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I Am the Night : Chris Pine surnage dans un polar noir brouillon

I Am the Night : Chris Pine surnage dans un polar noir brouillon

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Par Adrien Delage

Publié le

Malgré une photo léchée et une mise en scène organique, le nouveau drama de TNT, sur fond d’affaire du Dahlia noir, peine à nous captiver.

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Entre deux séries résolument dopées à la testostérone (The Last Ship, Animal Kingdom), TNT a choisi de faire son trou dans la Peak TV à l’aide de prestige dramas sur fond de reconstitution historique. Après le succès des tueurs en série de The Alienist, achetée par Netflix à l’international, la chaîne câblée revient avec I Am the Night, libre adaptation de l’ouvrage autobiographique One Day She’ll Darken: The Mysterious Beginnings of Fauna Hodel en six épisodes. Pour donner une patte d’auteur à sa mini-série, TNT s’offre le talent de Chris Pine et de la réalisatrice Patty Jenkins, respectivement devant et derrière la caméra, deux acolytes ayant déjà œuvré conjointement sur Wonder Woman.

Le show créé par Sam Sheridan (SEAL Team) s’ouvre sur un pilote assez cryptique, découpé en une sorte de diptyque où les chemins de deux personnages sont amenés à se croiser. Le premier est Fauda Hodel (India Eisley, aperçue dans le quatrième opus d’Underworld), une jeune étudiante blanche (mais persuadée d’être métisse dans son esprit) dont l’identité est scindée en deux. Élevée par une mère adoptive noire, abandonnée dans un casino par des parents blancs, Fauda subit quotidiennement les rejets d’une société américaine raciste à l’aube des années 1960. Fatiguée et meurtrie par cette situation, elle décide de reprendre sa vie en main en partant à la recherche de George Hill Hodel, éminent chirurgien qui est aussi son grand-père et le suspect d’un meurtre notoire.

Le deuxième est Jay Singletary (Chris Pine), un journaliste pigiste extravagant et fauché du Los Angeles Herald Examiner et un junkie qui prend des risques inconsidérés pour arrondir ses fins de mois, au même moment. Sa passion morbide consiste à prendre des photos macabres de cadavres mutilés pour les revendre au plus offrant. Mais son petit monde est bouleversé le jour où il s’introduit dans la morgue où repose le corps démembré d’une jeune femme, qui n’est pas sans rappeler l’affaire du Dahlia noir qui avait secoué Hollywood en 1947.

Broyer du (film) noir

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I Am the Night est le fruit d’une longue période de gestation. Plusieurs années avant Wonder Woman, Patty Jenkins et Fauna Hodel s’étaient rencontrées pour transposer les mémoires de l’autrice sur le petit écran. Après son passage réussi chez DC et l’aval de Hodel, la réalisatrice est parvenue à donner vie à un projet qui lui tenait à cœur. Étrangement, c’est la partie “inventée” autour de Jay Singletary qui fonctionne le mieux dans la mini-série. Car malgré ce découpage intrigant en diptyque, I Am the Night souffre de gros défauts d’écriture qui en font un film de six heures plutôt qu’un format feuilletonnant et haletant.

En effet, Sam Sheridan et Patty Jenkins semblent être passés à côté de l’essentiel, donnant vie à un pilote ultrachargé et paradoxalement vide. Avec ce premier épisode, le scénariste peine à introduire ses personnages à travers des scènes brouillonnes voire totalement absurdes. Il oublie les outils basiques du format sériel pour planter un décor imposant et extrêmement bien mis en scène plutôt que de donner à manger à ses acteurs. Résultat : on peine à ressentir de l’empathie pour les héros de l’histoire. Pour être pleinement honnête, on s’ennuie ferme devant ce pilote de 55 minutes qui manque vraiment de mordant et souffre de son manque de didactisme.

Pourtant, l’angle d’attaque à travers les mémoires de Fauna Hodel est intéressant. L’affaire du Dahlia noir a été traitée de nombreuses fois dans la pop culture (Vikram Jayanti avec son documentaire Feast of Death, Brian de Palma sur son adaptation du roman d’Ellroy et même Ryan Murphy dans la première saison d’American Horror Story), si bien que le point de vue de l’autrice est pertinent. Mais il est avalé dans un déluge de dialogues boursouflés et d’acteurs en deçà, hormis un Chris Pine habité et intense qui tente péniblement de tirer l’œuvre vers le haut.

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Tout porte à croire que Sam Sheridan et Patty Jenkins ont opté pour la forme avant le fond. La mise en scène de la réalisatrice, photographie crépusculaire et ambiance de film noir à l’appui, est saisissante. Elle insuffle quelque chose de très organique à l’œuvre, comme si le Los Angeles d’antan s’animait devant nous. C’est beau et puissant, surtout dans des scènes poignantes sur la ségrégation urbaine et le poids de l’héritage, deux thématiques débattues entre India Eisley (trop inexpérimentée pour ce rôle) et Golden Brooks dans le rôle de sa mère adoptive. Les irrégularités de jeu, le contexte historique complexe et la forme du diptyque ne permettent pas d’entrer dans cet univers néo-noir.

Cela dit, I Am the Night ne manque pas de bonnes idées, de références pop et de touches d’humour noir pour traiter son sujet. La dégaine excentrique de Chris Pine évoque les meilleures heures des antihéros d’Harmony Korine, tandis que l’intrigue emprunte aux classiques du genre, L.A. Confidential et Le Privé en tête.

On trouve par ailleurs quelques séquences très inspirées, dont cette scène à la fois lugubre et tordante digne d’un film d’horreur dans laquelle Chris Pine se retrouve enfermé dans les cellules de la morgue avant d’en être extrait, pris d’un fou rire glaçant. Dérangeant mais irrésistible. On aurait souhaité que toute la mini-série reste aussi hard boiled et inspirée, mais l’aspect ampoulé de l’œuvre et ses imprécisions d’écriture prennent malheureusement le dessus.

En France, les six épisodes de I Am the Night sont inédits.