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Tiny Pretty Things danse sur les pas de Pretty Little Liars et Black Swan

Tiny Pretty Things danse sur les pas de Pretty Little Liars et Black Swan

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Par Marion Olité

Publié le

Un ballet qui tente de s'élever maladroitement au-dessus des clichés du genre.

Lancée le 14 décembre dernier sur Netflix, la petite dernière Tiny Pretty Things rejoint la liste longue comme le bras des teen dramas de la plateforme. Cette adaptation du roman young adult éponyme de Sona Charaipotra et Dhonielle Clayton publié en 2015 a une particularité : elle se déroule dans le monde impitoyable de la danse classique. L’histoire débute avec l’arrivée de Neveah (Kylie Jefferson) à la Archer School of Ballet de Chicago, dans l’Illinois, appelée à la suite de la mystérieuse chute de quatre étages lors d’une soirée arrosée de l’étoile la plus prometteuse des lieux, Cassie. Entre la vie et la mort, la jeune femme dans le coma se fait la narratrice, en voix off, de la vie et la compétition qui continuent pour ses petits camarades. Oren, Shane, Bette et compagnie reprennent le chemin des cours de danse après cet effroyable “accident” et doivent se battre pour être sélectionné·e·s par le chorégraphe star Ramon Costa. Ce dernier s’est mis en tête de créer un nouveau ballet, autour de Jack l’Éventreur.

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Créée par Michael MacLennan (scénariste sur Queer as Folk, créateur de Bomb Girls), Tiny Pretty Things débarque avec tout un imaginaire cinématographique lié au milieu de la danse classique, de Black Swan à Flesh and Bones. Et la série saute à pieds joints dans tous les tropes du genre : un chorégraphe qui se comporte comme une brute épaisse et sexiste avec ses danseuses (les danseurs restent plutôt épargnés), une compétition exacerbée qui donne lieu à des crêpages de chignon épiques et encore une fois très genrés, des adultes froids et manipulateurs face à des agneaux sacrificiels, prêts à torturer leur corps et risquer leur courte vie pour atteindre la gloire et une illusion de perfection… Au programme donc : anorexie, addiction aux anti-douleurs, gros plan sur les ongles qui se font la malle d’une danseuse en souffrance, abus de pouvoir et liaisons problématiques entre prof et élèves.

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Un ballet de clichés problématiques

Ce qui sauve un peu Tiny Pretty Things, c’est que Michael MacLennan tente justement de danser avec ces clichés. L’héroïne, Neveah, est afro-américaine, peut-être bien une première dans une œuvre sur la danse classique, monde blanc et privilégié par excellence. Elle va sonner la charge contre le chorégraphe abusif, qui maltraite ses danseuses et ne voit pas de problème à créer en 2020, un ballet centré sur Jack l’Éventreur, surfant sur un inconscient misogyne extrêmement ancré avec cette célèbre figure de serial killer de prostituées. Côté sexualité, la série innove également vu le milieu dépeint, proposant un personnage gay et un personnage bisexuel. Elle évoque aussi (là encore trop brièvement) l’islamophobie à travers un personnage français et musulman, Nabil (Michael Hsu Rosen). On ne peut donc pas lui reprocher un manque d’inclusivité.

La série évoque bien des sujets qui rongent le monde des ballets. Mais elle pèche ailleurs, dans son traitement soap trop appuyé et sa narration à la Pretty Little Liars qui l’empêche de traiter correctement de problématiques gravissimes. Chaque personne est suspectée, une par une, de s’en être pris à Cassie, les rebondissements et jugements à l’emporte-pièce sur le ou la potentiel·le coupable s’enchaînent pour tenir le jeune public en haleine et remplir des épisodes inutilement longs (une heure environ). On retiendra du côté des plus ces scènes horrifiques de cauchemars, stylisées, où se matérialisent les pires angoisses de nos jeunes “petits rats”.

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Mais sur le fond, histoire de coller à l’image que l’on se fait de l’univers de la danse classique, où règnent secrets et conservatismes, le show perpétue un discours problématique derrière quelques saillies progressistes (on retiendra cette réplique savoureuse, “il n’y a pas plus fragile que l’ego d’un homme”). Par exemple, Oren ne supporte plus sa liaison avec Shane, donc il le frappe au visage, perpétuant le trope du mec gay brutalisé par l’objet de son affection hétéro ou bi refoulé. Plusieurs scènes de sexe ou de séduction reproduisent des clichés qui font beaucoup de mal à la notion primordiale de consentement : Delia, une étoile diplômée de la Archer School of Ballet, est en couple avec son ancien chorégraphe, Ramon. Dans l’épisode 3, il rentre chez lui et face à son refus clair et initial d’avoir des relations sexuelles, il lui lance : “Tu ne vas pas me laisser comme ça”, avant de lui sauter dessus, elle se “laissant faire” et y prenant apparemment plaisir. Dans une autre scène, il lui demande de danser pour elle, qui s’exécute. Il l’emmène alors vers le lit pour lui glisser à l’oreille un charmant : “Tu as la même odeur que ta sœur”. La sœur en question, Bette, finira par se jeter sur lui dans l’épisode 5 pour tenter d’attirer son attention et de décrocher un vrai solo. On ne doute pas que ce type d’homme toxique existe dans la vraie vie ; le problème réside dans l’utilisation que les scénaristes font de cette figure de chorégraphe pervers.

Acculé face à des danseuses en grève, le même Ramon décide de changer son spectacle, en les obligeant tous et toutes à s’habiller avec un hoodie, que portait apparemment la personne qui a agressé Cassie. Rien ne va donc : l’homme est accusé de comportement brutal, de harcèlement et d’avoir eu une liaison avec une élève. Il utilise sa domination hiérarchique à ses propres fins. Mais il n’est pas renvoyé, n’a pas à répondre de son comportement. Cela lui inspire seulement l’idée que chacun·e de ses danseur·se·s possède une part sombre qui sommeille en elle ou lui… Ne parlons pas non plus de l’utilisation du hoodie, déjà dans présente dans Pretty Little Liars, et qui convoque un cliché raciste, celui du “jeune voyou noir”. Ou encore de la mise en retrait du personnage de Neveah, alors qu’elle est censée être l’héroïne de la série, au fil des épisodes. Elle n’a pas le droit de briller comme sa comparse blanche et riche, Bette, qui prend de plus en plus de place. Au milieu de la saison (nous avons vu 5 épisodes pour cette critique), son passé ressurgit, et là encore, rien ne va dans la façon dont la série traite d’une thématique terrible, les violences conjugales. L’écriture, tordue, insiste sur la culpabilité de la mère de Neveah, en prison pour s’être défendue face à un compagnon violent qui s’en prenait à son fils.  

La série saura séduire un public habitué aux soaps adolescents formatés, et les amateurs de danse classique trouveront de jolies scènes à se mettre sous la dent. Pour le reste, passée son exposition séduisante, ce ballet malsain pose les bonnes questions sans y apporter les bonnes réponses. Il laisse donc un terrible goût d’inachevé.

Les dix épisodes de Tiny Pretty Things sont disponibles sur Netflix.