De Hannibal à American Gods, on a classé les séries de Bryan Fuller

De Hannibal à American Gods, on a classé les séries de Bryan Fuller

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Par Delphine Rivet

Publié le

Ce ne fut pas chose facile, tant on les aime toutes pour des raisons différentes.

Voici un classement, forcément subjectif, qui nous permet surtout de rendre hommage à l’incroyable vision artistique de ce showrunner. Bryan Fuller, ce génie incompris, marqué du sceau de la malédiction (on en fait trop ?), a imaginé des univers sériels parmi les plus inventifs de la télévision. La preuve par 6 !

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#1. Pushing Daisies (ABC – de 2007 à 2009 – 2 saisons)

© ABC

Ned (Lee Pace) est un pâtissier qui a un don particulier : il peut ramener à la vie ce qui est mort. Mais s’il y touche une deuxième fois, c’en est fini, les fraises redeviennent pourries et les personnes ressuscitées expirent pour de bon. Alors, lorsqu’il croise la route de son amour d’enfance, la jolie Chuck (Anna Friel), qui a été assassinée, il ne peut s’empêcher de lui donner une seconde chance… même si cela implique de ne jamais pouvoir la prendre dans ses bras ni échanger de baiser. Son meurtre mystérieux fera germer une vocation chez Ned : avec l’aide de Chuck et du détective Emerson Cod (Chi McBride), notre doux pâtissier va se convertir en enquêteur du dimanche. Quand il ne prépare pas de succulentes tartes en compagnie de sa serveuse, l’adorable Olive (Kristin Chenoweth), il résout des crimes en faisant parler les morts une dernière fois.

Pushing Daisies est probablement la série la plus aboutie de Bryan Fuller, tant par le ton que par sa vision artistique, résolument originale. Ce conte en Technicolor est poétique et fantasque, jusque dans son usage de la langue anglaise, sans cesse challengée par des allitérations et des jeux de mots. L’adjectif qui lui correspond le mieux est difficile à traduire en français : “quirky“. Pushing Daisies est mignonne, décalée, et sous ses airs un peu naïfs (Bryan Fuller raconte s’être inspiré d’Amélie Poulain), elle cache un soupçon d’insolence qui en fait un objet sériel absolument différent de tout ce qu’on a pu voir auparavant… et même après. Rien ne ressemble à Pushing Daisies.

Hélas, sur les 22 épisodes de la saison 1 initialement prévus et commandés par ABC, seuls neuf ont pu être écrits avant que la production ne soit interrompue par la grève des scénaristes de 2007. Il a donc fallu remodeler le scénario et créer une fin en cliffhanger à défaut de mieux. Une fois les treize épisodes suivants commandés et diffusés par la chaîne, la série ne s’est jamais vraiment remise de ces bouleversements et les audiences déclinantes ont fini de sceller son sort, au bout de seulement deux petites saisons. Son créateur, comme vous le verrez par la suite, semble frappé par une sorte de malédiction. Pushing Daisies restera son magnum opus inachevé.

Où la trouver ? Pushing Daisies n’est hélas disponible nulle part en SVOD, mais on peut la trouver en DVD et Blu-Ray.

#2. Hannibal (NBC – de 2013 à 2015 – 3 saisons)

© NBC

À l’époque où les networks régnaient encore en maîtres sur le paysage sériel (plus pour très longtemps), le procedural restait une valeur sûre : un épisode, une enquête, un crime résolu à la fin. Telle était, en 2013, la promesse d’Hannibal. Marketée comme un banal cop show autour de la figure du légendaire Dr Lecter, avec Mads Mikkelsen, Hugh Dancy et Laurence Fishburne à l’affiche, elle allait à coup sûr séduire un large public. Enfin ça, c’était sur le papier. Dans la réalité, la série a sans cesse testé les limites de ce qu’on pouvait faire sur une chaîne nationale et a fait preuve d’une rare ambition. Le prix à payer, en réclamant aux spectateur·rice·s de s’abandonner dans la vision du showrunner, c’était d’en perdre une partie en cours de route. Mais la récompense à l’arrivée fut de s’attirer l’amour sans borne d’une fanbase ultra-fidèle, les Fannibals, qui aujourd’hui encore continue de se mobiliser pour ressusciter la série.

Quand Bryan Fuller a réalisé son rêve d’adapter l’œuvre de Thomas Harris, il n’y est pas allé de main morte. La série est pour le moins exigeante, pour notre cerveau comme pour notre estomac. Elle a fait de son duo d’antagonistes et leur relation d’attraction/répulsion le cœur (encore chaud) de la série. Quant aux scènes de meurtre… disons qu’elles resteront gravées dans notre mémoire pour longtemps. Chacune d’elles est un tableau (parfois même, littéralement puisque l’une d’elles reprend la Primavera de Botticelli), accentuant ce petit jeu pervers où la pire des horreurs flatte notre regard d’esthète. Les scènes de cuisine, et du repas qui les suit, sont toujours des moments charnières où, là encore, on nous fait saliver face à l’ultime tabou : le cannibalisme.

C’est la première de toutes les séries créées et showrunnées par Bryan Fuller à dépasser la saison 2. Atteindre la saison 3 ne s’est d’ailleurs pas fait sans mal, mais l’arrivée de Netflix dans l’équation fut un avantage inespéré. En achetant les droits de distribution hors US, la plateforme a généré des revenus plutôt substantiels qui ont convaincu NBC de pousser encore un peu. La série se termine littéralement par un cliffhanger, puisque Will et Hannibal s’enlacent avant de se jeter du haut d’une falaise, ce qui peut se lire soit comme un magnifique chant du cygne, soit comme des points de suspension. Bryan Fuller n’a, à ce jour, toujours pas renoncé à la faire revenir un jour d’entre les morts. On croise les doigts.

Où la trouver ? Même punition que pour Pushing Daisies : Hannibal est introuvable en SVOD, mais elle est disponible à l’achat sur iTunes. Sinon, rabattez-vous sur les DVD et Blu-Ray.

#3. Dead Like Me (Showtime – de 2003 à 2004 – 2 saisons)

Georgia Lass, ou George pour les intimes, est une jeune femme un peu différente. Elle semble comme détachée de tout, et surtout de la vie. Ça tombe bien, et même pile-poil au bon endroit, puisqu’un beau jour, en pleine rue, elle se prend la lunette des toilettes de la station Mir, lancée à pleine vitesse depuis l’espace, sur la tronche. Elle meurt, évidemment, sur le coup… mais pas avant d’avoir juré une dernière fois : “Eh merde !”. À sa grande surprise, son âme reste sur le plancher des vaches et c’est dans la peau d’une autre qu’elle est recueillie par une bande de faucheurs et faucheuses, qui se retrouvent chaque jour dans un bar à gaufres du coin. Cette petite bande, qui aide les autres âmes à passer dans l’au-delà au moment de leur mort, est constituée de Rube (Mandy Patinkin), le chef taiseux, Mason (Callum Blue), l’addict british et maladroit, Roxy (Jasmine Guy), une pervenche badass et peu commode, Betty (Rebecca Gayheart), qui est prête à passer à autre chose, et, plus tard dans la saison, Daisy (Laura Harris), ancienne starlette hollywoodienne des années 1930.

Pour une série sur la mort, Dead Like Me a énormément de cœur. On rit, on pleure, bref, on ne ressort pas indemne de ses deux saisons. Cette petite pépite méconnue, mais grande par le talent, doit évidemment beaucoup à son gang de parias ultra-attachants, en dépit de leurs nombreux défauts, porté par un cast formidable en tous points. Le choix de son héroïne affable, cynique à souhait et je-m’en-foutiste était déjà un sacré challenge. Ellen Muth passera d’ailleurs une tête dans deux épisodes d’Hannibal, dix ans plus tard, pour y interpréter Georgia (*wink wink) Madchen. Le showrunner refait souvent travailler les acteurs et actrices qu’il aime, créant ainsi, un peu malgré lui, un mini-Fullerverse.

Il a malheureusement quitté la série après sa saison 1, et l’histoire s’en ressent. Les conflits en coulisses, notamment avec le studio MGM Television, auraient rendu l’atmosphère irrespirable. Des coupes dans le scénario de la saison 2, qui d’après lui mettaient en péril l’essence même de Dead Like Me, furent l’affront de trop et il a décidé de claquer la porte. Notre fougueux showrunner a bien du mal à faire prévaloir sa vision, souvent extravagante mais toujours inspirée, sur ses différents projets, et cette série n’a hélas pas échappé à la règle.

Où la trouver ? Dead Like Me n’est pas non plus disponible en SVOD (Bryan Fuller est maudit, on vous dit !). Les DVD et Blu-Ray seront vos alliés.

#4. American Gods (Starz – de 2017 à 2021 – 3 saisons)

© Starz

On ne présente plus cette adaptation du roman éponyme de Neil Gaiman. American Gods est une véritable étude, sous acide, des mythologies du monde entier et de la transmission des croyances, au fil des migrations, constitutives de la culture américaine pluri-ethnique. Nouvelles et anciennes divinités s’affrontent dans un concours de popularité pour ne pas disparaître. Pris entre deux feux, le héros Shadow (Ricky Whittle) ne sait plus qui ni quoi croire. La première saison fut un choc esthétique. Bryan Fuller, qui co-écrit cette fois avec Michael Green, a confié la réalisation à David Slade, lequel avait déjà signé l’identité visuelle de Hannibal. Le résultat est à la hauteur des attentes des fans du livre : une orgie d’effets de style, de métaphores, de contes ancestraux et de dialogues magnétiques, à l’instar du monologue poignant de Mr Nancy dans l’épisode 2.

Hélas, la lune de miel ne durera qu’un temps. Bryan Fuller et Michael Green ont donc showrunné la saison 1 et avaient commencé à écrire la saison 2 avant de se faire virer. En cause, des réductions budgétaires drastiques et un clash, en coulisses, avec Neil Gaiman sur les libertés à prendre par rapport au roman. Deux visions artistiques se sont télescopées, et c’est évidemment le détenteur des droits de l’œuvre originale qui a gagné la manche. D’autres showrunners se succéderont par la suite, mais le bateau coule inexorablement. La série ne retrouvera jamais la superbe de ses premiers épisodes. En mars dernier, à l’issue de la diffusion de la saison 3, on apprenait l’annulation d’American Gods. Bryan Fuller, lui, était déjà parti depuis belle lurette sur d’autres projets.

Où la trouver ? Cette fois-ci, elle est disponible sur une plateforme ! Rendez-vous sur Prime Video pour voir ou revoir les trois saisons d’American Gods.

#5. Star Trek: Discovery (CBS All Access – dès 2017 – 3 saisons)

© CBS

L’arrivée de ce nouveau spin-off de l’univers Star Trek, cinquante ans après la série originelle, était déjà un événement en soi. La dernière occurrence d’un équipage de Starfleet en série (de live action) remontait à 2005 avec Enterprise. Quand bien même la franchise n’a jamais quitté le petit ou le grand écran, Discovery allait la faire entrer pleinement dans la modernité. On n’y suit plus un mais une capitaine, Michael Burnham, qui est, de surcroît, une femme noire incarnée par Sonequa Martin-Green. Et comme c’est devenu son habitude après Jaye (dont on vous parle juste après), George et Chuck, il donne à son héroïne un prénom masculin, comme un pied de nez aux conventions genrées. Le showrunner, fan ultime de Star Trek, a réalisé son rêve de gosse. Avant Discovery, il a fait ses premières armes de scénaristes sur Deep Space Nine, pour passer ensuite sur Voyager avec davantage de responsabilités.

Mais là encore, le rêve a pris fin prématurément puisqu’il a quitté la série après la saison 1. Dès le pilote, des désaccords ont éclaté entre lui et le studio : il voulait un réalisateur de la trempe d’Edgar Wright, ce qui lui a été refusé car trop cher. CBS souhaitait aussi sortir la série bien trop tôt pour lui. Pour le premier rôle, il voulait absolument Sonequa Martin-Green, qui devait d’abord se libérer de ses obligations sur The Walking Dead, ce qui a repoussé la production, au grand dam de la chaîne. À bout de patience, on lui a gentiment demandé de passer la main et de se retirer de la série. Quand on vous dit qu’il est maudit ce garçon…

Où la trouver ? Les aventures interstellaires en trois saisons de Star Trek: Discovery sont disponibles, en France, sur Netflix.

#6. Wonderfalls (FOX – 2004 – 1 saison)

Bienvenue au Wonderfalls Gift Emporium, la boutique souvenir d’un petit bled touristique à côté des chutes du Niagara. Jaye (Caroline Dhavernas), notre héroïne hyper caustique et un brin je-m’en-foutiste (tiens, ça nous rappelle quelqu’un !), y travaille sans grande conviction. Elle y passe pourtant le plus clair de son temps, elle qui n’aime pas vraiment sociabiliser ni fréquenter de trop près sa famille. Un beau jour, elle découvre avec horreur que les objets (avec un visage, c’est important !) qui l’entourent peuvent lui parler. Pire, ils s’adressent à elle de façon cryptique, voire carrément mystique. Peu encline à écouter des prophéties qu’elle a bien du mal à déchiffrer et émanant de figurines souvenir, peluches et autres attrape-gogos, elle tente de les ignorer. Mais les voix ne l’entendent pas de cette oreille.

Pour sa première création, en partenariat avec Todd Holland, Bryan Fuller a mis les deux pieds dans le mysticisme ; un thème, comme celui de la mort, qui traversera son œuvre. Je ne vous le cache pas, c’est une torture de la placer tout en bas de ce classement parce qu’elle tient une place toute particulière dans mon cœur de critique et sériephile. Comme pour Dead Like Me et Pushing Daisies, le moteur de Wonderfalls est un savant mélange entre le cœur et la raison, entre l’amour et les questions existentielles. On y découvre Caroline Dhavernas, que l’on retrouvera neuf ans après dans le rôle du Dr Alana Bloom dans Hannibal, et Lee Pace, le pâtissier trop chou de Pushing Daisies. Fun fact : Mahandra, la meilleure amie de Jaye incarnée par Tracie Thoms, devait initialement être jouée par Kerry Washington, et Adam Scott aurait dû interpréter son frère, Aaron. Mais leurs emplois du temps respectifs les ont empêchés de s’engager sur de futurs épisodes.

Hélas, faute d’audiences suffisantes sur FOX, la série a été annulée après seulement quatre épisodes. Il faut dire que la chaîne n’y a pas vraiment mis du sien à l’époque. Elle a d’abord diffusé le pilote de Wonderfalls le vendredi soir. Une case baptisée à l’époque “Friday Night Death Slot”. La télévision du début des années 2000 était un monde impitoyable et, traditionnellement, une diffusion le vendredi soir signait presque un arrêt de mort, les gens préférant généralement la salle de cinéma à la télé en cette veille du week-end. La FOX a donc rapidement changé son fusil d’épaule, pour la décaler au jeudi, sous de meilleurs auspices. Sauf que la chaîne, n’ayant jamais vraiment cru en Wonderfalls, a diffusé les trois épisodes suivants dans le désordre avant de mettre un terme à son supplice. La malédiction des séries de Bryan Fuller faisait sa première victime. Les 13 épisodes de la saison 1 ont tout de même eu droit à une existence télévisuelle lors de rediffusions et sont sortis en DVD.

Où la trouver ? Wonderfalls est hélas aux abonnés absents sur les plateformes de SVOD. On vous suggère de vous jeter sur les DVD et Blu-Ray (si vous les trouvez).