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Antonio Banderas (Genius) : “Picasso était un vampire à la recherche de chair fraîche pour créer”

Antonio Banderas (Genius) : “Picasso était un vampire à la recherche de chair fraîche pour créer”

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© National Geographic

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Par Adrien Delage

Publié le

À l’occasion de la diffusion de la saison 2 de Genius sur National Geographic en France, nous avons rencontré son interprète principal, Antonio Banderas. Ce dernier campe le peintre légendaire Pablo Picasso, un artiste dont il connaît l’œuvre et la vie sur le bout des doigts et nous en parle mieux que n’importe quelle biographie.

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Biiinge | Est-ce vous pouvez nous parler de votre transformation physique pour le rôle de Picasso ?

Antonio Banderas | C’est une grande partie du travail d’acteur. Le premier jour, on le supporte. On vous pose le maquillage, la perruque et les prothèses, vous vous regardez dans le miroir et vous exclamez : ‘Oh mon Dieu, c’est impressionnant’ ! Mais quand vous devez vous réveiller tous les jours à deux heures du matin pour être chez le maquilleur à trois heures, passer entre 4 et 5 heures immobile sur une chaise puis commencer à tourner à 8 heures, c’est éprouvant.

Et ce n’est pas le pire. Le reste de la journée, vous passez votre temps à transpirer dans cette peau externe, ce qui crée des cloques. Les maquilleurs accourent pour les transpercer avec une aiguille et faire évacuer la sueur [il s’interrompt et fait la grimace], avant de recoudre la prothèse rapidement. [Il souffle longuement avant de reprendre.] Ensuite, vous devez vous habituer à jouer avec ce masque, à le toucher, pour exprimer vos émotions à travers lui alors que vos lèvres, vos joues, vos narines et vos dents sont fausses.

Au début, j’avais du mal à m’exprimer, comme si je mâchais constamment mes mots. Et une scène qui vous prendrait 5 minutes à tourner peut alors se transformer en une heure de calvaire. C’est vraiment compliqué, il faut être patient et je pense sérieusement qu’il faudrait inventer l’anesthésie pour le maquillage. Ils vous endorment le matin en vous injectant une substance bizarre, vous maquillent et vous vous réveillez prêt à jouer la scène. Je crois que j’ai un brevet à déposer [rires].

Quelle relation entretenait Picasso avec sa popularité ?

Picasso est l’un des premiers peintres de l’Histoire à être acclamé comme une rock star. Après la Seconde Guerre mondiale, de nombreux livres ont commencé à parler de sa célébrité. Je pense notamment à celui de son petit-fils, Olivier Widmaier-Picasso, qui a écrit la biographie Picasso : Portrait intime. Il raconte qu’une vingtaine de filles attendait devant sa porte chaque jour !

Il avait deux femmes, et ce n’est pas tant que ça, croyez-moi. Quand on voit les acteurs d’aujourd’hui, qui se baladent avec le double de femmes au bras tous les week-ends… [rires]. Avec Picasso, elles étaient consentantes, elles l’aimaient, elles auraient dénoncé toute situation d’abus. Il s’est marié deux fois. D’abord avec Olga Khokhlova, une union qui a duré plusieurs années avant que leur relation se dégrade pour des raisons de nationalité.

Puis, sa deuxième et dernière femme était Jacqueline Roque. Picasso avait également trois maîtresses dans sa vie qui occupaient une place importante : Marie-Thérèse Walter avec qui il a eu une fille, Maya, qu’il m’arrive de côtoyer ; Françoise Gilot, et leurs deux enfants Paloma et Claude ; et Dora Maar qui est devenue très pieuse à la fin de sa vie. En fin de compte, oui, Picasso a connu beaucoup de femmes et ça a créé une sorte de mythe autour de sa personne.

Par exemple, quelque temps avant de peindre Guernica, il vivait une période de crise. Il sortait avec Olga, Marie-Thérèse et Dora pratiquement en même temps. Ces relations ont généré des situations compliquées. [Attention, spoilers.] L’une des plus drôles relatée dans la série reste la bagarre entre Dora et Marie-Thérèse, qui est complètement véridique dans la réalité. Et apparemment, cette situation lui plaisait énormément [rires].

Est-ce que quelque part Picasso abusait de son pouvoir ?

Il n’y avait pas d’abus à proprement parler, dans le sens où il pousserait des gens à faire quelque chose contre leur volonté. C’est assez surprenant, mais son inspiration venait en grande partie de sa sexualité. Picasso s’adonnait au sadomasochisme avec Dora Maar, elle en parlait dans ses lettres retrouvées à sa mort. Mais ce n’était pas un souci puisqu’ils étaient tous les deux consentants et avaient une sexualité libérée.

En revanche, dans l’esprit de nombreuses personnes, sa relation avec Marie-Thérèse posait problème, car elle n’était pas majeure. Puis elle s’est suicidée par pendaison après sa mort. Mais Picasso l’aimait vraiment, même après leur séparation, il continuait à lui envoyer des lettres ou à l’appeler. Il ne l’a jamais vraiment abandonnée. Leur fille Maya et leur petit-fils, avec qui je me suis entretenu, me l’ont confirmé.

“Picasso était infidèle, et il ne le cachait pas”

Vous savez, Picasso incarnait une sorte de centre de gravité, comme une planète qui attirait vers lui de nombreux satellites. Il était souvent difficile de quitter son orbite sans égratignures. Françoise Gilot pensait y être parvenue, mais quand vous regardez sa fiche Wikipédia, vous vous apercevez qu’elle était passionnée par la peinture française… et le musée Picasso. Elle n’a jamais réussi à effacer complètement cette partie de sa vie.

Dans la série, nous ne voulions pas glorifier Picasso dans son entièreté et vous verrez ses mauvais côtés ressortir au fur et à mesure des épisodes. Mais pour moi, il ne ressemblait à aucun autre artiste. Son talent, sa curiosité, sa capacité à faire évoluer constamment son style jusqu’à son dernier souffle en faisaient une personne exceptionnelle. Il n’en avait rien à faire de savoir si son art était actuel ou pas, il ne cherchait pas à se justifier face à son public ou les critiques, il peignait simplement ce qu’il avait envie de peindre.

Quelle est la chose à retenir de sa personnalité, de son œuvre ?

S’il y avait une seule chose à retenir de Pablo Picasso, c’est qu’il créait au gré de ses envies, un peu à la manière d’un enfant. D’ailleurs, il n’a jamais tué l’enfant qui sommeillait en lui, jamais. Cette situation a généré beaucoup de plaisir chez lui, mais aussi des problèmes, car il voulait absolument tout, et tout de suite.

Il prenait un peu de ci, un peu de ça, un peu de vous aussi, parce qu’il le pouvait. Il était juste trop puissant, trop talentueux, trop respecté, trop riche, trop habité. Il était inarrêtable. C’est un peu comme le soleil : vous savez que vous en avez besoin, mais il peut vous brûler. Et parfois, il finissait par brûler des gens.

Que saviez-vous de Picasso avant de tourner Genius ? Et qu’avez-vous appris de lui pendant le tournage ?

Honnêtement, je pensais qu’il était pire que ça. J’ai compris que le mythe qui l’entoure s’était bâti autour de situations très spécifiques, nées du bouche-à-oreille et des écrits. Les livres qui parlent de lui n’ont pas hésité à le critiquer, et Picasso ne se défendait jamais publiquement. D’ailleurs, il n’a jamais rédigé un livre, un article ou répondu à une interview pour se justifier de ses actes.

En revanche, il est entré en conflit avec Françoise Gilot et son livre [Vivre avec Picasso, ndlr]. Il considérait ce portrait comme une trahison, car elle ne parle pas uniquement de leur relation, mais aussi d’éléments intimes et privés comme ses relations avec sa fille, avec Fernande ou des choses confidentielles qu’il lui confiait. D’ailleurs, il a porté l’affaire en justice.

Mais lors de l’audience, le juge a dit une phrase qui faisait sens à l’époque : “Elle sert de modèle pour vos peintures, non ? Alors, pourquoi n’aurait-elle pas le droit d’écrire un livre sur vous ?” L’affaire s’arrêta là, mais Picasso continua d’être en désaccord avec les descriptions rédigées dans le bouquin. Et une fois encore, on se demande qui a raison et qui a tort dans l’histoire, ce qui est réel et ce qui ne l’est pas. Même si on peut être sûr d’une chose à propos de lui, qui était de notoriété publique : il était infidèle, et il ne le cachait pas.

En réalité, le changement et la nouveauté étaient comparables à une inspiration pour lui. Il ne pouvait respirer sans changer d’air. Il donnait littéralement tout à son art, il s’abandonnait à lui. C’était tout ce qui comptait pour Picasso. Tout le reste était moins important, y compris ses enfants, ses femmes, la politique… Le fait de peindre et le sujet de sa peinture lui permettaient de combler ce vide que ressentent les artistes en leur for intérieur.

Je me suis rendu compte que Picasso est comparable à Dracula [rires]. C’est un vampire, il avait constamment besoin de chair fraîche, de quelque chose d’excitant afin de créer une œuvre innovante, inattendue. C’est l’histoire du vertige pictural de Dora Maar et de sa période néoclassique avec Marie-Thérèse, où il rend hommage à la maternité.

Dans ces peintures, il y a un aspect très féminin où apparaissent des femmes valeureuses qui courent le long de la plage. C’est très beau, très pur, il capte un moment de vie et le transcende.

Avez-vous déjà peint dans votre vie ?

Quand on m’avait proposé le rôle de Salvador Dalí [le projet de biopic de Simon West, qui date de 2008, avait été abandonné, ndlr], j’ai commencé à peindre. Je voulais ressentir la sensation du pinceau, de l’acrylique, des huiles et des toiles avant de l’incarner et je me suis beaucoup amusé. Pour le rôle de Picasso, j’ai recommencé et j’ai peint deux tableaux pour la série.

J’ai réalisé deux copies, celui du Portrait de Dora Maar et celui du Baiser. Ce sont deux tableaux magnifiques que j’affectionne particulièrement. Je n’ai utilisé que trois couleurs comme les originaux, le noir, le blanc et le bleu, et quelques nuances de gris. Je pense que je vais les brûler, parce que la famille de Picasso va les détester [rires].

Ça nous fait rire mais toutes les reproductions de tableaux utilisées dans la série ont été brûlées, Guernica incluse ! C’était précisé dans notre contrat, car ce sont des copies.

Est-ce que vous avez d’autres projets de série à venir ?

Comme toujours, cela dépendra de la qualité d’écriture du script et des personnages. Pour être honnête, je me méfie des séries en cours de diffusion de 10, 12, 20 épisodes… Je trouve que ça devient vite répétitif et que le script a tendance à perdre de sa superbe avec la longévité de la série. Je préfère les séries d’anthologie comme Genius et True Detective, qui ont un début, un milieu et une fin déterminés en huit ou dix épisodes.

Dans ces séries, vous avez le temps de construire votre histoire, de l’explorer en profondeur sans jamais être ennuyeux. Je suis assez exigeant avec les rôles de série car, quand vous signez pour un show, ce n’est pas comme un film où vous pouvez rentrer chez vous après le tournage et passer à autre chose. Avec les séries, vous êtes pris au piège pendant des années [rires] !

En France, la saison 2 de Genius est diffusée tous les mardis soir sur National Geographic.