Comment Casual a réussi son bond dans le temps dans une excellente saison 4

Comment Casual a réussi son bond dans le temps dans une excellente saison 4

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Par Marion Olité

Publié le

Un choix toujours extrêmement casse-gueule.

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Quand une série fait le choix d’un bon dans le temps après plusieurs saisons au compteur, c’est rarement bon signe. Ressort scénaristique bien connu des writers’ rooms, le time jump masque péniblement la panne d’inspiration des scénaristes (oui, c’est vous que je vise les Desperate Housewives). Quand j’ai commencé à m’attaquer à la saison 4 de Casual, une de mes dramédies préférées, et réalisé que la série de Zander Lehmann avait pris ce chemin risqué, j’ai eu peur de découvrir une ultime saison basse du plafond, qui ne saurait plus quoi faire de ses personnages. Silly me.

Ce bond dans le temps, de quatre ou cinq ans, a été soigneusement préparé. Les changements inévitables (et recherchés) restent dans le ton réaliste de la série. Ils sont complètement plausibles. Prenez Alex (Tommy Dewey) : rasé de près (c’est très bizarre au début), il est devenu papa, mais il traîne toujours son égocentrisme légendaire, qui a du mal à se conjuguer avec sa recherche désespérée d’une relation amoureuse sur le long terme.

Celui qui avait imaginé une appli de rencontre au début de la série se laisse donc tenter par les dates en réalité virtuelle, qui vont connaître un boom dans quelques années si l’on en croit les scénaristes de Casual. Il est toujours exaspérant quand il s’y met, mais aussi terriblement bouleversant dans sa quête maladroite d’amour et de connexion avec son prochain. Valerie (Michaela Watkins) n’a pas changé dans le fond non plus : elle reste cette éternelle insatisfaite, émotionnellement détachée et paradoxalement en quête de moments de bonheur.

La vie, douce-amère

C’est Laura (merveilleuse Tara Lynne Barr) qui illustre le mieux ce bond dans le temps : l’ado incomprise, qui se jetait à corps perdu dans des relations condamnées d’avance, revient en ville, et invite sa mère et son oncle au restaurant. Au premier abord, elle a changé et semble épanouie avec sa nouvelle copine, Tathiana. Elle travaille dans un grand restaurant, en cuisine, un domaine qui, a priori, l’intéresse vraiment. Devant l’étonnement positif de sa mère, Laura lui répond : “Ta vie a dû beaucoup changer aussi.” Valerie sourit et repense à toutes les activités random qu’elle a testées.

Elle a tenté des choses, mais finalement, elle se retrouve coincée avec ce sentiment de traverser sa vie sans vraiment l’apprécier. Ce qui va la conduire à changer de trajectoire professionnelle. De son côté, la belle assurance de Laura s’évapore dès que sa relation avec Tathiana, qui date en fait de deux mois, connaît un premier remous. Derrière la Laura 3.0 se cache toujours une adolescente prête à resurgir à la première insécurité.

On continue donc de suivre le cheminement intérieur de trois êtres qui ne sont plus tout à fait les mêmes et en même temps pas complètement différents non plus. Ils ont gagné (un peu) en sagesse, se connaissent un petit peu mieux, mais leur détresse émotionnelle menace de réapparaître de bien des manières dans chaque épisode savoureux de cette saison 4.

Connecting people

Le diable se cache dans les détails. L’autre élément scénaristique qui rend plausible ce bond dans le temps est le lien spécial qu’entretient depuis le début la série avec la technologie. En cette période de révolution numérique perpétuelle, qui dit time jump dit avancées high-tech très probables, sans pour autant se retrouver dans les extrêmes de la dystopie Black Mirror. C’est exactement ce qui a été imaginé ici : ainsi, Val fait un cauchemar dans lequel une intelligence artificielle, façon Hal dans 2001, l’Odyssée de l’espace, lui fait comprendre que sa vie est pourrie. Elle rentre chez elle dans un Uber qui n’a plus de chauffeur, et s’énerve quand l’écran tactile la dépose à un endroit qui ne lui convient pas.

Toujours à l’affût de la dernière nouveauté high-tech, Alex parle constamment à une intelligence artificielle qui gère sa maison. En 2018, ce marché de la maison automatisée reste une niche mais est en pleine progression. Et dans cinq ans, comme dans la série ? Nous aurons probablement tous et toutes un boîtier Google Home chez nous. De son côté, Val pose des questions existentielles à son assistant virtuel Ova, sorte de Siri amélioré.

Plus tard, dans un épisode très “Man vs Wild”, Alex se laisse guider dans la forêt par une appli, Mindbath, sorte de coach virtuel zen, qui l’accompagne dans la prise d’une drogue censée lui ouvrir ses chakras et le guérir de ses soucis psy (enfin, c’est ce qu’il croit). Sans être une totale catastrophe (mais un peu quand même), cette expérience ne se passe pas comme prévu pour lui. Enfin, ce n’est pas pire que son expérience de rendez-vous en VR.

Dans Casual, la technologie fait donc partie du quotidien des personnages. Comme aujourd’hui, elle fait peur à certains quand d’autres se réfugient dedans. Elle ne règle pas leurs problèmes, mais ne les empire pas vraiment non plus. Elle est présente, objective, à leur disposition. Alors, oui, le parallèle entre l’addiction numérique d’Alex et sa difficulté dans la vraie vie à se connecter aux gens est évident.

Mais le cœur de Casual, et c’est ce qui en fait une des meilleures dramédies de ces dernières années, ce sont ses personnages. Ce trio familial dysfonctionnel, parfois codépendant (on comprend pourquoi, notamment durant les flash-back de la saison 3, qui reviennent sur la grossesse de Valerie), parfois nocif, et pourtant si bouleversant à regarder évoluer. Il me reste quatre épisodes à voir avant de dire au revoir à Casual, mais quelle que soit sa fin, elle restera pour moi cette tentative douce-amère de percer le concept d’amour – filial, romantique, platonique – au temps des algorithmes.