Jeff Daniels (The Looming Tower) : “Nous sommes une Amérique différente aujourd’hui, à cause du 11-Septembre”

Jeff Daniels (The Looming Tower) : “Nous sommes une Amérique différente aujourd’hui, à cause du 11-Septembre”

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THE LOOMING TOWER — “Now it Begins…” – Episode 101 – The chief of the FBI’s counter-terrorism unit, John O’Neill, invites rookie Muslim-American agent, Ali Soufan, onto his squad. Fighting to get information from the CIA, they soon realize their work is just beginning… as two American embassies are bombed. John O’Neill (Jeff Daniels), shown. (Photo by: JoJo Whilden/Hulu)

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Par Marion Olité

Publié le

À l’occasion de la diffusion de The Looming Tower sur Amazon Prime Vidéo en France, nous avons rencontré son interprète principal, Jeff Daniels, qui s’est glissé dans la peau du boss du FBI, Jack O’Neill, dans cette série qui analyse les rapports entre CIA et FBI quelques années avant le 11-Septembre. L’inoubliable Will McAvoy de The Newsroom a des choses à dire sur l’Amérique d’hier et d’aujourd’hui.

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Biiinge | Comment avez-vous approché le personnage de John O’Neill, qui est particulier, puisque à la fois historique et décédé ?

Jeff Daniels | J’ai pu rencontrer plusieurs de ses partenaires au FBI, qui ont travaillé avec John partout dans le monde. Ils le connaissaient particulièrement bien, tout comme Ali Soufan [interprété dans la série par Tahar Rahim, ndlr]. Le livre de Lawrence Wright m’a aussi beaucoup aidé. Dan Futterman et Alex Gibney [les showrunners de la série, ndlr] ont eux aussi emmagasiné un paquet de connaissances à propos de John et de cette période. J’ai donc eu tout un faisceau d’informations à ma disposition.

Je me suis aussi rendu dans l’école et le lycée de John en compagnie de ses amis et collègues. J’ai alors commencé à acquérir une meilleure compréhension du personnage et de la façon dont il fallait que je l’approche.

Vous avez notamment raconté à Variety avoir passé une nuit dans un bar avec les collègues d’O’Neill…

Je me suis assis avec ses amis et j’ai écouté tout ce qu’ils m’ont confié : ce qu’il y avait de bon mais aussi de moins bon avec John. À part Ali Soufan, je pense que personne ne comprenait vraiment cet homme. Ils l’aimaient, le détestaient, travaillaient avec lui… Ils auraient fait n’importe quoi pour lui. Il les rendait fous parfois, mais ils l’auraient suivi jusqu’à la mort. Les hommes et les femmes du FBI étaient les personnes les plus importantes de la vie de John. Presque plus que sa famille. En tout cas, c’est ce qu’il semblait.

Ses collègues m’ont dit, et c’est dans la série, que John semblait être quelqu’un qui n’avait pas vraiment de chez lui. Je me souviens avoir longuement pensé à ça. Et après toutes ces recherches faites sur lui, je me demande si sa maison n’était pas le FBI. Je me demande si son grand amour n’était pas le FBI. Il y était de 6 heures du matin jusqu’à minuit. Il ne s’arrêtait jamais. Il aurait fait n’importe quoi pour les hommes et les femmes du FBI.

C’est une question un peu personnelle, mais vous souvenez-vous de ce que vous faisiez le jour du 11-Septembre ? Cela a probablement influé sur la façon dont vous avez interprété John.

Je ne pense pas, car je me mets dans la tête du personnage quand je joue, et John O’Neill ne savait pas ce qui allait arriver ce matin-là. Il pensait qu’une catastrophe allait se produire, quelque part, à un moment indéterminé. Je n’ai pas dû me remémorer des choses personnelles pour l’incarner. Je devais au contraire interpréter quelqu’un qui n’a aucune idée que ça va arriver ce matin-là.

Le matin du 11-Septembre, j’étais au fin fond d’un champ, en Virginie, à 150 kilomètres du Pentagone et de Washington. On a entendu à la radio que des avions avaient frappé les tours jumelles. On était à peu près 300 là. Le réalisateur nous a dit ce qu’il se passait et aussi qu’un autre avion avait attaqué le Pentagone. “Si vous avez de la famille ou des amis concernés, n’hésitez pas à partir”, nous a-t-il dit. Environ 200 personnes sont parties vers Washington.

À la fin de la journée, tous les avions avaient été cloués au sol. Il n’y avait pas un seul jet dans le ciel. Mais on pouvait voir deux F16 Fighter Jets tourner autour de Washington. C’était comme regarder quelque chose se passer sans en croire ses yeux, même si vous voyez ces avions foncer sur les tours encore et encore. Vous ne pouvez pas le croire et vous ne voulez pas le croire.

“Les hommes et les femmes du FBI étaient les personnes les plus importantes de la vie de John”

Lester Cohen, le directeur artistique du show, a expliqué à Variety : “Je pense que tout le monde fait très attention à rester le plus fidèle possible au matériau d’origine.” Vous souvenez-vous avoir connu une difficulté particulière avec cet aspect “histoire vraie” du personnage de Jack O’Neill ?

La partie la plus épineuse a été d’interpréter le moment où John devient quasiment paranoïaque et augmente le niveau de sécurité. Il n’écoute plus personne au FBI et ses collègues n’arrivent pas à l’atteindre. C’est dur parce qu’il adorait le FBI. Il y a une scène dans la saison où il parle à son chef et explique que quelqu’un essaie de le faire tomber, de le pousser vers la sortie. Le sentir acculé comme ça, stressé…

En plus, sa vie privée était un bazar très stressant : il passait son temps à cacher sa femme et ses maîtresses les unes aux autres. Elles ont failli découvrir le pot aux roses. On m’a dit que lors de ses funérailles, beaucoup de ses petites amies se sont pointées. Il y en avait plus de deux, sans compter sa femme officielle. Ce jour-là, certaines ont découvert qu’elles n’étaient pas seules.

Vous avez une explication concernant son choix de vivre plusieurs relations cachées, dans le mensonge les unes des autres ?

Je n’adhère pas à la théorie du chaud lapin, du mec qui a besoin de sexe. Je pense qu’il cherchait quelque chose. Dans la série, un des personnages regarde John danser au milieu de quatre femmes et dit : “Comme ça doit être triste de ne pas avoir de maison où rentrer”. Cela m’a marqué. Je pense que John n’avait effectivement pas de maison. La seule chose qui se rapprochait d’une maison était le FBI. Se sentir chez soi, c’est censé être là où est votre famille, où est votre véritable amour. John a cherché de ce côté-là, mais il n’a rien trouvé. Qu’est-ce que je manque ? Il a réalisé, sûrement, que le FBI était ce quelque chose.

The Looming Tower arrive presque un peu tard par rapport aux événements. Et en même temps, je ne sais pas comment un personnage comme Ali Soufan aurait été reçu par les Américains peu de temps après les attentats du 11 septembre. Pensez-vous que cette distance temporelle était souhaitable, finalement ?

Qui peut dire comment un film ou une série sur le 11-Septembre auraient pu être reçus par le public américain il y a dix ans ? Je ne sais pas. Je sais par contre qu’il y a eu des héros américains et musulmans impliqués dans ces événements. Nous n’avons rien inventé. On ne s’est pas dit : “Tiens, faisons donc un héros musulman”. Ali Soufan était musulman.

Après le 11-Septembre, je pense que comme après les attentats de Paris, il y avait de la colère, une envie de vengeance. Qui a fait ça, comment on les arrête et on leur fait quoi ? Les Américains ont ressenti ça. Il y a eu de la violence, l’Irak… Certains ont tenté de détourner ça par l’humour, et vous connaissez ce moment où l’on dit “c’est trop tôt” (“too soon) à une blague. L’Amérique a mis longtemps à s’en remettre, à faire son deuil. Pas seulement des personnes disparues lors de l’attaque, mais le deuil de l’Amérique elle-même. L’ambiance était lugubre. Une certaine Amérique est morte. Nous sommes une Amérique différente aujourd’hui, à cause du 11-Septembre.

Je pense qu’il a fallu de longues années aux Américains pour regarder à nouveau ces événements et ne pas seulement blâmer Ben Laden. Il mérite évidemment ce qui lui est arrivé. Mais d’autres personnes impliquées dans cette histoire ont mené à ce qui est arrivé et c’est exactement ce dont parle The Looming Tower. Et effectivement, nous pouvons analyser ce passé avec un peu plus de lucidité maintenant que le temps a passé. On peut apprendre de son histoire au lieu de rester en colère. Peut-être.

“Nous avons besoin de vraies The Newsroom, de rédactions qui se battent dans la vraie vie”

Selon vous, en quoi The Looming Tower est une série pertinente de nos jours ?

Et bien, la menace du terrorisme est toujours là. Qu’avons-nous appris du 11-Septembre, à travers les recherches du livre de Lawrence Wright ? Avons-nous appris comment nous aurions pu l’éviter ? Sommes-nous capables aujourd’hui d’empêcher un événement comme celui-là ? J’ai mes doutes…

Jack O’Neill est un homme complexe, intelligent et perspicace, mais il a du mal à contrôler sa colère. Il m’a un peu rappelé votre personnage de Will McAvoy dans The Newsroom.

C’est vrai qu’ils haussent le ton à l’occasion quand personne n’ose le faire, mais pour moi ce sont des personnages différents, qui ne réfléchissent pas de la même manière. McAvoy a dû apprendre à retrouver son intégrité. Il devait se détacher de son inquiétude pour sa popularité, et ne s’occuper que de faire du bon travail. De son côté, John O’Neill a déjà son intégrité pour lui.

McAvoy a fini par comprendre comment mieux interagir avec les gens. Il voit trop les choses à court terme et il se bat toujours avec son ego mais il s’améliore. Il devient un homme meilleur. O’Neill s’en fichait de devenir une meilleure personne. Tout ce qu’il voulait, c’était trouver quelqu’un qui allait écouter ce qu’il avait à dire sur Ben Laden. O’Neill est du genre concentré sur un objectif tandis que McAvoy s’éparpille dans tous les sens.

Ils sont tous les deux amoureux de l’Amérique aussi.

C’est vrai qu’ils ont ça en commun. McAvoy est allé devant les caméras pour dire son amour d’une certaine idée des États-Unis et se battre pour son pays, à sa manière. O’Neill faisait la même chose à un autre niveau.

Quand vous regardez l’Amérique d’aujourd’hui, comment ce fameux monologue d’ouverture de The Newsroom diffusé en 2012, sur l’Amérique qui n’est plus le meilleur pays au monde, résonne-t-il en vous ?

Ce speech est devenu plus pertinent maintenant qu’en 2012. À travers le personnage de Will McAvoy, c’était Aaron Sorkin qui disait la vérité. Beaucoup de personnes sont venues me parler après ce monologue. C’est ce que je pensais aussi, mais je ne suis pas aussi éloquent qu’un Aaron Sorkin. C’est l’un de ses talents : il peut toucher beaucoup de personnes qui pensent la même chose que lui. Quand vous regardez cette scène, vous vous dites après : “Oui, voilà, c’est ça que je ressens.”

Aujourd’hui, je pense qu’il y a beaucoup de personnes qui parlent comme Will McAvoy dans la vraie vie. Il n’y en avait pas tant que ça en 2012. Mais après un an de présidence Trump, je peux les entendre d’ici.

Et vous ne pensez pas que l’Amérique, engluée dans ses fake news, a besoin plus que jamais d’une série comme The Newsroom ?

Je pense que nous avons davantage besoin de vraies The Newsroom, de vraies rédactions, qui se battent dans la vraie vie. Nous avons besoin que les journalistes et la presse fassent ce qu’ils savent faire de mieux. Je les vois essayer, malgré les entraves et les résistances de la Maison-Blanche et du Congrès. Ils sont en train de réussir. Voilà ce dont on a besoin maintenant, pas d’une nouvelle série qui fait semblant d’être… Les vrais doivent se mettre au travail. Et ils le font.

The Looming Towers arrive le 9 mars sur Amazon Prime Video, à raison d’un épisode par semaine.