Fleabag, Insecure, Chewing Gum… pourquoi les filles “awkward” sont nos nouvelles chouchoutes

Fleabag, Insecure, Chewing Gum… pourquoi les filles “awkward” sont nos nouvelles chouchoutes

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Par Delphine Rivet

Publié le

Ode à la fille awkward


Elle est le produit d’une longue (et lente) évolution. Et à chaque nouvelle marche gravie, c’est à une femme que l’on devait ce progrès. Des scénaristes qui en ont eu marre de ne pas se retrouver dans les héroïnes que leur proposait la télévision, une industrie encore aujourd’hui dominée par des hommes. La fille awkward a pourtant eu une icône de choix en la personne de Lucille Ball. La comédienne a créé la sitcom dont elle serait la star, I Love Lucy, en 1951 et fut la première femme à la tête d’un grand studio, Desilu Productions, qui a donné naissance à des séries cultes comme Mission: Impossible ou Star Trek. Mais revenons à Lucy : cette héroïne complètement loufoque, qui se mettait dans les pires situations (les plus drôles aussi), au mépris, souvent, de ce que la morale de l’époque exigeait des femmes. Comme les hommes, elle voulait se déguiser (pas très féminin ça, ma bonne dame !), faire des grimaces (s’enlaidir devant des millions de gens, quelle horreur !), des acrobaties (quel manque de grâce !), bref elle voulait jouir du même éventail d’artifices comiques. Et ce que Lucille Ball voulait, elle l’obtenait. Dans les années 1950 et 1960, elle était la femme la plus influente de l’industrie.
Cinquante ans après, son héritière se nomme Tina Fey, avec sa série 30 Rock. Avec elle, la fille awkward qui ne colle pas aux standards de la féminité, connaissait un nouveau souffle. Et une fois de plus, c’est dans la comédie qu’elle s’épanouit. Tina Fey appartient à la même vague de comédiennes loufoques, angoissées et/ou paumées qu’Amy Poehler (Parks and Recreation) ou Julia Louis-Dreyfus (Seinfeld, Old Christine, Veep). Par l’humour, ces actrices rompues à l’exercice du stand-up sont allées sur un terrain jusqu’ici trusté par les hommes. Elles se sont moquées d’elles-mêmes, ont parlé de cul, de la culture du jeunisme dans l’industrie, bref, elles ont dessiné les contours d’une nouvelle forme de “féminité”. Et par “nouvelle”, on veut dire qu’elle a toujours été là, mais que jamais ô grand jamais, on ne devait l’exposer aux yeux de tous. La seule féminité qui vaille, c’est celle que nous dicte une société patriarcale et qui brandit l’hétérosexualité comme une norme.

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Pour leurs auteures, il s’agit autant de raconter des histoires que de partager leurs expériences personnelles. Et si, en fin de compte, la fille awkward n’était pas juste “normale” ? Ce qui est sûr, c’est qu’elles ont aussi permis à une certaine communauté de femmes de trouver une voix. Une émancipation dans l’émancipation, en somme. On la doit à Chewing Gum et Insecure : la “Awkward Black Girl”, un trope exploré par la Web-série du même nom créée par Issa Rae. Celle-ci expliquait justement comment elle s’était autorisée à défoncer les clichés sur les femmes noires, tantôt sacralisée sur les écrans, tantôt hypersexualisée. Ainsi, Issa Rae déclare dans une interview pour Fast Company :

“Shonda Rhimes m’a vraiment aidée à réaliser à quel point ma voix comptait, et à quel point j’avais besoin de la faire entendre.”

Elle revendique juste le droit de dépeindre une femme noire ordinaire, voire ennuyeuse. Mais c’est apparemment un tel repoussoir pour certains grands studios qu’Insecure et Chewing Gum, toutes deux centrées sur des jeunes femmes noires qui nous racontent la banalité de leur quotidien (OK, celui de l’héroïne de Chewing Gum est un peu plus foufou), ne sont pas des purs produits du système hollywoodien. Pour la simple et bonne raison qu’elles ont dû exister en dehors de ce système, avant de se voir dérouler le tapis rouge (celui des critiques, tout du moins). Les deux étaient d’abord des Web-séries, Awkward Black Girl et The Chewing Gum Diaries, qui ont servi à convaincre HBO et E4 d’en vouloir plus.
Parce que si tout le monde peut s’imaginer une fille awkward blanche, c’est un rôle que l’on confie moins aux jeunes femmes noires, trop peu représentée et, quand elles le sont, trop souvent rangées dans des cases. En élargissant l’éventail des représentations – et parce que, comme on l’a démontré, les filles awkward sont en fait une multiplicité de physiques, de personnalités, d’attitudes, de complexes, de névroses, bref ce sont toutes les femmes de ta vie –, elles offrent de nouveaux modèles à celles qui les regardent. Des modèles imparfaits, mais ultra-attachants par la force des choses, dont on a désespérément manqué jusqu’ici dans nos séries.