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Warrior : la rencontre western et kung-fu entre Banshee et Peaky Blinders

Warrior : la rencontre western et kung-fu entre Banshee et Peaky Blinders

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© Cinemax

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Par Adrien Delage

Publié le

Avis aux orphelins de Lucas Hood et aux fans de films d'arts martiaux des années 1970.

Voilà une histoire de business revanchard que seul Hollywood est capable de produire. Au début des années 1970, Bruce Lee, l’un si ce n’est le plus grand maître d’arts martiaux de l’histoire du cinéma, avait écrit un script pour la télévision intitulé The Warrior. L’acteur sino-américain l’avait pitché à Warner Bros., qui lui avait gentiment indiqué le chemin de la sortie. Peu avant son décès en juillet 1973, les studios ont finalement sorti leur propre projet en se réappropriant le récit de Bruce Lee, réécrivant une partie de l’histoire et modifiant son titre en Kung Fu.

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La série au concept volé a véritablement été diffusée entre 1972 et 1975, avec David Carradine en tête d’affiche et sans aucune mention de Bruce Lee dans les crédits. Après la mort de ce dernier, sa veuve Linda Lee Cadwell s’est longtemps battue dans les médias pour que justice soit faite, sans jamais parvenir à convaincre Warner Bros. de reconnaître la vérité. Il aura finalement fallu attendre 2015 pour que Shannon Lee, fille de Bruce, récupère le script original et le porte à l’écran, cette fois dans sa version officielle, avec les talents combinés de Jonathan Tropper (ex-showrunner de Banshee) et du cinéaste Justin Lin (Fast and Furious).

Quatre ans plus tard, Warrior a finalement vu le jour sur la chaîne Cinemax, cousine “trash” de HBO. Le récit originel de Bruce Lee est un savant mélange entre films d’arts martiaux et western spaghetti sur les conflits mafieux dans le Chinatown de San Francisco, au lendemain de la guerre de Sécession. Les différents tongs se mènent une lutte sans merci pour le contrôle de l’opium, des bordels et du territoire, alors qu’un jeune immigré chinois, Ah Sahm, débarque pour retrouver sa frangine et faire sa loi dans ce climat instable et xénophobe.

Enfin une digne héritière de Banshee ?

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La présence de Jonathan Tropper au générique de Warrior est loin d’être anodine. Depuis l’arrêt de Banshee en 2016, les orphelins de Lucas Hood attendaient son nouveau projet avec une certaine impatience. Il faut dire que ce scénariste fan de films pulp possède un sens certain de la série B virile et très rythmée. Son influence dans Warrior se ressent dès les premières minutes du pilote : un inconnu déboule dans une nouvelle ville, bien décidé à en découdre avec les brutes locales. Ah Sahm étale trois flics réputés afin d’appliquer sa propre justice, comme un certain shérif remplaçant quelques années auparavant…

Les références et similitudes avec Banshee ne s’arrêtent pas là. On retrouve dans Warrior des personnages très caricaturaux, à la limite du cartoonesque : un parrain de la mafia borgne qui fronce les sourcils, la tenancière d’une maison close qui se révèle être une sanglante assassine, un boutiquier noble en apparence qui fait en réalité du trafic d’esclaves (d’ailleurs incarné par Hoon Lee, bien-aimé Job de Banshee)… Tropper maîtrise suffisamment bien la limite entre grotesque et réalisme pour les rendre crédibles dans son monde sanglant.

En parlant d’univers, le Chinatown de San Francisco de la fin du XIXe siècle est superbe. L’équipe créative s’est appliquée sur la photographie et les décors, si bien qu’on retrouve un petit air de Peaky Blinders dans Warrior. Il faut dire que la mise en scène, partiellement composée de ralentis et de gros plans sur les membres des tongs en train d’enfiler leur veste, se raser ou tout simplement marcher dans les rues, évoque le charisme et la classe british du clan Shelby.

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Pour ne pas se concentrer uniquement sur le parcours initiatique d’Ah Sahm, Tropper et Justin Lin s’intéressent aux mœurs et à la politique protectionniste de l’époque. Une période post-guerre civile qui a laissé des traces entre les Nordistes et les Sudistes, mais aussi au niveau économique. Les Américains ont la haine, celle créée par la pauvreté et le chômage, alors que les immigrés chinois, qui fuient également la famine, sont de plus en plus nombreux à San Francisco. Cette haine se transforme finalement en racisme lorsque les tongs et autres gangs s’attaquent également à l’économie souterraine, se disputant le contrôle de la drogue et des prostituées.

Si le pilote installe des enjeux plutôt intrigants à suivre, il faudra voir dans le reste de la saison comment les scénaristes exploitent ce climat anxiogène pour mieux le décortiquer. Dans leur camp, ils ont des acteurs plutôt convaincants même si Andrew Koji (The Innocents), l’interprète d’Ah Sahm, n’a pas le magnétisme de Jon Bernthal et la gueule d’Antony Starr.

Enfin, les scénaristes (trois hommes et une femme, Shannon Lee, dans la writers’ room de la série), conscients de leur univers très masculin, proposent pour le moment deux personnages féminins possiblement prometteurs : l’épouse du maire, maîtresse de son mariage et des pulsions de son mari, et Ah Toy (Olivia Cheng, vue dans Deadly Class), justicière à la nuit tombée qui tue littéralement deux crapules au cours du pilote. On repassera en revanche pour la nudité féminine, ici gratuite, avec des corps de femmes très sexualisés, une caractéristique qui ne trahit peut-être pas le genre du pulp mais qui ne passe pas le test de Bechdel.

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Impossible de parler du pilote de Warrior sans évoquer l’un de ses aspects les plus importants, ses bastons. Une très belle surprise, puisque la violence des coups s’harmonise avec la poésie du kung-fu grâce à une mise en scène épurée et des chorégraphies calibrées. Tout aussi brutales que Banshee, moins spectaculaires mais plus réalistes qu’Into the Badlands, les scènes de combat s’imposent comme un hommage à la “Bruceploitation” des seventies, entre modernité technique et poses ancestrales des arts martiaux.

Contrairement à feu les séries Marvel de Netflix, Warrior est bien plus généreuse en séquences musclées, ne se contentant pas d’en caler deux au début et à la fin de l’épisode. La série multiplie les situations et les mouvements (sabres, matraques, coups de poing, coups de pied…) sans jamais forcer le trait. Notre scène préférée du pilote : l’affrontement de regards et de poses, sans véritable violence frontale, entre Ah Sahm et Bolo, qui procura une intense émotion aux fans de jeet kune do.

Le Festival Séries Mania Lille diffuse les deux premiers épisodes de Warrior à 20 heures à l’UGC Ciné-Cité ce vendredi 29 mars. La série sera ensuite disponible en France sur OCS Go, en US+24 à partir du 6 avril.