AccueilPop culture

On a parlé poésie, 2001 : l’Odyssée de l’espace et maternité avec Lisa Joy, la cocréatrice de Westworld

On a parlé poésie, 2001 : l’Odyssée de l’espace et maternité avec Lisa Joy, la cocréatrice de Westworld

Image :

© HBO

avatar

Par Adrien Delage

Publié le

À l’occasion de la saison 2 de Westworld diffusée sur OCS City en France, nous avons rencontré sa cocréatrice et coshowrunneuse, Lisa Joy. La scénariste américaine chapeaute une œuvre ambitieuse au côté de son mari, Jonathan Nolan, et nous livre ses inspirations littéraires et ses conseils pour écrire un scénario sinueux. 

À voir aussi sur Konbini

Biiinge | Comment travaillez-vous avec Jonathan Nolan, votre partenaire dans la vie et sur la série ?

Lisa Joy | Pour vous donner une idée, c’est assez merveilleux. On a tracé ensemble un diagramme de Venn dont le centre rassemble tous les éléments sur lesquels nous sommes d’accord. Ensuite, on coupe la poire en deux et on dirige chacun de notre côté nos parties respectives. Notre force, c’est de pouvoir capitaliser sur nos désaccords pour améliorer l’idée de base.

Bien sûr, tout n’est pas de notre ressort. Nous avons une incroyable équipe de scénaristes, des acteurs excellents qui font de glorieux personnages, des producteurs qui donnent vie à tout ça… C’est vraiment un travail de collaboration dans son ensemble. C’est une vraie équipe de sportifs mais dédiée à la télévision. En revanche, nous ne partageons pas le même bureau avec Jonathan.

Nous n’écrivons pas au même moment, nous essayons plutôt d’alterner pour avoir un regard extérieur sur le travail de l’autre. Jonathan aime écrire en écoutant de la musique alors que je préfère un silence monastique. Cela dit, on adore travailler ensemble pendant la nuit. Le problème, c’est que nos jeunes enfants dorment encore avec nous et s’installent tous les soirs sur notre petit lit.

Pour éviter de les réveiller et continuer à bosser, on utilise nos téléphones portables et on s’envoie des textos [rires]. Parfois jusqu’à 3 heures du matin. C’est la plus étrange manière de travailler, surtout quand on se met à parler de la nature de la conscience ou d’immortalité [rires] ! À force, on est devenus extrêmement rapides pour écrire des SMS.

Est-ce que vous avez tout de même une tâche spécifique dans le développement de Westworld [Lisa Joy est à la fois coshowrunneuse, scénariste, productrice et réalisatrice sur la série] ?

Pas vraiment. Nous travaillons de façon à pousser et soutenir l’autre. Cette année par exemple, Jonathan a fait quelque chose de vraiment touchant. En saison 1, il avait réalisé le pilote et le season finale. Et en saison 2, je me suis dit que c’était à mon tour de passer derrière la caméra. Malheureusement, notre deuxième enfant était en route, j’étais déjà très enceinte et nous devions encore écrire plusieurs épisodes.

Je me rappelle avoir dit à Jonathan : “Je ne peux pas réaliser un épisode, je n’y arriverai pas, c’est impossible et ça serait irresponsable de ma part”. Et il m’a simplement répondu : “Tu ne peux pas reculer, tu dois le faire, je ne te laisse pas d’autres choix. Tu m’as soutenu quand on a eu notre premier enfant et maintenant c’est à mon tour d’être là pour toi”. Désolée, je vais devenir émotive… [Elle prend une grande inspiration et poursuit].

C’était vraiment une manière généreuse et adorable de m’encourager. Finalement, j’ai réalisé l’épisode seulement deux semaines après l’accouchement. Jonathan était là, à chaque étape, juste pour me dire que j’étais capable de le faire. Vous savez, c’est une série qui joue sur les archétypes et pour la faire, nous devons aussi inverser les rôles. C’est une expérience géniale et extrêmement satisfaisante pour tous les deux.

Est-ce que vous pouvez justement nous parler de “The Riddle of the Sphinx”, et de la manière dont vous avez abordé la réalisation de cet épisode ?

J’étais déjà très bien servie par le script écrit par Jonathan et Gina [Atwater] et par le cast, qui ne pourrait être mieux. Comme cet épisode est une sorte de nouveau départ, nous devions trouver un look et une sonorité singuliers. D’un côté, ce n’est pas un nouveau monde comme peut l’être Shogun World, et de l’autre ça l’est car c’est celui des humains.

C’était vraiment super. On avait un tout nouveau décor et des cascades à chorégraphier. Il fallait trouver comment mettre en valeur ce superbe script à travers des images poétiques qui rendraient crédibles les thématiques abordées. Il fallait se perdre dans l’esprit de James Delos, notamment dans l’introduction où nous ne savons pas vraiment où nous sommes. D’une certaine manière, je tenais à imiter l’expérience qu’ont connue les hôtes dans le pilote, où ils ne comprennent pas la nature de leur réalité et où ils se trouvent.

Au final, c’est l’histoire d’une cage, et la personne qui en est prisonnière n’a aucune idée qu’elle s’y trouve. On a beaucoup parié sur la désorientation mais de manière aseptisée, à l’opposé des couleurs chaudes et naturelles du parc. J’ai été très inspirée par Terrence Malick. L’intérieur de la salle était plutôt inspiré par 2001 : l’Odyssée de l’espace pour la transformer en un espace froid et clinique.

La caméra filme de façon volontairement fixe, elle contemple de manière mécanique la scène comme si nous maîtrisions entièrement l’expérience. Et c’est le cas, par le biais de William. À l’inverse, quand la chambre se transforme en un véritable bunker, la caméra est beaucoup plus nerveuse pour souligner l’aspect horrifique que prend l’expérience.

Ma passion fondamentale a toujours été la poésie. En poésie, on utilise le langage pour transmettre un message visuel, exploiter des thèmes et des émotions. Finalement, ça ressemble vraiment à la réalisation, comment créer une image évocatrice à l’aide d’un script, établir un symbolisme à travers le jeu des acteurs. Pour capturer l’essence de leur message, il faut faire appel à la poésie.

Qu’est-ce que ça fait d’être la “mère” de son propre monde ?

C’est une chance incroyable, comme tout monde fictif peut l’être. Mais en tant que mère, il faut littéralement un village pour façonner un monde. Je ne pourrais pas élever mes enfants sans l’aide d’une grand-mère ou d’une amie, comme je ne pourrais pas faire la série sans mon mari, nos scénaristes, nos réalisateurs, nos acteurs… C’est un vrai privilège.

“La musique est une machine à voyager dans le temps”

N’oubliez jamais que je suis obsédée par Gertrude Stein [une poétesse et collectionneuse d’art américaine du XXe siècle issue du mouvement moderniste] et la France, où elle était entourée par des échanges passionnés d’idées diverses. Qui peut se vanter d’avoir vécu une telle vie ? Dans mon cursus, j’ai suivi des études de droit et de commerce, et je me remets souvent en question pour savoir si j’ai fait le bon choix. Au final, je n’ai peut-être pas de tableaux de Picasso chez moi, mais j’ai la chance de travailler avec des artistes que j’adore.

Comment choisissez-vous les musiques emblématiques de la série [les covers de Nirvana, Radiohead, The White Stripes, etc. composées par Ramin Djawadi] ?

J’ai une petite anecdote à ce sujet. Il y a bien une personne dédiée à ce travail, qui s’appelle Sean O’Meara et est crédité comme superviseur musical. Mais en vérité, c’est un surnom trouvé par Jonathan qui a une signification personnelle pour lui. Il choisit la plupart des musiques et ensuite il travaille avec Ramin Djawadi, qui est tout simplement un génie en plus d’être extrêmement élégant [rires].

C’est un collaborateur très généreux et un compositeur au talent incroyable qui parvient à créer des musiques uniques. À la première écoute, elles vous semblent toujours peu familières comme s’il parvenait à hacker l’esprit des spectateurs, alors que ce sont des chansons contemporaines. La musique est très intéressante, car elle entraîne à la fois des réactions et des émotions, sans forcément avoir besoin de les représenter à l’écran.

D’une certaine façon, la musique est une machine à voyager dans le temps. Elle vous ramène dans le passé, fouille dans vos souvenirs pour vous rappeler une certaine émotion ressentie à un moment T de votre vie. Elle vous reconnecte avec les gens et votre for intérieur. Et dans une série qui joue sur le temps, la musique est primordiale. C’est pour cette raison que nous ne voulions pas de paroles : le piano et le pianiste vus dans le générique d’introduction font partie intégrante de la série.

Je dirais même que le pianiste et son instrument incarnent l’image symbolique de Westworld. Elle apporte tellement d’interprétations avec elle. C’est une machine qui fonctionne littéralement avec des codes, des trous que vous inscrivez sur un bout de papier. Et de cette machine, il en ressort de l’art, de la beauté puis des émotions et une forte connexion avec la musique.

Avez-vous déjà réfléchi à la fin de Westworld ?

Nous avons une fin en tête depuis que nous avons écrit le pilote. Et elle me plaît beaucoup, elle est pleine d’émotions. Je ne peux pas vous dire quand ça va arriver [la série a déjà été renouvelée pour une troisième saison], mais chaque saison est en quelque sorte un chapitre de l’histoire. Elle vous rapproche de la fin et à la fois ouvre une nouvelle porte vers l’inconnu.

On essaie de répondre à de nombreuses questions à chaque fin de saison mais il y a une question qui parcourt l’entièreté de la série : que va-t-il advenir de cette nouvelle forme de vie ? Je pense que c’est la question ultime à laquelle Westworld devra répondre.

La saison 2 de Westworld est disponible en intégralité sur OCS Go.