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Genius, une leçon d’histoire poétique et captivante sur Albert Einstein

Genius, une leçon d’histoire poétique et captivante sur Albert Einstein

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Par Adrien Delage

Publié le

Le scientifique et physicien de renom est loin d’être seulement ce mec un peu fou qui tirait la langue comme Michael Jordan avant de dunker. Attention, spoilers.

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Conséquence (ou raison d’être) de l’ère de Peak TV que nous traversons actuellement, de nouvelles chaînes s’aventurent dans le monde des séries. C’est au tour de National Geographic, chaîne à l’origine dédiée aux sciences et à la nature, de produire et diffuser ses propres contenus. Après le docu-série de science-fiction Mars, elle vient de lancer mardi 25 avril (en US+24 en France) Genius, un show d’anthologie qui, comme son nom l’indique, reviendra sur les plus grands cerveaux que notre civilisation a connus. La première saison de dix épisodes, basée sur l’œuvre Albert Einstein: His Life and Universe du biographe Walter Isaacson, revient sur le parcours du fameux père de la théorie de la relativité.

Les scénaristes Raf Green (Legends) et Noah Pink, aux commandes de l’anthologie, ont adapté la biographie à travers deux époques-clé. Ainsi, la narration de Genius se déroule en deux temps : la jeunesse du physicien, incarné par l’impeccable Johnny Flynn (vu dans Lovesick), à la fin du XIXe siècle, et son âge d’or dans les années 1920, avec l’immense Geoffrey Rush dans le rôle du scientifique.

Autant le dire tout de suite, l’acteur australien en impose grave avec la moustache et les cheveux gris en pétard. Si l’intelligence et les découvertes de son personnage fascinent, c’est bien le charisme de Geoffrey Rush qui porte cet objet sériel bien ficelé. Une œuvre à la fois sombre, poétique et drôle traitant l’histoire d’un génie avant tout humain.

Time is (not) a flat circle

Si Genius évite judicieusement d’adopter un ton démagogue dans sa narration, elle reste une leçon d’histoire nécessaire qui permet de de transporter le spectateur dans la réalité de l’époque. Dans les années 1920, Albert Einstein est un professeur d’université respecté de ses pairs et connu du peuple allemand. Juif de naissance, il observe avec appréhension la montée du nazisme et l’arrivée d’Adolf Hitler au pouvoir. Premier moment fort de la série : en 1922, alors que le futur dictateur n’est encore qu’un artiste raté, le docteur Fritz rassure son ami physicien. “On l’aura tous oublié dans un an”, lui dit-il sereinement. Une réplique qui fait froid dans le dos quand on connaît les tragédies qui survinrent par la suite.

Les ventes de Mein Kampf explosent, des affiches à l’effigie d’Hitler sont placardées sur les murs de Munich, le culte de la personnalité et la répression de la Gestapo suivent… Toutes les étapes de la victoire du parti nazi sont soigneusement mises en scène dans Genius. Au milieu de cet enfer, Einstein tente de résister et de se révolter quand il voit ses amis auteurs et scientifiques se faire assassiner. Autrement dit, son côté littéralement “génial” est mis de côté dans cette temporalité au profit d’une facette plus humaine de sa personnalité.

On découvre alors un homme, de nos jours considéré comme une icône de la pop culture, donc une figure historique quasi mythique, des plus sensibles. Geoffrey Rush incarne cette personnalité du XXe siècle avec la tendresse et le zeste de folie nécessaire pour le rendre aussi attachant que grave. Car au-delà d’avoir fait breveter le réfrigérateur et validé une petite hypothèse appelée théorie de la relativité, Albert Einstein était un homme socialement et politiquement engagé contre la stigmatisation des minorités. Cet aspect de sa personnalité est directement lié à sa jeunesse difficile. Les séquences dans le passé permettent d’ailleurs de faire intelligemment des ponts entre les deux époques.

Récemment, je reprochais aux scénaristes de la mini-série The Son, qui est un western proposant une narration ponctuée de flashbacks similaire au show de Nat Geo, de créer un déséquilibre de rythme et d’intérêt entre les deux timelines. À l’inverse, les scénaristes de Genius ont tout compris. Non seulement les deux intrigues coïncident et se répondent, mais elles ont chacune leur propre nœud de tension. Si la version âgée d’Albert Einstein affronte un contexte politique extrémiste et antisémite qui le dépasse, le jeune étudiant se frotte à la complexité des relations humaines comme l’amour. Il se sent incompris, comme reclus et emprisonné par son propre génie.

La meilleure partie des shows de super-héros est souvent celle qui aborde leurs galères et leurs entraînements au début de leur voyage initiatique. C’est un peu la même idée qui traverse les flashbacks de Genius, où l’autodidacte Albert Einstein se confronte au nationalisme allemand et à une famille qui ne parvient pas à le suivre intellectuellement, préférant l’abandonner pour le laisser grandir.

Pendant ses années d’études, Einstein est un vrai révolutionnaire qui décide d’être citoyen du monde en faisant le choix de devenir apatride. Son père le traite de communiste, tandis que son mentor à Polytechnique lui reproche son désintérêt pour les matières littéraires et biologiques. Dans cet univers compliqué, il ne cesse de se poser des questions captivantes sur les lois de l’univers, impressionnant sans cesse son entourage par la même occasion.

Amour et gravité

Einstein ne jure que par la science, et la mise en scène intimiste de Ron Howard (encore un réalisateur ciné de plus dans le monde du petit écran), aux commandes de cet épisode pilote, le lui rend bien. Le cinéaste propose un travail sur l’image très british, qui évoque le Sherlock de la BBC. Ron Howard multiplie les plans symétriques et retranscrit de manière imagée à l’écran les pensées perdues d’Einstein dans l’espace, comme lorsque Holmes s’emploie à faire des déductions au cours d’une enquête. Cette réalisation fraîche, dynamique et pétillante permet de ne jamais s’ennuyer et surtout de vulgariser les concepts scientifiques complexes évoqués dans la série.

À plusieurs reprises, les personnages citent Spinoza, Nietzsche et Newton, évoquent les travaux du compositeur Erik Satie, parlent d’un certain Walther Rathenau… Genius est une œuvre forcément exigeante du fait de son sujet et de son contexte historique, mais sa sensibilité poétique contrebalance judicieusement les moments où il s’agit d’expliquer la relativité ou la vitesse de la lumière. Par exemple, la gravité est symbolisée par le rapprochement entre Einstein et Marie Winteler, amoureusement attirés l’un par l’autre comme deux astres flottant dans l’espace.

Même à travers leur portait historique, les scénaristes de Genius n’oublient pas de faire écho à la vision du travail parfois très androcentrée de notre époque. Einstein est plus ou moins présenté comme sexiste au début de sa vie. Il faut dire que les femmes ne sont pas légion dans le domaine des sciences (très peu de personnages féminins apparaissent d’ailleurs dans les trente premières minutes du pilote). Rapidement, il va se faire remettre les idées en place à Polytechnique par Mileva Maric, seule étudiante à l’avoir battu en maths au concours d’entrée. Une jolie leçon de vie pour le bonhomme, qui mettra au point la théorie de la relativité à ses côtés – et accessoirement, l’épousera.

Le premier épisode de Genius propose une lecture en deux facettes – méconnues – de la personnalité d’Albert Einstein, loin de la figure populaire qu’il représente à notre époque. Cet épisode pilote est un drame intimiste hyper touchant sur un homme d’une intelligence incommensurable, incapable de régler tous les problèmes du monde malgré un cerveau en ébullition et une vraie sensibilité. De l’autre côté, c’est un thriller fascinant prenant place dans l’Allemagne de l’entre-deux-guerres, en proie à la montée du nazisme et des discriminations raciales. Espérons que les créateurs de Genius n’auront pas joué toutes leurs cartes dans cet épisode mené d’une main de maître du début à la fin.

En France, la saison 1 de Genius est diffusée en US+24 sur National Geographic.