss Whedon aux tendances tyranniques. Alors que les témoignages d’acteurs et actrices ainsi que de membres de différentes productions où il a œuvré s’accumulent, l’homme reste silencieux. Sa dernière prise de parole publique date de fin 2020, où il avait annoncé se retirer de la production de son dernier bébé, The Nevers, invoquant une très grosse fatigue liée aux conditions de tournage en pleine pandémie mondiale. Un timing bien suspicieux, immédiatement relevé par Ray Fisher. C’est la productrice et scénariste Philippa Goslett qui reprendra les rênes de la suite de The Nevers.

En attendant, les premiers épisodes de la série fantastique sont finalement arrivés à nous. Et ils portent indéniablement la marque de Joss Whedon. En imaginant les aventures d’un groupe de femmes à l’époque victorienne, dotées de super-pouvoirs et de super-ennemis (de vieux gars conservateurs et misogynes qui ne veulent pas lâcher le pouvoir), le showrunner convoque ses obsessions artistiques depuis le début de sa carrière. L’ironie est flagrante : aujourd’hui accusé d’abus de pouvoir, en particulier par des actrices et des personnes racisées, Joss Whedon imagine avec The Nevers un nouveau récit centré sur des personnages féminins combatifs et dotés de pouvoirs magiques, en lutte contre les oppresseurs de leur monde.

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À la tête de cette troupe d’inspiration X-Men (un des comics qui a le plus influencé son travail), Amalia True, incarnée par la géniale Laura Donnelly (Outlander), est une Buffy Summers un peu plus âgée. Super-forte, super-sarcastique et super-dépressive. Elle est secondée par sa meilleure amie, Penance Adair (Ann Skelly), une jeune femme empathique, aux croyances catholiques, doublée d’une inventrice de génie. Si Amalia gère plus ou moins le gang au jour le jour, elle réside dans un gigantesque manoir, baptisé The Orphanage, soutenu financièrement par la riche Lavinia Bidlow. La série repose également sur une poignée de personnages secondaires bien dessinés. Amalia est une leadeuse imparfaite, qui a besoin du collectif pour ne pas sombrer.

Vingt ans après, on constate que la recette Buffy fonctionne encore très bien avec The Nevers, mais qu’elle possède aussi ses limites. La mise en place de cet univers fantastique, à tendance steampunk, au cœur de la société victorienne, est une réussite. On adore le détail apporté aux superbes costumes, aux inventions techniques de Penance, la nerd en cheffe, ou encore cette fantastique voiture que conduit fièrement Amalia. Visuellement, les effets spéciaux pour figurer les différents pouvoirs des “touched” (des femmes en grande majorité, mais il y a aussi quelques hommes) et les scènes de combat bien rythmées sont tout ce qu’on attend d’une production de ce type, en mieux. Un supplément d’âme est apporté par des dialogues, toujours aussi méta et spirituels.

Visiblement, Joss Whedon a aussi jeté un œil à Game of Thrones et Peaky Blinders. Les scènes dans le bordel de la ville, géré par Hugo Swan (James Norton), un personnage masculin pansexuel, font immanquablement écho à celles de la série fantasy avec le personnage d’Oberyn Martell à Port-Réal. À l’occasion, Amalia a affaire à Declan Orrun (incarné par Nick Frost), le chef des gangsters de ce Londres de l’ère victorienne fantasy, qui nous plonge immanquablement dans un univers simili Peaky Blinders, avec son accent incompréhensible et sa loyauté aussi changeante que celle d’un certain Alfie Solomons.

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Si cet univers et les personnages qui s’y débattent séduisent, certains gimmicks whedonesques commencent en revanche sérieusement à dater. Le showrunner reproduit notamment une forme de hiérarchie raciale dans son casting choral, qui développe sur ses quatre premiers épisodes (que nous avons pu voir) de nombreuses trajectoires féminines blanches (Amalia, Penance, mais aussi Maladie, Mary, Desirée…), quand les personnages secondaires – en particulier racisés (Horatio, Harriet, Rochelle…) – possèdent des rôles beaucoup plus minces, aux contours pour le moment très flous. On reprochait déjà cet état de fait à la saison 7 de Buffy. Il semblerait que rien n’ait évolué de ce côté-là. On espère que l’aspect choral de la série saura leur donner une vraie place dans la suite des intrigues, et pas à la fin de la série. Parce qu’on a reçu le message du final de Buffy : le pouvoir se partage. Il serait temps maintenant de le partager vraiment, en mettant autant en avant des personnages autrefois secondaires que ceux habituellement sous le feu des projecteurs.

Mais la série promeut une certaine idée de la féminité telle que son créateur la conçoit. On retrouve ainsi certains protagonistes féminins aux caractéristiques déjà vues, comme “la rousse innocente” incarnée par Felicia Day dans Buffy et Dr. Horrible, qui devient la chanteuse Mary Brighton (Eleanor Tomlinson) dans The Nevers. Ou “la lunatique”, ce personnage féminin mentalement dérangé représenté par Drusilla dans Buffy et Angel ou River Tam dans Firefly. Dans The Nevers, elle devient la bien nommée Maladie (Amy Manson), qui va donner du fil à retordre à Amalia et son gang. Si le travail de Joss Whedon fut un temps révolutionnaire, car il déconstruisait des tropes sexistes de la pop culture à la fin des années 1990, on constate aujourd’hui qu’il a créé les siens propres, et qu’il n’a aucune envie de les remettre en question.

La série a clairement pour but d’empouvoirer ses personnages féminins, mais elle passe vraiment beaucoup de temps à les faire se combattre entre eux, alors que l’ennemi principal est censé être un boys club de politiciens, mené par un vieil aristocrate et ancien soldat, Lord Massen (Pip Torrens). Un twist dans l’épisode 4 rappelle immanquablement un des traits d’écriture assez malsain du scénariste : sa propension à la cruauté, à faire souffrir ses personnages les plus innocents et vulnérables, et souvent ceux et celles qui ont le plus d’empathie, capables de changer véritablement le monde. Comme s’il avait peur de les laisser enfin briller, de donner vraiment du pouvoir à ces personnages invisibilisés, marginaux, discriminés, qui représentent pourtant le cœur du combat d’Amalia.

Joss Whedon a créé avec The Nevers un univers et des personnages que l’on a envie de suivre. Mais s’il était resté à la tête de la série, l’aurait-il vraiment développée de façon novatrice ? Est-il capable d’évoluer dans sa vision des personnages féminins ? La question reste en suspens. L’arrivée de Philippa Goslett au poste de showrunneuse devrait permettre d’apporter une vision un peu plus neuve et contemporaine, et de libérer ses héroïnes de leurs corsets trop ajustés.