De Misfits à Preacher, l’ascension irrésistible du bad boy Joe Gilgun

De Misfits à Preacher, l’ascension irrésistible du bad boy Joe Gilgun

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Par Marion Olité

Publié le

“Je me souviens du moment où on m’a offert le job. J’étais en train de faire du VTT de montagne, et j’étais littéralement couvert de merde, au milieu d’un champ rempli de vaches. Il pleuvait. J’étais donc en train de réaliser que je ne sentais vraiment pas bon quand je reçois ce coup de téléphone : ‘Hey Joe, tu veux jouer un vampire dans une bête de série ?’ Je suis devenu fou !”

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Voilà plus ou moins comment a commencé l’aventure Preacher pour Joe Gilgun. Rencontrer ce trentenaire gesticulant, qui enchaîne les blagues, les histoires improbables et les “F-bomb”, revient à croiser une météorite lancée à pleine vitesse, qui irait trop vite pour nos yeux de pauvres mortels.

On comprend vite pourquoi l’homme a obtenu sans peine le rôle de Cassidy, un vampire aussi WTF qu’irrésistiblement attachant. Entre deux anecdotes tordantes dont il a le secret, l’acteur anglais à l’accent joyeusement incompréhensible se livre avec une candeur désarmante. Pas encore formaté par la machine hollywoodienne. Et le sera-t-il jamais ? Il faut espérer que non.

“Je ne suis pas débile, mais je n’ai jamais été fait pour les études”

En Angleterre, Joe Gilgun est loin d’être inconnu au bataillon. Après avoir fait ses armes dans des soaps anglais dévorés par des millions de téléspectateurs, comme Coronation Street ou Emmerdale Farm, l’industrie des séries UK lui propose des rôles plus proches de sa personnalité explosive et son background “haut en couleur”, comme il l’affirme lui-même. Ce sont les mini-séries This Is England ’86, ’88 et ’90 puis Misfits en 2013 qui le révèlent auprès des sériephiles aux quatre coins du globe.

Les millennials tombent sous le charme des facéties de l’acteur aux mimiques inimitables et au look bien thug. Le plus génial ? Rien n’est vraiment travaillé chez Joe Gilgun. Le mec n’essaie pas d’être cool, ce qui le rend d’autant plus précieux. N’importe quel acteur – Leo DiCaprio le premier – regarde ses chaussures au moment d’évoquer “ses années soap” ou critique ce genre de série comme on tire sur une ambulance. Pas lui.

“Quand j’ai eu ce job, j’étais à deux doigts de plonger dans une carrière criminelle et ces gens ont été les premiers à me prendre au sérieux en tant qu’acteur. Emmerdale me manque, j’y pense souvent. J’ai énormément de respect et d’admiration pour l’équipe qui fait ça, car il y a un gros turn-over. Il faut aller si vite sur ce genre de production, on ne peut pas revenir en arrière.”

Autant dire que ce bad boy au grand cœur, couvert de tatouages (il confie : “Je dois en maquiller une partie sur ma poitrine quand je joue torse nu. Ils représentent vraiment d’où je viens. C’est quasiment une tradition là-bas, et j’en veux encore !”), se pince parfois pour être sûr de ne pas vivre un rêve.

En plus de venir d’un coin paumé du nord de l’Angleterre, Chorley dans le Lancashire, l’homme souffre depuis son adolescence de dyslexie. S’il plaisante sur ce handicap particulièrement compliqué à gérer pour un acteur – “ils appellent ça de la dyslexie mais en vrai, j’ai juste trop séché l’école [rires]. Je ne suis pas débile, mais je n’ai jamais été fait pour les études”, plaisante-t-il – il y revient plus sérieusement un peu plus tard, alors qu’un journaliste lui demande s’il aime les comics – Preacher étant une adaptation d’une série de BD à succès.

“Les comics, je ne peux pas. On peut croire que c’est facile, mais c’est un cauchemar à lire pour un dyslexique ! J’ai du mal à lire du texte simplement imprimé, si vous ajoutez par-dessus des dessins et des trucs dans tous les sens, c’est encore pire.

Lire est quelque chose de stressant pour moi. Je finis par voir les mots mais sans les digérer. Je dois me poser et lire de façon obsessionnelle les lignes, encore et encore, pour les comprendre. C’est comme ça que j’apprends mon texte.”

C’est avec sa maman, avec laquelle on lui devine une grande complicité (il raconte : “Pour la première fois de ma carrière, j’ai l’impression d’avoir de l’argent, je peux payer des trucs à ma mère !”), qu’il prépare son texte. Elle lui fait répéter son audition pour Preacher, endossant le rôle du prêtre Jesse avec un peu trop de zèle, apparemment :

“Le petit souci de ces répétitions avec ma mère, c’est qu’elle se donne à 100 %. Alors je lui demande : ‘Tu peux en faire un peu moins steuplait, parce que là tu me déconcentres complètement !’ Elle se lance dans des performances incroyables de Jesse, elle le fait mieux que moi ! Elle en fait trop, ça n’a pas de sens [rires] !”

“Travailler sur Preacher ne ressemble à rien de ce que j’ai pu faire avant”

L’acteur souffre aussi de troubles déficitaires de l’attention avec hyperactivité, et doit gérer des moments de dépression et de forte anxiété. Il parle pudiquement de “moments de bad”. Paradoxalement, aussi douloureux soient-ils à vivre, ses troubles lui servent aussi à jouer des personnages torturés, comme Cassidy, le charismatique vampire irlandais de Preacher :

“J’insiste sur l’aspect humain de Cass. Il a 119 ans et il n’a rien fait d’autre que des erreurs. On n’arrive pas à ce stade sans se traîner des traumatismes. J’ai insufflé à Cass, qui est une âme torturée, un côté auquel je peux m’identifier. Et je peux accéder à mes émotions assez rapidement.”

Ses troubles de l’attention ne sont probablement pas étrangers à sa propension à l’improvisation. Ne pouvant pas toujours se reposer sur les mots, qui le piègent parfois, il a développé un jeu d’acteur d’un naturel confondant.

Exceptés l’immortalité, les litres de sang ingurgités et ses aventures fantastiques avec ses potos Jesse et Tulip, Cassidy possède une personnalité assez proche de celle de son interprète Joe, de l’aveu même de ce dernier. Les deux ne passent pas inaperçus, jurent comme des charretiers et sont prêts à se salir les mains quand le jeu en vaut la chandelle.

Ils sont aussi bien plus loyaux que leurs personnalités chaotiques peuvent le laisser penser. Loin de se croire arrivé dans le milieu, Joe Gilgun mesure chaque jour sa chance de bosser sur une prod aussi quali et fun que Preacher, qui l’a conduit jusqu’à La Nouvelle-Orléans pour une partie de la saison 2 (à ce sujet, il déclare : “Cette ville est géniale, mais si vous n’aimez pas le jazz, vous êtes baisés !”).

Sans renier ses racines anglaises ou l’industrie des séries UK, qu’il qualifie de “brillante” en dépit de budgets riquiqui comparés à ceux que l’on peut trouver aux États-Unis, l’acteur savoure son nouveau train de vie.

“Travailler sur Preacher ne ressemble en rien à ce que j’ai pu faire avant, ne serait-ce que par son budget. Lors de mon premier jour de tournage, quand ils nous ont appelés pour le déjeuner, j’ai cru que quelqu’un organisait une soirée [rires].

Pourquoi on avait autant de choses à boire et à manger ? Mais en fait, c’est comme ça tous les jours ! C’était incroyable pour moi, il y avait du homard ! Pourquoi il y avait du homard sur cette table ? Et ben, parce qu’ils peuvent se le permettre !”

Sam Catlin, le showrunner de Preacher, peut dormir sur ses deux oreilles. Si le cinéma n’ignorera pas longtemps le talent de Joe Gilgun, à l’affiche d’Infiltrator en 2016 aux côtés de Bryan Cranston et Diane Kruger, l’acteur n’a pour le moment d’yeux que pour sa série :

Ce job est tout pour moi. C’est un rêve devenu réalité. Je savais que j’avais un peu de potentiel, que je ne suis pas un acteur pourri et que le boulot vient souvent des États-Unis. Pour un gars comme moi, qui a un passé plutôt chargé, me retrouver ici, c’est incroyable.”

La saison 2 de Preacher a repris sur OCS Choc depuis le 26 juin.