La saison 5 de Peaky Blinders n’est pas la meilleure, mais assurément la plus sombre

La saison 5 de Peaky Blinders n’est pas la meilleure, mais assurément la plus sombre

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Par Adrien Delage

Publié le

Les Shelby sont de retour dans une saison parfois hésitante mais toujours addictive. Attention, spoilers.

“Tu me fais peur, Tommy”, confie un Arthur désemparé face à son frère alors que la tentative d’assassinat d’Oswald Mosley a échoué. À seulement quelques minutes de la fin de l’épisode “Mr Jones”, l’aîné des Shelby résume en une phrase le ressentiment des spectateurs à l’égard de cette saison. La famille de Tommy a toujours été en proie au danger mais pour la première fois, ses liens se disloquent alors que le président de la Shelby Company a peut-être trouvé le seul obstacle qu’il est incapable de surmonter.

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Il faut dire que nos mafieux ont pris de plein fouet le contexte politico-social anxiogène et pernicieux de cette période de l’Histoire. La saison 5 s’ouvre sur le krach boursier de 1929, qui solde toutes les actions légales de l’entreprise gérée par Michael aux États-Unis. À Birmingham, Tommy doit également jongler avec son nouveau poste de député à la Chambre des Lords, où il est approché par un leader fasciste et charismatique. Enfin, il arrange comme il peut les affaires souterraines de sa famille, d’un trafic d’opium avec des Chinois à la corruption d’arbitres de football pour compenser les revenus en baisse des courses hippiques.

De façon intentionnelle, Peaky Blinders part dans tous les sens dans cette saison 5. Tommy est dépassé par les événements depuis qu’il a pris de l’ampleur en tant que politicien. Il n’est pas aidé par un Arthur à nouveau consumé par ses démons intérieurs et Michael qui, accompagné de sa femme Gina (Anya Taylor-Joy, vue dans Split et Glass), tente de prendre le contrôle de la Shelby Company. Pour ne rien arranger, les troubles stress post-traumatiques rattrapent notre antihéros qui recommence à subir les visions de Grace, l’entraînant dans une spirale infernale qui semble le conduire tout droit à la case suicide.

Une saison anxiogène

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Malgré les saisons qui passent, difficile de ne pas être séduit par les retrouvailles avec la famille Shelby. Si on aime la recette, le créateur Steven Knight s’assure de ne jamais trop la changer, à travers un cycle narratif qui n’est finalement pas si éloigné de The Walking Dead : Tommy et sa fratrie sont sur une pente ascendante, se font bousculer par un nouvel antagoniste et cherchent par tous les moyens à l’éliminer en évitant le plus possible les dommages collatéraux. Une entreprise risquée, qui nous a déjà enlevé le brave John après une confrontation musclée avec la mafia italo-américaine en saison 4.

Mais cette fois, l’ennemi des Peaky Blinders n’a pas forcément forme humaine. Au contraire, il s’agit d’une silhouette ombrageuse et menaçante, qui grandit dans les rues de Small Heath : le fascisme, importé par les mouvements respectifs d’Hitler et Mussolini en Europe, et incarné en Angleterre par la voix d’Oswald Mosley (Sam Claflin, excellent dans son costume de nazi sur-mesure). Un ennemi extraordinaire au sens le plus strict du terme, auquel Tommy n’a jamais été confronté, étant fraîchement devenu le porte-parole des communistes, ouvriers et autres oubliés de la société britannique.

Par le biais de ce climat inquiétant, la saison 5 de Peaky Blinders devient ainsi la plus sombre de toutes. Le “monstre” qu’évoque Tommy à Jane dans le dernier épisode est une hydre, dont la première tête est celle de Mosley. Mais il sait qu’en la coupant, d’autres repousseront tant qu’il ne les aura pas toutes eues. Malheureusement, Tommy a bien trop de soucis pour se consacrer uniquement à cette tâche herculéenne : sa vie de famille avec Charlie et Lizzie bat de l’aile, Arthur redevient instable sans la présence de Linda tandis que les Gray se retournent en partie contre lui pour laisser place à la nouvelle génération de bandits.

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Cette ambiance de désespoir passe également par une introspection de Tommy, hanté par des cauchemars et le souvenir de Grace qui l’appelle dans la tombe. Ce n’est jamais confirmé de vive voix, mais les innombrables cigarettes qu’il fume semblent le consumer petit à petit (Cillian Murphy le joue plus toussotant et fatigué que jamais) ; à moins que ce cancer fantôme ne soit que la métaphore de ses blessures intérieures. Il est aussi en souffrance du poids familial autour de la révélation de la mort de sa mère. En somme, Tommy mène une guerre sur deux fronts où sa seule échappatoire semble être le canon de son pistolet, qu’il pose sur sa tempe par deux fois dans la saison, comme un ultime renoncement.

Ce niveau de noirceur est aussi insufflé par la mise en scène d’Anthony Byrne, le nouveau réalisateur de la saison. Tout en respectant à la lettre le cahier des charges esthétiques de la série, il rajoute sa petite touche perso avec des plans confinés, souvent flous sur les côtés et particulièrement assombris en arrière-plan. Ainsi, les personnages deviennent leur propre source de lumière dans des scènes étouffantes, symbole de la menace extérieure qui pèse sur la famille et de leur isolement progressif (Tommy, Ada, Polly et Arthur vont chacun perdre un être cher cette saison).

Même en extérieur, dans des espaces ouverts et étendus, Anthony Byrne joue sur cette notion d’enfermement. On pense à la scène dans les champs de l’épisode 3, intense et visuellement sublime, où Tommy est en réalité cerné par des mines. Un pied dans l’inconnu et notre héros explose. Une jolie métaphore, dont l’aspect grisant est renforcé par ce brouillard ambiant qui coupe toute vision sur l’horizon autour de lui. Avec ses ambitions démiurges et son ego qui finira par le trahir, on pourrait presque croire que Tommy n’est plus qu’à un pas de la folie.

Les Peaky en passe de “sauter le requin” ?

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Même avec seulement six petits épisodes par saison, il n’est pas simple de se réinventer sur une série telle que Peaky Blinders, à l’empreinte visuelle et narrative si marquée. Pour réussir à passer ce cap, de nombreuses œuvres tombent dans le “jump the shark” qui consiste à aller si loin dans un twist que la crédibilité du show auprès des spectateurs en prend un coup. Alias, Prison Break, Grey’s Anatomy, Heroes, Homeland ou encore Riverdale deux fois par épisode ont sauté le requin.

Malgré tout le bien qu’on en pense, le bébé de Steven Knight et de la BBC y a échappé de peu cette année. En cause, la résurrection d’Alfie Solomons, qui n’est donc pas mort sur cette plage et est parti se planquer loin des autorités. La question de sa survie est évacuée en une phrase, laissant penser que Tommy n’était pas complètement résolu à le tuer ce jour-là. Aussi heureux soit-on de retrouver Tom Hardy et son charabia irrésistible, Peaky Blinders montre ici ses limites. Comme Game of Thrones, Vikings ou encore Gotham, elle a peur de sauter le pas en sacrifiant ses héros et opte pour la facilité du deus ex machina, voire du fan service.

Le second problème de cette cinquième saison repose essentiellement sur son format narratif : le slow burner, qui a toujours été mis en place de façon inégale au fil des saisons. Depuis ses débuts, le show évolue sur un rythme assez lent qui explose dans son climax final. C’est un procédé payant pour le spectateur patient mais aussi à double tranchant.

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Comme avec les princesses russes de la saison 3, on a parfois le sentiment que l’intrigue de la saison 5 stagne. Au terme du sixième et dernier épisode, on a même l’impression de visionner une saison coupée en deux, renforcée par le cliffhanger final, une pratique relativement peu courante dans la série qui aime habituellement conclure ses cycles (avec la mort de l’inspecteur Campbell ou de Luca Changretta par exemple dans les saisons 2 et 4). Enfin, les personnages féminins, Ada et Polly en tête, sont relégués à des archétypes (la mère pour l’une, l’épouse pour l’autre) assez nauséabonds, surtout pour des protagonistes habituellement sacrément badass.

Toutefois, on ne se fait pas trop de soucis pour l’avenir du show. Déjà, parce que Steven Knight a toujours eu un plan découpé sur sept saisons, dont l’ultime arc commence par la cinquième et se conclura au début de la Seconde Guerre mondiale. Ensuite, parce que comme Tarantino, le showrunner se complaît davantage dans des histoires de vengeance, ce qui sera visiblement le cas dans la saison 6. Et enfin, parce qu’on ne déconne pas avec les Peaky f*cking Blinders et leur succès, toujours en expansion si on en croit les audiences impressionnantes réalisées sur la BBC One. Les Shelby prennent de l’âge et, comme avec un bon cru de gin, on espère qu’ils continueront de s’embellir plutôt que de tourner au vinaigre.

La saison 5 de Peaky Blinders sera disponible en intégralité dès le 5 octobre sur Netflix.