Dans Legion, le cerveau de David Charles Haller nous joue des tours

Dans Legion, le cerveau de David Charles Haller nous joue des tours

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Par Adrien Delage

Publié le

Sincèrement, si la série s’était s’appelée “Aspirine”, cela aurait pu être la même chose. Attention, spoilers.

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Le premier épisode de Legion, dernière création en date de Noah Hawley, le créateur de Fargo, a laissé les spectateurs sur un effet “wow” impressionnant et de nombreuses questions. Si le deuxième épisode était plus posé mais toujours visuellement renversant, l’intrigue continue d’appliquer les ficelles de ce que les scénaristes américains appellent la “mystery box”. Comme son nom l’indique, il s’agit d’ouvrir une boîte de Pandore qui recèle de milliers d’éléments pour creuser profondément une œuvre : les personnages, les intrigues, le sous-texte de la série…

Cette méthode narrative finit souvent par captiver un noyau dur de fans qui, même des années après la fin de la série, continuent d’en débattre, entre déduction et surinterprétation (coucou Reddit). Ce concept du trou du lapin, ou “rabbit hole” dans la langue de Shakespeare, nous entraîne dans une intrigue sinueuse et labyrinthique, que les fans de Lost, de Mr. Robot ou encore de Westworld ne connaissent que trop bien.

Legion reprend également ce procédé et le sublime avec la caméra virevoltante de Noah Hawley. La série est une véritable expérience immersive au sein du cerveau de David Charles Haller (Dan Stevens), le personnage principal du show. David doute de tout et se croit fou, voire schizophrène. Il faut dire que depuis sa plus tendre enfance, il multiplie les allers-retours en hôpital psychiatrique, où ses médecins le droguent à longueur de journée pour faire taire les voix qu’il entend.

Dans le deuxième épisode, David est finalement sorti de l’hôpital, sauvé par des mutants. On s’attendait presque à le voir débarquer à l’école de Charles Xavier, mais Legion a pour le moment dit merde au fan service et à un univers partagé avec les X-Men du grand écran. Au lieu de ça, l’équivalent féminin du professeur X, Melanie Bird, l’a littéralement enfermé dans une “mystery box” pour tenter de mieux comprendre le passé de David et l’origine de ses crises, autrement dit de ses pouvoirs télékinésiques et télépathiques. Et tout comme les membres du camp de Summerland, on n’y comprend pas grand chose et il devient de plus en plus difficile de démêler le vrai du faux.

Enfermé dans la boîte

Noah Hawley et son (incroyable) équipe chargée des décors ont donc recréé une boîte faite de vitres transparentes, où les chercheurs de Summerland pratiquent des séances de méditation. Leur but est d’explorer la mémoire du patient, David dans le cas présent. On découvre donc cette pièce carrée qui symbolise pleinement la “mystery box” exposée par le maître du genre, J.J. Abrams, lors d’une conférence TED en 2007. Dans cet endroit retranché du reste du monde, Ptonomy Wallace utilise son pouvoir pour voyager dans la mémoire de David. S’enchaîne une suite de flashbacks oscillant entre des passages façon La petite maison dans la prairie et des séquences horrifiques empruntées aux films de la Blumhouse Production, où l’on revit l’enfance cauchemardesque de David.

Mais quand on pense avoir passé la séance de mémoire, les scénaristes nous propulsent dans un nouveau flashback où David discute de ses problèmes avec un psychologue. Là, Melanie et Ptonomy entrent en scène et naviguent au sein de ses souvenirs comme le personnage de Leonardo DiCaprio vagabonde dans les rêves d’Inception. Puis, les deux invités de l’esprit de David s’effacent subitement de cette même scène, créant une sacrée confusion dans notre esprit : sommes-nous dans le monde réel, dans le monde créé par l’imagination de David ou carrément dans aucun des deux ?

Dans Westworld, la finalité du voyage de Dorothy et des androïdes est de trouver le labyrinthe, d’ouvrir la “boîte” qui leur permettrait d’atteindre la conscience. C’est le parcours initial de la “mystery box”. Mais dans le cas de Legion, les scénaristes ont inversé ce concept narratif : nous sommes déjà enfermés à l’intérieur de la boîte et il s’agit pour les personnages (et le spectateur) d’en sortir afin d’obtenir un point de vue global de l’histoire de David. Ce dernier peut nous faire croire ce qu’il veut, puisque lui-même n’est sûr de rien quand il s’agit de ses souvenirs. Tout est possible et à la fois rien ne l’est, comme cet humanoïde/monstre difforme qui hante les souvenirs de David et se cache dans les placards à la Monstre et Cie.

David a vécu une enfance traumatisante et sa figure paternelle est plus ou moins inexistante (il n’arrive pas à voir le visage de son père dans une des scènes de flashback). C’est d’ailleurs cet inconnu qui semble lui provoquer ses crises. Il s’avère que dans le comic Legion, David n’est autre que le fils du professeur Charles Xavier.

Mais dans la série, David prétend que son père est un astronome qui l’emmenait souvent observer les étoiles au milieu de la nuit. Cette (superbe) séquence où le ciel apparaît peinturé d’astres renvoie pour la première fois à l’univers des X-Men que nous connaissons. Elle évoque les scènes dans le Cerebro, où le professeur Xavier repère les mutants et civils de la Terre comme s’ils étaient des petites taches étoilées.

Le temps est notre ennemi

Le monde de Legion s’articule autour d’une époque quasi anachronique. Impossible de savoir si les événements se déroulent à notre époque, dans le futur voire dans une totale uchronie. L’atmosphère rétro-futuriste de Noah Hawley nous prend au piège via les costumes et la technologie employée par les personnages de la série, tantôt inspirée des seventies (les vêtements de David dans le pilote) tantôt semblable à un avenir proche (les pistolets laser de la fusillade). On retrouve d’ailleurs dans cette enveloppe esthétique, piochant dans les années 1970, des effluves du travail de Noah Hawley dans la saison 2 de Fargo.

Dans le pilote, Syd révèle à David qu’il est en train de revivre ses souvenirs et c’est à partir de ce moment-là que le spectateur s’interroge sur la période en cours. Comme nous sommes plongés dans le cerveau de David, il est tout à fait possible que le héros module comme il le veut ses souvenirs. Il ne contrôle pas ses pouvoirs et encore moins sa mémoire.

Peut-être cherche-t-il inconsciemment à protéger quelque chose, comme cette scène dans le chapitre 2 où un saut temporel empêche Ptonomy et Melanie de connaître une partie d’un souvenir de David ? Noah Hawley a d’ailleurs révélé à Entertainment Weekly qu’il pensait inscrire l’action de Legion dans le présent, avant de rendre onduleuse la temporalité de l’intrigue pour coller au cerveau brisé de son personnage principal. Il explique :

“Toute cette série ne représente pas le monde, c’est une expérience dans le monde de David. Il façonne son monde en assemblant des parties de sa mémoire et de sa nostalgie pour en faire son propre univers. Je me suis retrouvé à regarder Orange mécanique, Quadrophenia et des films anglais des années 1960.

Je voulais créer un monde qui avait ses propres règles, et qui vous plongerait dans la tête de David pour voir des choses qui sont à la fois là et pas là. Histoire de vous demander : qui est ce mec si tout ce qu’il pense à propos de lui s’avère être faux ?”

Le créateur de Legion nous confirme ainsi que sa série est une œuvre abstraite, où des bouts de plusieurs puzzles différents viennent se coller ensemble. Reste à voir si ces multiples parties formeront un tout compact et raisonné à la fin de la saison. Une dernière théorie rapporte que si David n’arrive pas à distinguer le vrai du faux, c’est parce qu’il possède plusieurs personnalités en lui qui viennent le perturber avec leurs propres souvenirs.

Subconscient et inconscient

Dans l’Évangile selon Saint-Marc, chapitre 5, versets 1 à 20, Jésus traverse la mer de Galilée située en Israël. Là, il rencontre un étrange pêcheur qui dit vivre entre la montagne et des tombeaux. Il raconte à Jésus son martyr quotidien et le Messie comprend alors que l’homme est indomptable. Cet inconnu qui agit comme un fou, qui semble possédé par le diable, interpelle Jésus qui lui demande son nom. L’homme répond alors : “Mon nom est Légion, car nous sommes nombreux.”

C’est possiblement de ce récit biblique que s’inspire le comic Legion, créé par l’auteur Chris Claremont et le dessinateur Bill Sienkiewicz. Dans l’œuvre littéraire, l’esprit de David n’est pas aliéné. Il est habité par de multiples personnalités dont chacune contrôle une partie de ses pouvoirs. Cette face cachée de l’intrigue commence à se révéler, pièce par pièce, dans la série de Noah Hawley.

Contrairement à Elliot dans Mr. Robot, David n’aime pas rester seul. C’est pourquoi on le voit proche de sa sœur ou encore de sa meilleure amie Lenny. Mais un personnage vient complètement chambouler sa vie. Il s’agit de Syd, qui deviendra même sa petite amie. Syd a la particularité de posséder également des pouvoirs et Lenny en fera les frais. Sauf s’il s’avère que chaque personne à laquelle David tient est une représentation de sa personnalité.

C’est au moment de toucher Syd que David met (littéralement à l’écran) sens monde sans dessus dessous. On découvre alors que Syd est un mutant et que son pouvoir est de reproduire le pitch de Freaky Friday dès qu’elle touche quelqu’un. Dans la suite des épisodes, Syd pourrait se révéler être une partie de l’esprit de David, contrôlant ainsi l’un de ses dons.

C’est d’ailleurs pour cette raison que David ne peut pas toucher Syd sans provoquer une catastrophe. Elle serait ainsi une représentation de son inconscient que son subconscient ne peut, par définition, concevoir. En résumé, il subsiste tant de personnalités au sein de l’esprit de David qu’il ne peut en prendre conscience et les perçoit à la place comme des voix démentielles.

Au cours du pilote, l’interrogateur dit à propos de David : “Il croit être mentalement malade, mais en même temps, une partie de lui sait que ses pouvoirs sont réels.” David ne se frottera pas à un Kilgrave, à un Deathstroke ou à toute autre entité ninja au cours de la première saison de Legion. Il fera face à son propre esprit où le démon aux yeux jaunes semble être la clé vers un terrible secret qui bouleversera profondément son destin. Cette lutte contre lui-même, contre la partie mutante de son existence, est certainement le plus intense et le plus fascinant des combats pour un super-héros du petit écran.

En France, la saison 1 de Legion reste inédite.