Guerrilla : une mini-série poignante et prometteuse sur la radicalisation dans les seventies

Guerrilla : une mini-série poignante et prometteuse sur la radicalisation dans les seventies

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Par Adrien Delage

Publié le

Le créateur d’American Crime nous plonge dans un drame intense et émouvant, qui fait plus que jamais écho aux conflits raciaux de notre époque. Attention, spoilers.

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Face au fondamentalisme et à l’extrémisme ambiants de notre époque, les scénaristes du petit écran prennent la parole. À travers leur art, les créateurs et showrunners du monde des séries viennent donner une voix aux minorités comme ce fut le cas en ce début d’année avec When We Rise de Gus Van Sant, le show qui revenait sur les émeutes de Stone Wall. Netflix diffusera prochainement la série Dear White People, qui effraie déjà les suprémacistes blancs aux États-Unis, tandis que Showtime lançait la semaine dernière la mini-série Guerrilla, développée par John Ridley.

Le romancier et réalisateur afro-américain est un homme politiquement engagé. Ce dévouement envers sa communauté se ressent dans l’ensemble de ses œuvres, de son roman futuriste sur les super-héros Those Who Walk in Darkness au long-métrage doublement oscarisé Twelve Years a Slave, qu’il a produit. Quant aux sériephiles, ils ont déjà eu un aperçu des thématiques défendues par le bonhomme (immigration, lutte des classes, droit du travail…) dans l’anthologie déchirante American Crime.

Avec Guerrilla, une mini-série découpée en six parties, John Ridley fait de nouveau le pari de nous sensibiliser au racisme à travers un projet ambitieux. L’intrigue de Guerrilla nous plonge dans le Londres dangereux et divisé des seventies, où la montée de l’extrémisme entraîne de graves répercussions sur les minorités ethniques. Au milieu de cette violence, un couple, Marcus (Babou Ceesay) et Jas (Freida Pinto), va décider de s’engager dans cette lutte de couleurs jusqu’à la radicalisation.

Une mise en scène intimiste et poétique

Au début du pilote, les deux amoureux se sentent engagés dans la cause du Black Power, sans pour autant participer à ses actes de violence. Mais au cours d’une manifestation, l’un de leurs amis est sauvagement tabassé puis tué par les policiers britanniques. Jas et Marcus décident donc de marcher sur la voie des révolutionnaires, en commençant par faire évader Dhari (Nathaniel Martello-White, glacial et terrifiant), un prisonnier politique radicalisé qui va les endoctriner dans sa cause violente et unilatérale.

Dès les vingt premières minutes du pilote de Guerrilla, on comprend que John Ridley (réalisateur de l’épisode) ne veut pas faire dans la grandiloquence. Il n’y a pas de grands héros, de discours épiques ou de scènes inutilement barbares pour souligner son propos. Au contraire, tout se joue dans l’intimité de nos deux amants. John Ridley s’attarde à filmer leurs mains qui s’entrelacent, qui saignent, qui unissent deux couleurs, contraste saisissant avec la réalité de la guerre raciale qui se joue en-dehors de leur cocon d’amoureux.

De manière poétique et porteuse d’espoir, la caméra de John Ridley s’embarque avec eux dans leurs ébats, dans leur souffrance, dans la violence des manifestations où les policiers ont pour ordre de frapper sans retenue tous les Noirs sur leur chemin. C’est dur, poignant et franchement réaliste. En s’immisçant au plus profond de leur intimité, John Ridley transmet son propos sans aucune surenchère ou prétention d’apporter une forme de moralité bien-pensante. La guérilla du titre de la mini-série s’échauffe aussi bien dans les rues que dans le cœur de ses Roméo et Juliette, dont l’amour se déchire à mesure qu’ils se radicalisent pour faire entendre coûte que coûte leur humanité et les droits qui en découlent.

Par moment, Guerrilla est terrifiante de modernité. Le début des années 1970 évoque étrangement notre époque : les attentats à la bombe, les manifestations qui déraillent en casse, la montée du Front national (“The national front is a nazi front”, scandent les manifestants)… Si les costumes et les décors de reconstitution de ce Londres à feu et à sang n’étaient pas là, le parallèle temporel serait aussi évident que Big Ben dans le quartier de Westminster.

Une fresque sur le racisme de l’autorité

Pour nous ancrer dans cette réalité crue, John Ridley n’hésite pas incorporer des figures et des événements de l’époque, de la même manière que Baz Luhrmann consacrait un épisode au black-out de 1977 dans The Get Down. Ainsi, on entend parler des réformes de Richard Nixon, de l’évasion de l’écrivain Timothy Leary et des militants du Black Panther Party comme Elridge Cleaver. C’est une vraie leçon d’histoire qui se déroule sous nos yeux et qui nous permet plus que jamais de relativiser à l’approche d’une élection présidentielle animée, mais bien calme en comparaison des revendications de nos aînés.

Certains critiques américains ont reproché au créateur de Guerrilla le manque de femmes noires dans sa lutte sociale. Dans le premier épisode, il est vrai que ces dernières passent quasiment inaperçues. Mais c’est un affront envers le travail de John Ridley, qui avance dans sa mini-série que des femmes de toutes les origines se jetaient dans les manifestations aux côtés des Noirs, en dépit du danger encore plus grand qu’elles encouraient. De même, c’est bien Jas (Freida Pinto est d’origine indienne, d’où les griefs des journalistes…) qui sonne la révolte dans le couple.

Petite surprise de la mini-série, qui comportera probablement une belle palette de personnages secondaires à développer, c’est l’arrivée d’un Idris Elba beaucoup moins sanguin qu’à son habitude (au hasard, dans Luther ou Beasts of No Nation). Dans Guerrilla, il se fait la voix du pacificateur, le Jiminy Cricket de ce couple déterminé. En vérité, cette œuvre est un véritable plaidoyer pour plus de diversité à la télévision. Elle tisse l’histoire d’hommes et de femmes noirs embarqués dans un drame sombre qui s’inscrit de manière sincère comme un exposé tragique sur le racisme de l’autorité, un fait encore bien présent dans notre société au vu de l’affaire Théo. Une mini-série dure et bouleversante, mais plus que jamais nécessaire dans le large spectre du petit écran.

En France, la mini-série Guerrilla reste inédite.