Il y a 20 ans, la série Dawson démontait déjà le mythe du mâle alpha

Il y a 20 ans, la série Dawson démontait déjà le mythe du mâle alpha

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Par Marion Olité

Publié le

Si Dawson a parfois été rétrospectivement maladroite sur certains sujets, elle a proposé de très beaux portraits d’homme.

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20 ans. Il y a 20 ans déjà, les spectateurs américains découvraient pour la première fois la chambre de Dawson, l’échelle qu’empruntait Joey pour le retrouver, cette poupée E.T. du blondinet fan de Steven Spielberg, et ces monumentales prises de tête sur leur condition d’adolescents en pleine puberté.

J’ai grandi en même temps que les personnages de Dawson. Je me souviens encore des bandes-annonces qui passaient sur TF1 pour teaser son arrivée imminente. J’étais devant mon écran, le 10 janvier 1999, du haut de mes 14 ans, pour regarder les premiers pas à Capeside de Dawson, Joey, Pacey et Jen. Plus que n’importe quelle autre œuvre de pop culture, Dawson a influencé mon rapport aux hommes. En ces temps de remise en question des séries des années 1990 (oui, je parle de cette polémique autour de Friends), la série semi-autobiographique de Kevin Williamson reste plus que pertinente sur bien des sujets. Elle avait décidé de ne pas prendre les adolescent·e·s pour des truffes. Ni les hommes, ni les femmes. Mais au contraire, de les faire réfléchir à ce qu’ils étaient en train de vivre.

Alors oui, Dawson a parfois été too much dans la psychanalyse et elle assumait un romantisme exacerbé avec toute cette histoire d’âme sœur (pour ça, je ne lui dis pas merci !), mais elle s’est aussi fait la voix d’une société en pleine transition, notamment à travers ses figures masculines.

Boy, you’ll be a man soon

La série s’attaque au concept de masculinité toxique – c’est à dire à tous ces clichés et ces codes que les hommes doivent assimiler pour rentrer dans la case “vrai mec” – à plusieurs reprises. Dès la saison 1, l’épisode “Detention” met en scène l’affrontement entre Dawson et Pacey, qui le surnomme “Oompa Loompa” devant les filles. Ils en viendront aux mains, avant de s’expliquer calmement et de s’avouer leurs complexes respectifs.

Le personnage de Pacey (Joshua Jackson) est fascinant à plus d’un titre. Il représente tout le paradoxe de ce qu’on attend d’un homme. Au début de la série, il est ce mec “mi-cool, mi-connard” que la société lui demande d’être. Il comprend mieux les filles que la plupart de ses potes, parce qu’il a trois soeurs et qu’il lit “Cosmo”. Donc il sait comment séduire une femme, mais manquant d’expérience sexuelle, il complexe intérieurement, et se la raconte extérieurement. Élevé par un père réac et violent, il finira par lui dire ses quatre vérités lors d’une scène poignante. Il rejette donc une partie de cette masculinité qui veut que les mecs ne parlent pas de leurs sentiments. 

Et c’est au fil de ses relations romantiques qu’il se construira une personnalité de plus en plus attachante et “complète”. Avec Tamara, il prend conscience de sa sexualité et développe une relation étonnamment mature au fil des épisodes. Cette storyline, qui comprend tout de même un détournement de mineur (il a 15 ans, elle en a 36), est encore défendue par Kevin Williamson aujourd’hui. “Je ne la changerais pas, car elle servait un but précis et était basée sur une histoire de ma propre enfance. Mais si j’écrivais Dawson aujourd’hui, je ne l’aurais probablement pas mise.”

Avec Andie, sa première relation longue, Pacey réalise qu’il a les capacités de poursuivre des études et de soutenir la femme qu’il aime quand elle fait face à une maladie mentale. S’il développe un petit complexe du héros au passage, il grandit. En tant qu’ami puis amoureux de Joey (Katie Holmes), le jeune homme sera toujours là pour la pousser à développer ses capacités, que ce soit en tant que leadeuse d’un mouvement de protestation ou en tant qu’artiste. Il ira même jusqu’à lui acheter un mur. Personne n’a oublié ce mur.

Pacey est fait pour être en couple : il devient meilleur et encourage sa moitié de toutes les façons possibles. Et quand il s’agit de sexualité, il sait en parler en amont avec sa partenaire. Il n’a aucunement besoin d’un cours sur le consentement et demande naturellement à Joey ou Andie si “elle est sûre”. What a man. 

“I don’t want to be different”

Parmi les figures masculines marquantes de l’histoire de Dawson, il y a évidemment Jack (Kerr Smith). Love interest de Joey au début de la saison 2, il réalise un coming out sous la contrainte après avoir rédigé un poème ambigu. Il fait alors face à un père qui veut le “soigner”, à une sœur qui pense que la famille McPhee a déjà subi assez de “difficultés” pour ne pas en ajouter une autre, ou encore à une petite amie qui se sent trahie. Sans compter les réactions puériles de ses petits camarades au lycée, qui taguent l’insulte “fag” (“pédé”) sur son casier. Au passage, la seule personne qui l’aidera explicitement dans cette épreuve, qui ira jusqu’à s’engueuler sévère avec sa copine et à s’embarquer dans une croisade contre l’éducation nationale, c’est Pacey, aka cet homme parfait (oui, je suis #TeamPacey).

Et puis, ce baiser en fin de saison 3, dans le season finale “True Love”, où Jack se décide à franchir le pas avec Ethan, restera un beau râteau mais aussi et surtout le tout premier baiser homosexuel à être diffusé sur un network américain (on est le 24 mai 2000 pour info). S’ensuit une conversation avec son père pour le moins poignante. 

“Cette storyline a toujours été spéciale pour moi et Greg [Berlanti, ndlr]. Greg et moi avons écrit les épisodes du coming out 214 et 215 ensemble. Ils se sont bâtis autour d’une histoire venue de l’enfance de Greg, et puis j’y ai ajouté les réactions de ma famille“, a-t-il expliqué à Entertainment Weekly.

Après ce moment difficile, Jack apprend à vivre son homosexualité – il se pose des questions sur une éventuelle bisexualité, dans une scène avec Abby qui évoque le fait que “tout le monde est bisexuel” et que “les étiquettes”, ça craint, #avantgardiste – et à s’imposer dans des milieux parfois très masculins comme le football américain. Il est aussi dépeint comme un lycéen tout court, qui peut à l’occasion vexer ses ami·e·s. Sa relation avec Jen, sa confidente et colocataire avec sa grand-mère, et bref, son âme sœur platonique, est peut-être au final la plus belle histoire d’amitié de la série.

Et qu’en est-il de notre héros alors ? Dawson (James Van Der Beek) himself se pose en anti-mâle alpha, tout en étant plutôt du genre réac. Comment ça, il est compliqué ? Ben oui, spoiler alert : les hommes peuvent aussi être paradoxaux et complexes car la société leur renvoie aussi des messages contradictoires.

Mâles sensibles

Heureusement, les femmes de la vie de notre Peter Pan, de Joey à Jen en passant par Eve ou sa mère Gail, vont se charger de remettre en cause ses idées préconçues. C’est au contact de Jen (Michelle Williams), le personnage féminin mal-aimé de la série et pourtant le plus riche, qu’il évoluera le plus. Alors qu’avec Joey, son âme sœur, tout doit être épique et parfois artificiellement compliqué, dès la saison 1, Jen remet en place Dawson qui tombe des nues quand il apprend qu’elle n’est pas vierge et en gros la slut-shame.

En saison 2, elle l’éloigne de sa zone de confort et finit par l’entraîner à nager nu dans un lac (on parle de Dawson, je vous rappelle, le mec le plus coincé de la Terre). Et ce qu’on peut sauver d’une saison 5 très bof, c’est la relation amoureuse mature, peut-être la première de sa vie, qu’il développe avec Jen. Se comportant parfois comme un petit mâle orgueilleux, notamment en pensant qu’il est le futur Spielberg, il est calmé par sa nouvelle prof de cinéma en saison 2, puis par l’arrivée de Nikki (Bianca Lawson) en saison 3 (ça c’était le moment où les scénaristes ont réalisé que la série était un peu beaucoup trop blanche, et se sont attaqués au white privilege d’un coup d’un seul).

La quête identitaire de Dawson est donc pavée de femmes qui vont constamment l’amener à se remettre en question. Vivant dans un état de doute permanent, le jeune homme s’identifie aussi par son amitié avec Pacey, qui sera menacée plusieurs fois, notamment quand les deux ados se retrouvent à aimer la même fille. Le traitement de cette relation, qui passe par des moments où ils ne se parlent plus du tout, et d’autres où ils se disent tout, s’éloigne considérablement des clichés de la “bro culture”. La série nous dit en creux que l’amitié masculine ne repose pas que sur les moments de beuverie entre potes et les matchs de foot. Quand Pacey se perd sur son bateau dans une mer déchaînée et se réfugie sur une crique (Saison 4, épisode 3), seul Dawson, alors fâché avec lui, saura le retrouver et lui sauver la vie. 

La relation de Dawson avec son père, Mitch, s’avère aussi des plus intéressantes. Séduisant, sexuellement actif avec sa mère, cette figure paternelle représente au début la parfaite image du mâle cool, un poil moderne (sa femme bosse, pas lui) mais pas trop. Mais l’adultère de Gail va remettre en cause sa vision de la vie. On assiste en saison 2 à une scène émouvante entre lui et Dawson, Mitch lui expliquant que son propre père lui a appris bien des choses dans la vie (“comment se raser”, “être un homme” etc.) mais pas comment réagir à cette situation. Il explose alors en sanglots.

Les larmes des hommes ont émaillé Dawson (ce mème devenu mythique est là pour en témoigner) et rien que ça, c’est déjà une preuve que les personnages masculins sont traités différemment. Comme les femmes, ils expriment leurs émotions dans cette série sensible, basée sur l’empathie et la communication. Ça pleure beaucoup dans Dawson, jusqu’à la fin, jusqu’à cette dernière scène entre Joey et Pacey, quand les deux tourtereaux regardent la série de leur pote, qui raconte leur adolescence.

Alors je ne suis pas mécontente d’avoir grandi en regardant Dawson, de m’être prise d’affection pour tous ces personnages masculins, plus complexes qu’il n’y parait au premier abord. Je pense à la génération suivante, qui a eu le droit à Gossip Girl et ses protagonistes malsains, et je lui conseille de donner une chance à Dawson, même 20 ans plus tard.