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“Tu préfères”, la websérie d’Arte sur l’adolescence touche juste

“Tu préfères”, la websérie d’Arte sur l’adolescence touche juste

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Par Marion Olité

Publié le

À découvrir sur le site d'Arte à compter de ce lundi 29 juin.

Les succès récents critiques et public de Skam France, Les Grands ou encore Mortel ont prouvé que les séries sur l’adolescence avaient de beaux jours devant elles dans l’Hexagone et que les ados français avaient envie de se voir représenté·e·s sur un écran. Après une traversée du désert en la matière, diffuseurs et scénaristes s’emparent de ce sujet à la fois intime et universel, le passage à l’âge adulte, de façon réaliste. Dans la droite lignée d’une ambition retrouvée, Arte diffuse une nouvelle websérie sur sa plateforme et sur son compte Instagram.

À voir aussi sur Konbini

Composée de dix épisodes d’une durée entre 5 et 10 minutes, et intitulée Tu préfères, elle suit le quotidien de quatre ados, Shaï, Djeneba, Aladi et Ismaël, âgés de 16 ans et habitant dans une des tours du quartier populaire de la Place des Fêtes, dans le 19e arrondissement parisien. Contrairement à la majorité des séries ados, Tu préfères ne suit pas les quatre potes pendant leurs pérégrinations au lycée, mais en dehors, pendant leur temps libre, qu’ils passent sur le toit de leur immeuble, chez les un·e·s et les autres, dans un fast-food, à la piscine ou dans un bar à chicha.

Le concept de base de chaque épisode est contenu dans le titre de la série : l’un·e des ados demande à la cantonade si il ou elle préférerait avoir des grosses fesses ou des gros seins, l’amour ou l’argent, ou encore manger du porc ou ne plus jamais voir ta mère ? Si le concept peut paraître un brin artificiel, il faut bien reconnaître que le “tu préfères” a quelque chose d’universel qui fonctionne bien. C’est un peu comme le “cap ou pas cap ?” ou “action ou vérité”. On y a tous et toutes joué, qu’on soit né·e·s dans la capitale ou en province, qu’on soit blanc·he·s ou racisé·e·s, pauvres ou riches. Notre interview phare à Konbini, le “Fast&Curious”, est même directement inspiré du “tu préfères”. Il y a quelque chose de ludique, lié à l’enfance, dans ce jeu qui appelle aussi à des débats profonds, comme le prouve cette série pas comme les autres. 

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Pas comme les autres, car elle met en scène des jeunes français·e·s de cultures et de confessions religieuses différentes. Et parce que les méthodes de travail des créatrices et réalisatrices Lise Akoka et Romane Gueret sont à cheval entre le documentaire et la fiction. Pour écrire leur websérie avec leur coscénariste Éléonore Gurrey, elles ont en effet enregistré des conversations entre ces jeunes à la suite d’une rencontre sur un long-métrage, où elles travaillaient en tant que coach pour enfants. Elles ont été fascinées par leurs conversations drôles, passionnées et étonnantes, et par leur complicité. C’est ce matériel de base qui a servi à écrire Tu préfères. Si les scripts ont été travaillés pour que chaque personnage se dessine au fil des épisodes, le quatuor d’interprètes – Fanta Kebe, Shirel Nataf, Zakaria Lazab et Mouctar Diawara – a eu la liberté nécessaire pour faire exploser sa spontanéité, œuvrant dans un cadre d’improvisation dirigée. 

De la sexualité à la grossophobie, en passant par l’avortement ou le rapport à la religion, les 10 épisodes abordent bien des sujets. Conservant le langage cru et codifié spécifique à l’adolescence, Tu préfères carbure à l’énergie de ses jeunes héros et héroïnes. On rit avec eux, on est parfois déconcerté·e·s voire choqué·e·s par leur vision de la vie, et puis on se rappelle de ce qu’on pensait nous, à 16 ans. Des énormités parfois, aussi, entre deux éclairs de génie. Le tour de force de cette websérie, c’est de ne pas donner dans le politiquement correct – les gamin·e·s se traitent de “sale juive” ou de “sale arabe” entre deux joutes verbales, imitent les accents de leurs parents – mais aussi de montrer qu’ils et elles évoluent dans un environnement très genré (en témoigne leur réaction quand Shaï aborde la question de la non-binarité de genre), et soumis à des codes patriarcaux, que ce soit dans l’amitié (tout le monde s’appelle “frère”, lors d’une engueulade, Shirel balance à sa copine “t’as tes règles ?” comme le ferait un mec pour énerver une femme…) ou dans leur vision de l’amour et de l’orientation sexuelle, comme le prouve l’épisode 7 centré sur l’homophobie, plus forte envers deux hommes (car deux hommes gays remettent en cause les codes de la virilité traditionnelle) que deux femmes. 

Tu préfères, c’est aussi une histoire d’amitié, celle qui se délite entre Djeneba et Shaï. Est-ce simplement le fait de changer ou de grandir séparément, la première ayant été scolarisée dans un autre établissement, qui va les faire s’éloigner ? Au fil des épisodes, elles ne semblent plus sur la même longueur, même si elles s’adorent. Leur vision de la société évolue, se précise, diffère irrémédiablement.

La série explore la fragilité et l’intensité des amitiés à cet âge charnière. Si les deux garçons restent davantage en retrait, la websérie étant centrée sur les deux filles, dans l’épisode final, on assiste à l’une des plus belles scènes de cette première saison, quand Aladi finit par éclater en sanglots à l’idée de repartir au bled (aider une tante malade sur demande de sa mère) et ne plus voir son BFF Ismaël. C’est qu’entre deux bouffées de narguilé et une idée fixe, le sexe (abordé entre questions crues et candides, prouvant leur inexpérience en la matière de façon touchante), les deux jeunes hommes aussi font face à des angoisses quant à leur avenir. L’avenir de Tu préfères justement, on espère qu’il sera radieux, et qu’une saison 2 ou un reboot avec de plus gros moyens nous permettront de continuer à observer le passage à l’âge adulte de ces quatre ados plein de verve.  

La première saison de Tu préfères est disponible en ligne sur arte.tv et sur le compte Instagram @arte_asuivre