Shrill, la série body positive qui remet les grossophobes à leur place

Shrill, la série body positive qui remet les grossophobes à leur place

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Par Florian Ques

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Ancrée dans l'ère de Trump, cette dramédie vibrante préfigure une meilleure représentation des personnes grosses. Oui, enfin.

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Plus les années passent, plus les séries se montrent inclusives. C’est un fait, les statistiques rapportées par des organismes dédiés comme Women and Hollywood ou encore GLAAD prouvent que de réels efforts sont entrepris par les chaînes et autres plateformes de streaming, avec pour but d’offrir une représentation la plus fidèle possible du monde contemporain. Eh oui, ça passe par davantage de diversité. Diversité ethnique, religieuse, sexuelle, de genre… mais aussi diversité des corps, bien que ce soit là où les séries pèchent la plupart du temps.

Comme une manie indécrottable dont on se passerait pourtant volontiers, le monde du divertissement dans son ensemble a une fâcheuse tendance à uniformiser la plastique humaine, en particulier celle de la femme. Une femme, sur le grand comme le petit écran, est souvent mince, toujours apprêtée, et avec le minimum d’imperfections possible. Pas très fair-play quand on prend conscience que dans les faits, les choses sont beaucoup plus nuancées que ça, comme nous le prouve la pétillante Shrill.

Arrivée dans une indifférence palpable sur Hulu (le concurrent direct de Netflix aux US, grosso modo), cette dramédie n’essaie pas de nous en mettre plein la vue avec un pitch venu de l’espace. Non, Shrill s’intéresse tout simplement à Annie, une jeune journaliste en herbe habitant Portland. Au quotidien, elle doit jongler entre son boss impertinent, sa vie amoureuse chaotique et des parents omniprésents. Qu’est-ce qui différencie Annie des autres héroïnes de séries qu’on a croisées jusqu’alors ? C’est bien simple, elle est grosse.

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Bien qu’Ali Rushfield (Love) soit installée au poste de showrunneuse, il est nécessaire de spécifier que la série est basée sur Shrill: Notes from a Loud Woman, un livre autobiographique de l’écrivaine et activiste américaine Lindy West, publié en 2016. Et au final, on se dit que c’est peut-être parce que Shrill s’inspire d’histoires vécues qu’elle est aussi réaliste dans son approche.

À travers tout juste six épisodes (courts, en prime), Shrill se montre plus progressiste que les trois-quarts des séries actuellement en production. Bien qu’elle soit grosse – qui, rappelons-le une bonne fois pour toutes, cet adjectif n’est pas une insulte ou un qualificatif dépréciatif – et que ce soit un élément-clé de l’intrigue, Annie n’est pas limitée à son apparence. Elle a des aspirations, des espoirs, des désirs. C’est une femme avant d’être une femme grosse. Ce constat est mis en valeur, par exemple, dans ses relations amoureuses, où la question de son poids n’est jamais mise sur le tapis.

Habituellement dans la pop culture, s’il y a un personnage en surpoids, c’est souvent la sidekick, la bonne copine pleine de conseils avisés mais sous-exploitée. Aux antipodes de ce qu’on a pu trop souvent voir, Shrill mise sur une héroïne grosse et ne rechigne pas à creuser les thématiques qui en découlent. Comme la grossophobie banalisée dont est fréquemment victime Annie, qu’elle vienne de sa mère surprotectrice, ses collègues ou encore les passants dans la rue. Cela donne lieu à des interactions souvent gênantes qui installent le malaise et qui, évidemment, poussent à réfléchir.

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La force de Shrill, c’est aussi son timing et son à-propos par rapport à l’actualité. Dès son premier épisode, un personnage a eu un rapport non protégé et évoque l’éventualité d’un avortement, chose à laquelle l’encourage son interlocuteur, précisant : “Avant que ça ne devienne illégal. C’est balancé d’un ton faussement blagueur, mais empreint de vérité. Plus tard, et à plusieurs reprises, Annie est victime de fat-shaming et écope d’insultes gratuites en plus d’être profondément méprisantes. C’est par ces exemples qu’on prend conscience que Shrill est ancrée dans l’ère de Trump, où la haine devient instinctive, puisque en quelque sorte “autorisée” par un président qui se permet des remarques dégradantes et autres sorties, et où, de facto, le simple fait d’appartenir à une minorité ou un groupe discriminé, et d’exister se transforme en acte militant.

Par moments cela dit, on pourrait reprocher à Annie (justement incarnée par Aidy Bryant, débauchée du Saturday Night Live pour l’occasion) d’être une héroïne un peu terne, trop passive, surtout si on la compare à Davia dans Good Trouble ou Plum dans Dietland, d’autres femmes grosses issues de séries qui ne se laissent pas marcher sur les pieds. Puis, après réflexion, on se dit que non. Un personnage gros n’a pas à nécessairement être une icône de body positivism. Il peut aussi se contenter d’exister sans avoir à confronter continuellement les étriqué·e·s d’esprit grossophobes.

Trop de personnes vont passer à côté de Shrill, et c’est bien dommage, car elle contient l’une des scènes les plus réjouissantes – et jamais vues – du monde des séries. Pour un article, Annie se rend à une pool party un peu spéciale : l’événement en question est destiné aux femmes grosses. On repère ainsi tout un groupe de femmes (noires, blanches, métisses, etc.), en maillot, montrées sans artifice. Elles ont de la cellulite, des vergetures, mais c’est bien le cadet de leurs soucis. Elles sont belles, confiantes et c’est tout ce qui importe : voilà le message d’acceptation de soi prôné par Shrill, série gentiment révolutionnaire qu’on ne peut que conseiller.

La première saison de Shrill a débarqué le 15 mars 2019 sur Hulu aux US, et reste inédite en France.