Pourquoi What We Do in the Shadows est la série la plus drôle du moment

Pourquoi What We Do in the Shadows est la série la plus drôle du moment

Image :

© FX

photo de profil

Par Delphine Rivet

Publié le

Si vous n'avez pas encore goûté à What We Do in the Shadows, il est encore temps ! Promis, vous allez devenir "à crocs".

Paradoxalement, ces vampires qui ont des siècles de retard ne font pas tache dans notre époque ou du moins, la série dont ils sont les infortuné·e·s héros et héroïne. What We Do in the Shadows, c’est non seulement la comédie la plus drôle et irrévérencieuse du moment, mais c’est aussi une lettre d’amour, complètement farfelue et sans tabou, à la pop culture. Alors que la saison 2 s’est achevée le 10 juin dernier sur FX (en France, elle est disponible sur Canal+ séries), on a voulu rendre hommage à Nandor, Laszlo, Nadja, Guillermo et Colin Robinson, à leur bêtise, à leurs frasques absurdes et à l’empreinte (de crocs, évidemment) qu’ils et elle laissent sur le petit écran.

À voir aussi sur Konbini

Entretiens avec des vampires

D’abord, faisons les présentations. Avant d’être une série hilarante dont l’intelligence d’écriture n’a d’égale que la stupidité de ses personnages, c’était un court-métrage indé, produit et réalisé en 2005 par Jemaine Clement et Taika Waititi et baptisé What We Do in the Shadows: Interviews with Some Vampires. Les deux compères en ont ensuite fait un film, sorti en 2014, dans lequel ils se mettaient en scène. Le concept est d’une simplicité déconcertante : une équipe (qui n’apparaît pas à l’écran) tourne un (faux) documentaire sur le quotidien d’une colocation de vampires à Wellington, en Nouvelle-Zélande (le pays dont les auteurs sont originaires).

Le début des années 2000 sonnait l’émergence du mockumentary, un genre dont The Office (UK et US) est la reine incontestée. Regards caméras, confessions, moments volés dans l’entrebâillement d’une porte et scènes ordinaires capturées sur le vif, le mockumentary est un éloge à la banalité, sublimée par une écriture aux petits oignons, mais qu’advient-il quand le théâtre de cette banalité est un manoir habité par des vampires ? What We Do in the Shadows, c’est comme si on matait L’Incroyable famille Kardashian en Transylvanie et que Kim et ses frangines étaient des vampires se partageant un pauvre serviteur, Guillermo dans le cas présent, sans lequel elles seraient totalement livrées à elles-mêmes.

Avant de devenir une série sur FX avec déjà deux saisons au compteur et d’exporter son histoire à Staten Island, un quartier de New York, le film a donné naissance à un rejeton, un spin-off du nom de Wellington Paranormal. Toujours sur le mode du faux documentaire, il se penche sur une mini-brigade de police spécialisée dans les délits et crimes relevant, comme son nom l’indique, du paranormal. On y croise donc vampires, loups-garous, zombies et autres créatures, poursuivis par un duo de choc et en toc, les agents Kyle Minogue et O’Leary.

Revenons maintenant à nos prédateurs, qui n’ont de prédateurs que le nom. Depuis mars 2019, une série leur est consacrée. Pour l’occasion, Jemaine Clement supervise l’écriture et son pote Taika Waititi passe de temps en temps une tête sur le tournage pour réaliser quelques épisodes, mais les deux compères ne reprennent pas leur rôle iconique du film, respectivement Vladislav the Poker et Viago Von Dorna Schmarten Scheden Heimburg (à l’exception d’un épisode bourré de guests, “The Trial”). 

Ils ont laissé la place à une nouvelle bande de colocataires : Nandor the Relentless (joué par Kayvan Novak), un ancien guerrier de l’empire Ottoman ; son familier Guillermo (Harvey Guillén), un serviteur humain qui rêve de devenir un vampire ; Nadja (Natasia Demetriou), beauté fatale (littéralement) du peuple Romani ; son époux Laszlo (Matthew Berry), aristo anglais très porté sur la chose ; et Colin Robinson (Mark Proksch), un vampire énergétique qui tire son pouvoir de l’ennui profond qu’il suscite quand il ouvre la bouche. Ce dernier est d’ailleurs l’une des meilleures trouvailles de la série.

Morts de rire

What We Do in the Shadows, c’est donc ce clash, nous le disions plus haut, entre l’ordinaire et l’extraordinaire. Il y a tant de situations dans la série qui, sur le papier, ne mériteraient même pas d’être une intrigue secondaire (comme lorsque Nandor se rend, en saison 1, à un conseil municipal dans l’espoir d’asseoir sa domination sur le territoire de Staten Island, en vain). Pourtant, de ces storylines vaseuses, elle en fait des pépites d’humour absurde (il est devenu impossible de ne pas pouffer de rire dès que Laszlo se transforme en chauve-souris en criant “BAT !”) et subvertit les règles de l’écriture sérielle. Elle se moque de tout et surtout d’elle-même.

Elle n’est, certes, pas la première à égratigner le mythe sensuel et terrifiant du vampire, mais elle le fait avec la badinerie d’un sale gosse, en donnant l’impression d’être en roue libre alors que tout est très maîtrisé. Une grande place est toutefois laissée à l’improvisation des dialogues, un exercice dans lequel ses acteurs et son actrice excellent, à l’instar de Mark Proksch dont une bonne partie des élucubrations soporifiques ont été imaginées sur le vif.

Quand elle se frotte à la pop culture, What We Do in the Shadows est magistrale. Pour construire sa mythologie, elle a pu s’appuyer sur tout un folklore littéraire ou cinématographique consacré à ces créatures de la nuit. Sa mise en scène n’a que très peu recours aux effets spéciaux numériques, à l’instar du Dracula de Francis Ford Coppola, l’une de ses nombreuses références en la matière. Pour ce qui est des règles “vampiriques” (est-ce que la lumière du jour les tue et si oui, comment ? Doivent-ils être invités avant d’entrer chez quelqu’un ? Etc.) elle s’inspire du film de Joel Schumacher, The Lost Boys.

Lorsqu’elle met en scène, dans le 7e épisode de sa saison 1, un tribunal de l’ombre avec des sommités du milieu, elle convoque… des vampires de la pop culture : Tilda Swinton (Only Lovers Left Alive), Evan Rachel Wood (True Blood), Danny Trejo (From Dusk till Dawn), Paul Reubens (Buffy the Vampire Slayer, le film de 1992), Taika Waititi et Jemaine Clement (qui reprennent leur rôle du film) et même Wesley Snipes (Blade) via Skype. Vu l’agenda chargé de ces stars et la façon de les filmer en plans isolés, on s’imagine bien qu’il n’a pas été possible de toutes les réunir en même temps sur le tournage. Hey, au moins, on a évité une scène gênante avec un fond vert (c’est à vous qu’on parle, Kalinda et Alicia dans The Good Wife !).

C’est dans le contraste entre ces vampires vieux de plusieurs siècles et le monde moderne que se révèlent les meilleurs gags. Leur grand âge ne les a pas du tout rendus plus sages. On pense notamment à cet épisode, en saison 2, où Nadja, Laszlo et Nandor sont pris de panique après avoir été la cible d’une chaîne de mails prétendant qu’une malédiction s’abattrait sur eux s’ils ne la partageaient pas à leur tour ; ou encore à Colin Robinson qui devient un troll sur les réseaux sociaux, sans savoir qu’il s’engage dans une guerre des nerfs face à un vrai troll de 3 mètres de haut. Ah, Colin Robinson…

La couleur beige faite homme, il absorbe l’énergie vitale de celles et ceux qui l’entourent, y compris ses colocs immortels, en déblatérant les pires banalités. Il est probablement la plus grande idée de la série, prenant à contre-pied la figure du vampire pour en faire un être d’une banalité à pleurer, tout en raccrochant l’histoire avec la vie réelle (on a tous et toutes déjà croisé un Colin Robinson au bureau).

Les liens qui unissent ces personnages sont l’un des piliers de What We Do in the Shadows. Immuables, même après toutes ces années de cohabitation, ils sont surtout basés sur la codépendance. Lazslo, le british lubrique qui fait de l’art topiaire en s’inspirant des vulves des femmes de sa (longue) vie (dont celle de sa mère), ne peut vivre sans Nadja, celle qui lui a donné la vie éternelle. Colin Robinson (oui, on dit son nom en entier) a bien conscience que ses camarades ne veulent pas de lui comme ami, mais la solitude n’est pas une option (il a besoin d’être entouré pour se nourrir).

Nandor, ce grand bébé dont on ne soupçonnerait jamais le passé violent, se trouve bien dépourvu quand Guillermo n’est pas là. À l’inverse, ce dernier est prêt à supporter les pires humiliations pour servir son maître, dans l’espoir qu’il le transforme un jour en vampire. Les choses se compliquent quand, au détour d’un test ADN (très à la mode en ce moment), Guillermo découvre que son ancêtre n’est autre qu’Abraham Van Helsing, légendaire tueur de vampires.

La saison 2 a su maintenir le cap lentement amorcé par la saison 1, sans pour autant que cette intrigue fil rouge autour du dilemme de Guillermo (tuer des vampires VS servir des vampires) prenne trop de place. Le feuilletonnant n’est pas l’attrait principal de What We Do in the Shadows, fille bâtarde de The Office et Dracula, mort et heureux de l’être (le film de Mel Brooks sorti en 1995) et le focus doit rester sur ces “morceaux de vie” où nos vampires, complètement inadaptés à la vie moderne, sont partagés entre s’intégrer et perpétuer leurs traditions ancestrales.

Les meilleurs gags sont d’ailleurs souvent dans les silences, les regards caméras et les eye rolls déjà cultes de Nadja. La saison 2 de What We Do in the Shadows est arrivée à point nommé pour nous faire oublier ce triste début d’année. Dommage qu’on doive attendre plusieurs mois avant la suite. Ça nous laissera au moins le temps de la revoir.

Les deux premières saisons de What We Do in the Shadows sont disponibles sur Canal+ séries. Une troisième a été commandée par FX, qui la diffuse aux États-Unis.