Wu-Tang: An American Saga, un biopic appliqué mais exigeant pour les néophytes

Wu-Tang: An American Saga, un biopic appliqué mais exigeant pour les néophytes

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Par Adrien Delage

Publié le

La mini-série sur RZA et ses acolytes séduit par son casting mais refroidit les novices par sa densité. Attention, spoilers.

En 2019, le biopic musical a connu une recrudescence fulgurante. Sur le grand écran, Rami Malek et Taron Egerton ont respectivement prêté leurs traits à Freddie Mercury et Elton John, récoltant une grosse poignée de dollars et de récompenses (Bohemian Rhapsody est le 3e plus gros succès de l’histoire de la 20th Century Fox). À la télévision en revanche, les mics et la nostalgie des années 1990 sont bien plus en vogue que les guitares et les lunettes disco, en particulier quand on parle du cultissime Wu-Tang Clan.

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En l’espace de quelques mois, le groupe new-yorkais a eu le droit à deux œuvres revenant sur son succès et ses origines. Showtime a lancé le coup d’envoi en mai dernier, avec la série documentaire Wu-Tang Clan: Of Mics and Men, qui revenait sur l’histoire des rappeurs à l’aide d’images d’archives et d’interviews inédites. Dans le même temps, Hulu préférait cette fois une mini-série scriptée, cocréée par RZA et le scénariste Alex Tse (Watchmen : Les Gardiens), soit une fiction basée sur des faits réels où les membres du Wu-Tang sont incarnés par des acteurs.

Les dix épisodes de Wu-Tang: An American Saga se déroulent à Staten Island au début des années 1990, alors que les membres du collectif ne se connaissent pas encore tous. Certains sont même ennemis et s’affrontent par le biais de gangs rivaux pour le contrôle du trafic de crack. La mini-série, qui multiplie forcément les points de vue comme toute œuvre chorale, s’attarde particulièrement sur le jeune Bobby Diggs, qui se rêve DJ et ne sait pas encore qu’il prendra bientôt le pseudonyme de RZA. Dans l’ombre, il se prépare à rassembler un collectif à l’aide de ses deux cousins, Russell “Ol’ Dirty Bastard” Jones et Gary “GZA” Grice, qui va révolutionner le hip-hop américain et changer la face de New York.

Une mini-série dense voire hermétique

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La légende du Wu-Tang Clan s’est construite dans un contexte sociopolitique anxiogène et malsain. L’épidémie de crack qui frappait alors la Grosse Pomme a fait de nombreux morts et entraîné des guerres de gang sanglantes pour le contrôle des boroughs. Les dix membres fondateurs du groupe sont nés dans cet environnement voué à s’autodétruire, prenant le risque et l’audace de s’en sortir grâce à leur talent et leur passion : la musique. RZA l’a bien fait comprendre à Alex Tse et l’équipe de la mini-série, qui en font le point d’ancrage du biopic et son sujet principal.

Forcément, conter la naissance de l’un des plus grands groupes de hip-hop de l’histoire est une tâche ardue. Il faut brosser un portrait d’un nombre incalculable de personnages, des artistes à leur famille en passant par les membres du label Loud Records et les personnages secondaires. Sans connaissance préalable sur les origines du Wu-Tang, on se perd très vite dans cette mini-série très documentée qui décuple les points de vue. De quoi faire passer les maisons de Game of Thrones pour une petite famille de campagne…

Le spectateur peut toutefois s’accrocher à l’histoire de Bobby (Ashton Sanders, vu dans Moonlight), jeune prodige des beats et réminiscence d’Ezekiel Figuero, le héros de The Get Down. De la série Netflix, on retrouve d’ailleurs l’excellent Shameik “Shaolin Fantastic” Moore, dans le rôle de Raekwon, ainsi qu’une flopée d’acteurs plutôt convaincants pour camper les icônes du groupe. Malheureusement, Wu-Tang: An American Saga mise pleinement sur la connaissance des spectateurs, parti pris qui écarte directement les néophytes pour un visionnage parfaitement fluide de cette chronique dense voire carrément hermétique.

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Le show s’adresse de prime abord aux fans du groupe, qui prendront plaisir à (re)découvrir les origines du dixtuor, profitant des clins d’œil au film Shaolin and the Wu Tang avec un sourire en coin. Pour les autres, ils auront l’impression d’être balancés sans tutoriel dans une toile d’araignée géante dont il est extrêmement compliqué de faire les liens, surtout quand plusieurs membres du futur groupe commencent par se cribler de balles dans le pilote. La mini-série aurait parfois gagné à être plus didactique, d’autant plus qu’elle prend son temps pour creuser ses héros et leur situation comme un vrai slow burner qui explosera avec la naissance du Wu-Tang Clan.

La partie artistique du show est plus réussie et épurée que le reste. On la doit aux réalisateurs Craig Zisk (Weeds) et Chris Robinson (Star), qui font du Baz Luhrmann en évitant soigneusement le kitsch et le grandiloquent à l’excès. Les deux metteurs en scène multiplient les transitions fluides et musicales, comme pour insuffler un rythme lancinant à la mise en scène. Cette idée, qui fonctionne bien sur le papier, souffre finalement du déséquilibre entre cette réalisation mouvante et une narration lente, qui en diminue le rendu. Les fans de productions mafieuses pourraient toutefois y trouver leur compte sans s’intéresser particulièrement au Wu-Tang, puisque ses membres étaient régulièrement liés à des affaires sordides de trafic et de meurtres.

La série de RZA et Alex Tse aurait pu incarner un The Wire new-yorkais, mais elle n’en avait peut-être pas l’ambition. Après tout, nous vivons dans un monde magique pour les fans du Wu-Tang Clan, qui ont désormais une pléthore d’œuvres pour découvrir les origines du groupe, qu’elles soient dramatisées ou non. Difficile de bouder notre plaisir devant un biopic musical qui parle avant tout de musique, et tant pis pour la partie criminelle et quelques personnages sous-exploités abandonnés en chemin. C’est à croire que les 36 chambres du Wu-Tang ne représentent pas seulement l’un des plus grands albums de l’histoire, mais un concept à part entière.

Les dix épisodes de Wu-Tang: An American Saga sont inédits en France.