Malgré une première saison tournée, Heathers est annulée (et c’est bien dommage)

Malgré une première saison tournée, Heathers est annulée (et c’est bien dommage)

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© Paramount Network

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Par Florian Ques

Publié le

Après un lancement repoussé, on apprend que le reboot sériel du film culte des 80’s ne verra (probablement) jamais le jour. Retour sur le cas Heathers et l’hypocrisie à l’américaine.

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En chantier depuis plusieurs années (le pilote avait été filmé en décembre 2016 tout de même), la version sérielle de Heathers vient de passer à la trappe du côté de Paramount Network. Comme le rapporte The Hollywood Reporter, la chaîne câblée américaine a pris la décision de ne pas diffuser la série durant l’été 2018 comme prévu, en dépit d’une première saison de 10 épisodes déjà produite dans les cartons depuis un bon bout de temps.

Comment expliquer cette annulation soudaine avant même qu’un épisode soit proposé au grand public ? Si l’on en croit les médias états-uniens, il faut mettre le destin funeste de Heathers sur le compte du climat actuel outre-Atlantique. “C’est une série de lycée, on fait exploser l’école [comme dans le film sur lequel est basée la série, ndlr], il y a des flingues dans l’établissement, développe Keith Cox, président de la production chez Paramount Network. C’est une satire et il y a des moments où les professeurs ont des armes à feu. Ça touche tellement de sujets sensibles.”

Il est vrai qu’il faut remettre les choses dans leur contexte : lorsque le Heathers de 1989 est sorti dans les salles obscures, les fusillades dans les établissements scolaires n’étaient pas aussi courantes qu’aujourd’hui. Quant à la série, elle avait dû décaler sa première date de diffusion, le 7 mars 2018, suite à la tragédie de Parkland en Floride, qui avait fait 17 morts. Dernièrement, un drame similaire a eu lieu au lycée de Santa Fe dans la région de Houston, ne favorisant pas l’arrivée de Heathers dans l’immédiat.

En soi, la démarche de Paramount Network est compréhensible : en choisissant de ne pas diffuser ce reboot sériel, la chaîne prend la décision stratégique de ne pas se mettre à dos la presse (qui n’était déjà pas très favorable à la série au vu des premières critiques) comme le grand public et les associations conservatrices. Mais, dans les faits, l’annulation de Heathers est symbolique d’un fléau autre que les fusillades meurtrières : l’hypocrisie américaine.

En rayant de la carte les fictions qui osent parler des armes à feu (et, donc, de leur facilité d’accès et des conséquences dramatiques de leur utilisation), la télévision US détourne complètement son regard du problème. Et le problème, ce sont les flingues, les fusils à pompe, les carabines, que trop de mineurs peuvent se procurer pour commettre des actes horribles. Ne pas parler de ces thématiques revient à se mettre des œillères. Le parallèle avec 13 Reasons Why est vite fait : des groupes de parents appelaient au boycott de la série de Netflix, accusée de “glamouriser” le suicide (pourtant représenté de manière très explicite et choquante à l’issue de la saison 1).

Là encore, ce n’est pas en prohibant la représentation de sujets délicats (fusillades, suicide, viol) qu’ils disparaîtront comme par magie de notre société contemporaine ou que les choses s’amélioreront. Si les séries ont une portée indirectement didactique, il faut pouvoir leur donner la chance de s’exprimer et de prendre position. 13 Reasons Why l’a fait, en ajoutant des avertissements au début de chaque épisode ainsi que des vidéos de sensibilisation disponibles en parallèle du visionnage de la série. Bien que le ton satirique ne soit pas le plus accessible (pour ne pas le qualifier de casse-gueule), Heathers aurait pu en faire usage pour véhiculer ses propres idées. Si l’on ne sait pas exactement comment le sujet des armes à feu est traité dans la série, elle aurait sans doute pu s’en tirer avec des labels de prévention à chaque début d’épisode, plutôt qu’une annulation pure et simple. Malheureusement, c’est game over pour Heathers.

S’il est appréciable de voir que les chaînes américaines savent faire preuve de sensibilité à l’égard de leur jeune public, on ne peut s’empêcher pointer du doigt une certaine frilosité, pour ne pas dire lâcheté, qui se traduit par la volonté croissante de ne pas se frotter à des sujets épineux par peur du contrecoup. La fiction ne peut être bridée sous prétexte que le contexte social est problématique. L’aventure de Heathers n’est cela dit peut-être pas terminée, les créateurs du show essayant de vendre le projet (dont une saison 2 est déjà écrite) à d’autres chaînes et plateformes de SVOD.