À binge-watcher : Weird City, la satire futuriste et inclusive de Jordan Peele

À binge-watcher : Weird City, la satire futuriste et inclusive de Jordan Peele

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Par Marion Olité

Publié le

Jamais série n'aura aussi bien porté son nom.

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Bienvenue dans la ville de Weird, située dans un futur proche, où la population est divisée en deux catégories : ceux qui vivent au-dessus de la Ligne, et ceux qui sont en dessous de la Ligne. Les uns s’appellent “Ceux qui ont”, et les autres “Ceux qui n’ont pas”. Ou comment résumer à sa quintessence la plupart des œuvres appartenant à la catégorie de l’anticipation sociale, de Bienvenue à Gattaca à 3% en passant par Elysium. Ce décor simple mais éprouvé va permettre au duo Jordan Peele (Get Out) et Charlie Sanders, déjà à l’œuvre dans la série à sketchs Key & Peele, d’imaginer six histoires indépendantes les unes des autres.

Nous voilà face à une anthologique futuriste qui n’est pas sans rappeler un peu Black Mirror, mais qui s’affranchit vite de cet écrasant modèle par son outrance et sa tonalité satirique. Le résultat est inégal : c’est un peu le souci avec les séries anthologiques comme Room 104, où chaque épisode nous plonge dans une histoire différente. L’avantage en revanche, c’est de pouvoir faire appel à pléthore de stars américaines, plus disposées à se déplacer pour s’amuser sur un épisode que de s’impliquer sur toute une saison.

C’est le cas de Weird City, qui dispose d’un casting des plus alléchants pour les fans de séries : Dylan O’Brien (Teen Wolf) donne par exemple la réplique à Ed O’Neill (Modern Family) dans le premier épisode, qui reprend à peu de chose près le pitch de l’épisode “Hang the DJ” de Black Mirror – une appli légèrement autoritaire vous promet de trouver LA personne faite pour vous, “The One” – pour en faire une réflexion sur nos préjugés genrés.

Dans le deuxième épisode, le plus “weird” et dérangeant de la saison, Michael Cera croise le fer (et le vers, on ne vous en dit pas plus) avec Rosario Dawson. L’épisode 4 nous fait la surprise de revisiter 2001: l’Odyssée de l’Espace, sauf que CARL (l’intelligence artificielle qui s’en prenait aux humains) est ici remplacé par un assistant vocal (c’est la voix de Mark Hamill) de maison connectée qui va rendre la vie impossible à un couple de lesbiennes, interprété par Laverne Cox et Sara Gilbert. Ou comment proposer une variation moderne et fun sur des thèmes rebattus (l’IA qui tourne mal, la maison hantée). On pourrait même interpréter ce combat entre ce couple de femmes et cette voix d’homme intrusive, qui veut les contrôler et les séparer, comme une métaphore de la lutte LGBTQ+ contre le patriarcat.

Weird City ne manque pas de créativité pour se moquer de nos addictions diverses et variées dans ce monde surconnecté, tout en ne lâchant pas l’idée de dénoncer par l’absurde les stéréotypes de genre. Dans l’épisode 3, “Go to College”, une jeune femme issue de la classe pauvre a la chance d’aller à la fac chez les riches. Mais elle devient contre son gré le prototype d’une première expérience quand, après avoir “sexté” avec un potentiel petit ami, elle se retrouve enceinte… d’un émoji. Alors que tout le monde la presse d’accepter son destin de mère, dans un twist malin, elle “le transfère” dans le ventre du papa.

Tout le monde en prend pour son grade dans Weird City. L’un des épisodes les plus drôles, “Chonathan & Mulia & Barsley & Phephanie”, raconte l’histoire de deux couples amis qui vivent au-dessus de la Ligne et sont obsédés par l’idée de faire le bien, davantage pour devenir les plus cool du quartier qu’autre chose. Au point de se retrouver à kidnapper un enfant qu’ils pensent très malheureux car il vit au-dessous de la Ligne. Cette satire des bobos de toutes les grandes villes, de Paris à New York, n’est pas des plus subtiles, mais elle est très drôle. Et elle a le grand mérite de mettre en scène des têtes connues du petit écran, comme Gillian Jacobs, Hannah Simone ou encore Steven Yeun (qui fait montre d’un talent comique prometteur), dont les interactions hystériques fonctionnent très bien.

Les fans de séries sont chouchoutés par Jordan Peele et Charlie Sanders, à plusieurs niveaux. Les épisodes baignent dans un même univers et se répondent à coups de références méta. Le Docteur Negari (LeVar Burton) et Pitchman (Shaughn Buchholz), à l’origine des applis et autres délires high-tech qui rendent la vie impossible à nos protagonistes, reviennent d’un épisode à l’autre. Ici, une tortue évoquée plusieurs fois dans un épisode fait son apparition dans le suivant, là un lieu de villégiature apparemment très cool (Irmingblam) est cité plusieurs fois et finit dans une pub touristique, une sorte de Red Bull hardcore aux amphétamines devient aussi un running gag récurrent…

Cerise sur le gâteau méta, l’ultime épisode met en scène un duo de femmes, qui se rendent compte qu’elles ne sont que des personnages dans la série Below: Glail & Charlotta, qui est sur le point d’être annulée. Entre deux pubs commerciales et des attitudes toutes faites qu’on leur a mises dans la tête, les deux femmes (interprétées par Awkwafina et Yvette Nicole Brown) vont tenter d’acquérir leur libre arbitre. De là à y voir un nouveau sous-texte féministe, il n’y a qu’un pas.

Weird City est série foutraque et divertissante, où l’on trouve à boire et à manger. Ça part dans tous les sens, comme Man Seeking Woman en son temps. Peut-être un peu trop. Certains épisodes auraient gagné à ne pas s’éparpiller, les séquences WTF sorties de nulle part ayant tendance à alourdir l’œuvre. Cela étant dit, son casting inclusif, sa créativité, son propos satirique moderne et politiquement incorrect en font une curiosité à ne pas rater, surtout pour les amateurs du mélange tech + séries.

La première saison de Weird City, composée de six épisodes, est dispo sur YouTubePremium.