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The Witcher, ou le plaisir coupable pulp de la fantasy

The Witcher, ou le plaisir coupable pulp de la fantasy

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Ⓒ Katalin Vermes/Netflix

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Par Adrien Delage

Publié le

L'œuvre d'Andrzej Sapkowski prend vie dans une adaptation minutieuse mais trop complexe pour les néophytes. Attention, spoilers.

Le 22 septembre 2002, la chaîne polonaise Telewizja Polska lançait la diffusion de la série Wiedźmin, connue outre-Atlantique sous le titre The Hexer. Cette petite saison de 13 épisodes, plus tard compilés dans un film de deux heures ô combien décrié, fut la première adaptation en chair et en os de la saga du Sorceleur, écrite par Andrzej Sapkowski. Il aura presque fallu attendre 20 ans plus tard pour que l’auteur concède une nouvelle fois les droits d’adaptation, cette fois à Netflix et la showrunneuse Lauren S. Hissrich (Daredevil) pour une version anglo-saxonne.

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La mythologie de The Witcher évolue dans un monde vaste et politisé, où monstres, conquêtes belliqueuses et magie font loi. Dans cet univers de fantasy, des chasseurs de primes portant le titre de Sorceleur sont chargés de tuer les créatures maléfiques contre rançon. Les romans suivent la quête de l’un d’entre eux, le puissant et taiseux Geralt de Riv, confronté au Destin inéluctable de croiser sur sa route deux femmes d’une importance majeure : la magicienne Yennefer et la jeune Ciri, la princesse d’un royaume attaqué par un État conquérant, l’empire de Nilfgaard.

Dans les grandes lignes, la série de Netflix reprend cette trame, n’oubliant pas au passage d’inclure des personnages secondaires essentiels à l’intrigue (le poète Jaskier, la magicienne Triss, le druide Sac-à-souris…). La première saison retranscrit des passages tirés des deux premiers tomes de la saga, Le Dernier Vœu et L’Épée de la providence, deux recueils de nouvelles qui n’ont pas forcément de lien entre elles mais qui permettent d’introduire en douceur l’univers de The Witcher. Mais qu’en est-il de l’adaptation, qui cherche à rester fidèle aussi bien avec le fond que la forme proposée par Andrzej Sapkowski ?

Une adaptation respectueuse…

Ⓒ Katalin Vermes/Netflix

Impossible de ne pas évoquer les jeux vidéo de CD Projekt, vendus à des millions d’exemplaires, quand on parle de l’univers de The Witcher. Le studio polonais est parvenu à traduire en pixels l’imagination de l’auteur. La popularité exponentielle des jeux, au détriment des livres, avait même fini par agacer Andrzej Sapkowski, lancé dans une bataille juridique et financière avec CD Projekt pendant plusieurs années. Le premier défi de Lauren S. Hissrich était donc d’outrepasser Wild Hunt et consorts pour refaçonner l’univers du Sorceleur avec sa propre sensibilité.

Les choix esthétiques décidés par les équipes créatives sont forcément clivants. Mais force est de constater qu’un effort non négligeable a été réalisé pour proposer une adaptation fidèle : les décors européens, les compositions de Sonya Belousova et Giona Ostinelli, les costumes de Cintra jusqu’au look cauchemardesque des Goules, nous ramènent dans le folklore slave qui imprègne les livres. Le découpage des épisodes, pensé plus ou moins par rapport aux nouvelles des romans mais dans un ordre temporel différent, est également le choix du respect de l’œuvre, qui ne rend pas toujours claire et cohérente la narration des premiers épisodes.

Tout comme les romans, la série prend son temps pour introduire ses personnages et son bestiaire, quitte à déplacer quelques éléments dans le temps pour faire intervenir plus rapidement les trois héros de l’histoire, Geralt en tête. Son interprète Henry Cavill, fan devant l’Éternel des livres et des jeux vidéo (qu’il assure avoir terminé plusieurs fois) est allé jusqu’à contacter la production dès l’écriture du script pour s’emparer du rôle-titre avant tout le monde. Une épée en acier dans le dos, une heure de maquillage chaque jour pour obtenir une peau pâle et une perruque argentée plus tard, il incarne en chair et en os le Sorceleur des légendes du Continent.

Ⓒ Katalin Vermes/Netflix

Ce genre de partitions taiseuses et flegmatiques est toujours un défi à jouer. On se rappelle d’Anson Mount dans la peau du Black Bolt d’Inhumans ou encore de Norman Reedus alias Daryl dans The Walking Dead, rôles qui leur ont souvent valu un sentiment d’antipathie voire de prestations en demi-teinte. Dans le même genre, les Sorceleurs, qui subissent des mutations génétiques dès leur enfance les privant de leurs émotions, sont froids et distants avec le reste de la population. Henry Cavill aggrave donc sa voix et son regard pour camper Geralt, dans une partition irrégulière et qui risque bien de refroidir les spectateurs allergiques aux archétypes de l’antihéros monolithique.

En revanche, l’acteur britannique performe là où on l’attendait au tournant. Après plusieurs mois d’entraînement à l’épée, Henry Cavill a accepté de faire toutes ses cascades quitte à se blesser plusieurs fois lors du massacre de Blaviken dans l’épisode 1. Son combat préféré par ailleurs, dont il a composé une partie de la chorégraphie. Un peu moins réussis, les combats contre les monstres frôlent parfois le grotesque en terme de budget mais sont toutefois inspirés dans la mise en scène. C’est le cas de l’affrontement intense contre la Strige, qui a servi de base à l’aspect horrifique de la série comme le confiait Julian Parry, le superviseur des effets spéciaux, à Games Radar.

Qui n’est pas comparable à Game of Thrones

Ⓒ Katalin Vermes/Netflix

En toute logique, nombreux sont celles et ceux qui voient en The Witcher un héritier de la série monstre signée HBO. Pourtant, des gouffres séparent les deux œuvres : elles n’appartiennent pas au même sous-genre de la fantasy, n’obéissent pas au même mode de diffusion, s’accompagnent de fan base diverses et sont basées sur une culture et une Histoire bien distinctes. Game of Thrones n’avait pas non plus de stars comme Henry Cavill dans sa première saison, tandis que les critiques n’avaient pas été tendres à son égard au cours des premiers épisodes.

L’intrigue de The Witcher est également bien plus resserrée et le seul véritable point commun partagé avec le show de David Benioff et D. B. Weiss tient sur ses personnages féminins. Complexes, indépendantes et surtout puissantes (Ciri et Yennefer possèdent des pouvoirs magiques), les femmes de The Witcher représentent l’aspect le plus réussi et captivant de la série, soutenus par les prestations convaincantes des jeunes actrices Freya Allan et Anya Chalotra.

Ainsi, il n’est pas étonnant de voir que Lauren S. Hissrich et ses scénaristes sont plus à l’aise pour raconter leurs histoires. Les passages de Yennefer et Ciri sont ceux qui osent le plus d’initiatives (sous le contrôle de Sapkowski, venu plusieurs fois assister au tournage). On pense principalement à l’épisode 2 et le retour sur les origines “quasimodesques” de la magicienne, qui ouvre un pan de son passé bien plus sibyllin dans les romans. Un point de vue pertinent sur ce personnage, qui rattrape les égarements narratifs, venant ponctuellement plomber la compréhension et surtout l’immersion dans cet univers pourtant fascinant.

D’un côté, on pourrait reprocher à The Witcher son aspect parfois nanardesque et la froideur de son antihéros, en plus d’une expérience narrative à plusieurs périodes pas toujours très bien jaugée. De l’autre, Netflix n’a jamais promis le fameux “prestige” déposé de HBO, qui a donné des œuvres incontournables telle que Game of Thrones. En fin de compte, The Witcher se rapproche d’un show de fantasy à la sauce pulp, avec ses qualités et ses faiblesses, ses coups de génies et ses tropes épuisés jusqu’à la moelle de Nécrophage. Un plaisir coupable, qui prend de l’ampleur au fur et à mesure des épisodes et qui promet d’entamer sa fable tragico-héroïque dans une saison 2 déjà validée par le géant américain.

La première saison de The Witcher est disponible en intégralité sur Netflix.