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Joe et Love s’adaptent (ou pas) à la vie pavillonnaire dans la saison 3 de You

Joe et Love s’adaptent (ou pas) à la vie pavillonnaire dans la saison 3 de You

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© Netflix

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Par Marion Olité

Publié le

Nos deux psychopathes de l’amour préférés sont de retour sur Netflix.

Presque deux ans après sa saison 2, le thriller tordu You est finalement de retour pour une troisième salve, lancée le 15 octobre dernier. Après avoir laissé une pile de cadavres sur leur chemin à Los Angeles, on retrouve nos deux psychos installés dans une banlieue pavillonnaire à San Francisco, Madre Linda. Derrière la jolie barrière blanche et les sourires aux voisin·e·s, Love et Joe ont bien du mal à jouer les époux parfaits et à contrôler leurs pulsions respectives… Qui craquera en premier ?

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On a la réponse à cette question assez tôt dans cette troisième saison, qui démarre sur les chapeaux de roues. Les influences de Dexter et Desperate Housewives se font plus que jamais sentir. La savoureuse apparition de Marcia Cross, inoubliable Bree Van de Kamp, venue jouer une avocate d’affaires, ne nous a évidemment pas échappé. Elle est un clin d’œil évident au ton soap de banlieue pavillonnaire de cette troisième livraison.

Pour autant, You ne fait pas dans le copier-coller. Ce soap malsain et fascinant a trouvé un ton qui lui est propre, à mi-chemin entre la satire sociale des millennials et le genre pur et dur des “tueurs en série”. Côté satire, tout le monde en prend pour son grade et c’est assez jouissif à regarder : les mecs et leur bootcamp en forêt pour soi-disant retrouver leur mâle alpha émasculé par la société (et leurs épouses bien sûr…) sont aussi drôles qu’effrayants, tout comme les anti-vaccins ou encore les mamans influenceuses et entrepreneuses, avec leur superficialité conjuguée à une insupportable essentialisation des femmes.

Cette saison très woke en profite aussi pour nous instruire sur “le syndrome de la femme blanche”, un phénomène observé en sociologie. Si une femme disparaît, qu’elle est blanche, de classe aisée et attractive par-dessus le marché, il y a de grandes chances que les médias couvrent l’affaire avec beaucoup d’empressement. En revanche, si la personne disparue est une femme trans racisée par exemple, personne quasiment n’en entendra parler et la communauté “soudée” décrite par les médias n’organisera pas de battue générale pour la retrouver. C’est le personnage réussi de Marienne Bellamy, incarnée par Tati Gabrielle (vue dans Les Nouvelles Aventures de Sabrina), nouvelle venue dans la série, qui apporte cet éclairage.

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Et puis, si la saison 2 de You était sans conteste divertissante, elle partait vraiment dans tous les sens. Ces nouveaux épisodes sont davantage structurés autour de la thématique du jeune couple qui doit affronter la monotonie de la conjugalité en ayant en plus la charge d’un nouveau-né (baisse de désir sexuel, tâches du quotidien, rôles genrés…). La seule différence entre un couple de la vraie vie et celui formé par Joe et Love, c’est que si un grain de sable vient enrayer la machine, un moment de jalousie ou une engueulade peut tourner à la catastrophe (séquestration, meurtre, tout ça tout ça).

C’est immanquablement ce qui se passe quand, dans les premiers épisodes, Love découvre que Joe a une nouvelle obsession pour une voisine. Sa réaction sera à l’image de sa personnalité impulsive. Toute cette histoire mène notre couple à se lancer dans une thérapie ensemble, histoire de creuser leur psyché, leurs peurs respectives de l’abandon, les vieilles rancœurs (des trucs tout à faire normaux, du genre Joe n’a pas tué Love uniquement car elle porte son enfant…), pour finir par se comprendre. Et c’est presque beau à voir !

Le brio de l’écriture réside ici : dans le fait de nous donner envie de soutenir ce couple hautement dysfonctionnel mais qui semble avoir comme priorité de protéger leur enfant, Henry (ou Forty selon les moments !). Et l’alchimie entre les impeccables Penn Badgley et Victoria Pedretti, toujours aussi palpable, fait que cette dynamique fonctionne.

“Parfois, tout ce dont on a besoin, c’est d’une bonne histoire. Sexy, solide, à laquelle on peut s’identifier” (Joe, S03E04) 

Si on retire les coups de rouleau à pâtisserie dans la tronche d’un anti-vax (une scène ma foi assez savoureuse !) et autres réactions légèrement over the top qui dont l’ADN de You, c’est presque inquiétant de réaliser à quel point on peut s’identifier à ces deux-là, à la façon dont ils oscillent entre haine de ce milieu pavillonnaire qu’ils exècrent et volonté de s’intégrer dans ce moule pour trouver une paix, forcément éphémère…

Car, au final, on ne peut échapper à sa vraie nature, nous dit la showrunneuse Sera Gamble. Tout en se prenant pour le héros de sa propre histoire, Joe recommencera à stalker une nouvelle proie après son bootcamp aux relents masculinistes, qui serait vraiment à mourir de rire si, en sortant, il n’était pas persuadé d’avoir finalement trouvé sa tribu. Joe pense alors pouvoir contrôler ses pulsions, et s’y adonner sans faire de mal à personne. On n’y croit évidemment pas une seconde.

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Cette séquence dans l’épisode 4 avec ses nouveaux amis masculins est aussi là pour nous rappeler que, malgré sa voix off très séduisante, cynique et pertinente, Joe Goldberg est un psychopathe misogyne, qui ne voit jamais la gent féminine comme son égal. Il veut soit sauver des femmes, soit les stalker, et il finit généralement par les tuer. C’est d’ailleurs son interprète, Penn Badgley, qui le rappelle depuis le début de la série, le procédé narratif (on est dans sa tête) ayant tendance à le glamouriser.

Cet anti-héros à la Dexter (en plus dark, Dexter ne tuant que des personnes qui le méritent) aurait pu aussi tout simplement nous lasser. Ses aventures reposent sur une mécanique – il repère une femme, se fait des films, ça finit mal – que l’on commence à connaître par cœur et que l’on n’a pas forcément envie de voir, surtout en tant que spectatrice.

Mais en renouvelant les enjeux, cette nouvelle saison de You se révèle divertissante et en phase avec les problématiques de notre société contemporaine. Histoire de bien dresser une ligne morale tout de même, tellement floue ici que nombre de jeunes esprits finissent par idolâtrer un anti-héros sexiste, on aimerait entendre les mots “féminicides” plus souvent dans des épisodes de You.

Quant à notre couple terrible, on se demande s’il survivra à la fin de cette saison 3 (nous avons visionné les cinq premiers épisodes pour cette critique). Rien n’est moins sûr. Là encore, on peut appliquer la jurisprudence Dexter : en couple avec Rita, la mère de son fils, ce dernier découvrait dans le final de la saison 4 son épouse tuée par un de ses ennemis. Plus tôt encore, il tuait en saison 2 Lila, une tueuse en série qui ne contrôlait pas assez bien ses pulsions (sous-entendu comme lui) pour avoir le droit de rester en vie. Ce trope sexiste (tuer l’épouse pour rendre le personnage masculin plus “profond” et “torturé” et relancer ses enjeux dramatiques), on en a soupé. Et on croise les doigts pour que le final de cette troisième saison de You, par ailleurs déjà renouvelée pour une quatrième saison, ne le reproduise pas.