Twenties, une série moderne et queer sur l’adulescence dans tous ses états

Twenties, une série moderne et queer sur l’adulescence dans tous ses états

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Par Florian Ques

Publié le

Créée par Lena Waithe et d'ailleurs inspirée de ses propres expériences, cette dramédie méconnue se doit d'être dans votre radar.

S’il y a bien une personne à lorgner de près dans le microcosme des scénaristes américain·e·s, c’est Lena Waithe. Distinguée aux Emmy Awards de 2017 pour avoir signé l’épisode “Thanksgiving” de Master of None, cette native de Chicago connaît depuis une ascension imparable et cumule désormais une petite collection de productions à son nom. À l’aube du mois de mars, la principale intéressée a levé le voile sur son projet le plus intime en date : Twenties.

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Diffusée sur BET – aussi bien aux États-Unis qu’en France –, Twenties s’intéresse à un groupe de trois amies qui, comme son titre le suggère allègrement, sont dans leur vingtaine. La série est portée par Hattie, une scénariste en herbe (tiens, tiens) qui peine à faire décoller sa carrière. Virée de chez elle, cette dernière trouve refuge chez sa pote Marie, employée pour un grand studio et peut se confier aussi à Nia, une professeure de yoga pétillante qui songe à se relancer dans l’acting.

Comme bon nombre de séries du même acabit (comprendre centrées sur des vingtenaires dans une métropole hyperactive), Twenties parle d’amour, de sexe, de travail, d’amitié. La spécificité ici, c’est que ces thématiques-là sont entrecroisées avec l’identité raciale des personnages.

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Dans le cas de Marie, par exemple, cela passe par sa relation changeante avec son mari, qu’elle soupçonne d’avoir des tendances bisexuelles. Une pensée qui la tourmente, puisqu’elle ne sait pas comment appréhender cette information. Quand elle en parle à ses deux amies, Hattie lui fait remarquer que la communauté afro-américaine tolère plus facilement qu’une femme soit intéressée par les deux genres, à l’inverse d’un homme qui n’a pas ce luxe-là. Au gré de leur discussion, elles mettent ainsi en exergue le double standard qui existe et comment elles reproduisent des schémas sociaux trop exigus.

Quant à Nia, elle envisage sérieusement de reprendre sa brève carrière d’actrice, mais se heurte bien vite à la réalité du milieu. Alors qu’elle patiente, afin d’auditionner pour une web-série, d’autres comédiennes noires présentes lui expliquent qu’elles ont conscience que le projet pour lequel elles sont là n’est pas de bonne facture. Lorsque Nia leur demande ce qui les motive alors à passer le casting, elles rétorquent qu’il existe trop peu de projets ouverts à des femmes noires, d’autant plus dark skinned (un anglicisme désignant les personnes noires à la peau plus foncée). Par ce biais, Twenties parle du manque d’opportunités à Hollywood pour les personnes racisées… et logiquement, du manque de représentation qui en découle.

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La critique, mesurée et jamais trop acerbe, va plus loin avec le personnage de Hattie, de facto héroïne de la série, qui s’avère être basée sur Lena Waithe en personne. Dès le pilote, la jeune femme décroche un poste d’assistante pour une showrunneuse afro-américaine, influente, mais réputée pour produire des soap operas médiocres. Lors d’une conversation avec ses potes, Hattie se demande si elle doit soutenir les œuvres d’artistes noirs sous prétexte qu’ils sont noirs, par souci de solidarité donc, même si les œuvres en question ne sont pas de qualité. Sans réellement offrir de réponse, Twenties soulève une question intéressante, qui renvoie à un véritable cercle vicieux : faut-il accepter des fictions moyennes pour leur garantir un succès financier, dans l’espoir d’avoir une meilleure représentation par la suite ?

La question ne se pose pas pour Twenties qui, elle, n’a pas ce souci de qualité. Sous ses airs faussement légers, elle entreprend d’ouvrir le dialogue sur des sujets souvent tabous, que ce soit dans la communauté afro-américaine ou dans la société au sens large. La série se situe dans la continuité de ce que Lena Waithe avait déjà enclenché avec Boomerang, une autre production BET sous-estimée où elle est aux commandes. Dans ces deux séries, on décèle la volonté d’explorer l’identité noire, mais aussi d’une meilleure inclusivité au niveau des vécus LGBT+, qui plus est sur une chaîne au contenu très hétéronormé.

Alors oui, on a un peu envie de déplorer l’aspect parfois cheap que peut avoir Twenties au niveau de la réalisation et du jeu des comédien·ne·s. Mais cette dimension-là est vite surpassée par son propos et son côté historique, puisque Twenties est la première série à avoir pour héroïne une femme noire lesbienne et qui plus est, butch (comprendre qu’elle adopte un look androgyne et une attitude qu’on aurait tendance à qualifier de “masculine”). Cette inclusion n’est pas gratuite, puisque Hattie est un personnage queer nuancé et complexe comme on en voit rarement (ou, en tout cas, pas aussi bien exploité).

On est tentés de faire la comparaison avec Insecure, dramédie signée HBO qui narre aussi les tribulations amoureuses et professionnelles de femmes noires à Los Angeles. Mais là où cette dernière s’en sort mieux en termes de verve et d’esthétique, Twenties se distingue par sa plus grande inclusivité et son envie de lancer des débats majeurs sur la façon de représenter la communauté afro-américaine sur le petit écran. On se réjouit en tout cas que les deux séries puissent coexister simultanément, offrant deux visions singulières, mais complémentaires. Doucement, mais sûrement, la révolution est en marche.

Twenties est diffusée sur BET en France.