Maniac est un labyrinthe psychédélique dans lequel il fait bon se perdre

Maniac est un labyrinthe psychédélique dans lequel il fait bon se perdre

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Par Delphine Rivet

Publié le

Si la pilule du bonheur existe, elle se trouve apparemment à la convergence entre Eternal Sunshine of the Spotless Mind et la série Legion.

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Owen Milgrim, un schizophrène solitaire, marginalisé par sa propre famille, et Annie Landsberg, rongée par la culpabilité et la perte de sa mère et de sa sœur, se portent volontaires pour une série d’expérimentations scientifiques. La promesse de ce nouveau traitement : guérir l’esprit. Pour cela, les sujets doivent traverser trois phases, correspondant chacune à une pilule. La pilule A permet d’établir un diagnostic en poussant les patient·e·s à revivre le pire moment de leur vie. La pilule B se penche sur les comportements. Elle a pour but d’identifier les mécanismes de défense et les murs que l’on érige pour se protéger de certains traumatismes. La dernière, la pilule C, c’est la phase de confrontation et d’acceptation. En gros, une fois que la machine a identifié les traumas et cartographié les schémas cognitifs qui se dressent entre ces derniers et la guérison, il est temps d’implémenter un nouveau système de pensée, plus sain.

Créée par Patrick Somerville, librement adaptée d’une série danoise du même nom, et entièrement réalisée par Cary Joji Fukunaga (qu’on n’avait pas revu sur le petit écran depuis la saison 1 de True Detective en 2014), Maniac divise. La réalisation inspirée de Fukunaga n’y est pour rien. Ni le jeu impeccable des acteurs et actrices, Emma Stone en tête. Non, son erreur, c’est d’avoir trouvé plus judicieux d’ouvrir avec le personnage campé par Jonah Hill, Owen, plutôt que celui d’Emma Stone, Annie, qui est relégué au deuxième épisode. Ils ont beau être les deux faces d’une même pièce (la maladie mentale), cette dernière est un protagoniste nettement plus attirant au premier abord. Elle est lumineuse, en apparence du moins, avec un caractère bien trempé et un but clairement défini dès le départ (qui s’avérera plus profond qu’on ne le pense), de fait, on s’identifie sans peine à elle.

Annie, parce qu’elle est en colère et n’a rien à perdre, est un personnage bien plus facile à aimer sur le coup. C’est elle qui aurait dû nous faire entrer dans Maniac. Non pas qu’Owen soit moins intéressant, il est juste plus difficile à approcher et évolue dans un environnement (sa famille, son travail, son micro-appartement) stérile et sans affect. Ce choix de nous faire entrer dans cet univers rétrofuturiste si étonnant en se laissant guider par Owen, n’aide pas à lâcher prise. Ça, ajouté à son caractère plutôt unique, et il n’est pas étonnant que certain·e·s restent de marbre devant le premier épisode. Pourtant, en dépit de ce faux pas et d’un début un peu poseur, le reste n’est qu’un long émerveillement. Une exploration de la psyché humaine à la croisée des mondes d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind et de la série Legion.

Plus on avance, plus on s’enfonce profondément dans l’esprit de nos deux infortunés héros, et plus on réalise qu’ils ne se sont pas lancés à la poursuite du bonheur, mais plutôt de la normalité. Une quête à laquelle beaucoup d’entre nous aspirent. Mais les dés sont pipés dès le départ, si l’on prête attention aux détails. D’abord, on comprend que cette quête de “normalité” est vouée à l’échec dans cet univers bizarre où, finalement, être “normal·e” c’est être différent·e. Les scientifiques travaillant d’arrache-pied à guérir ces maladies mentales sont tout autant affecté·e·s et pétri·e·s de névroses, à l’instar du Dr Manterlay (Justin Theroux). Maniac montre aussi très bien l’étape essentielle du diagnostic, à laquelle on s’accroche comme à une bouée de sauvetage, ou qui nous assomme. Si Owen était déjà au courant de sa schizophrénie, Annie, quant à elle, semble sonnée par cette vérité étalée sur le papier.

Dans un monde où même les intelligences artificielles peuvent avoir des pensées suicidaires, où est le salut pour les êtres faits de chair et de sang ? Le cynisme n’en reste pas là dans la série avec, çà et là, des références littéraires au mythe de l’Atlantide (la cité perdue) ou à Don Quichotte de Cervantès (le combat perdu) qui trahissent le caractère utopique de cette obsession très humaine : se fondre dans la masse. Maniac aborde finalement très bien les maladies psychiques, bâties sur des strates sédimentaires de traumatismes, de souvenirs douloureux, de regrets, d’apprentissages, de schémas sociaux, d’injonctions familiales… Les scientifiques de la série filent la métaphore du labyrinthe… les couches d’un oignon auraient sans doute été plus pertinentes.

Derrière ses excentricités, Maniac dessine avec tendresse des portraits de personnes lasses. Lasses d’être prisonnières de leur diagnostic, lasses de vivre, lasses de se souvenir… “Félicitations, vous êtes guéri·e·s !”, clame un Dr Mantleray au bout de sa vie, voyant l’aboutissement d’années de recherches. La normalité, enfin. Sauf que c’est faux, et ce n’est pas si grave, au fond. La série accorde à son duo déprimé un beau répit dans les dernières minutes, un moment de pure liberté. Dans cette fugue joyeuse, ce qu’ils laissent derrière eux, ce ne sont pas leurs névroses, mais leur solitude. La morale de l’histoire, aussi cucul soit-elle, c’est que l’amitié est un très bon remède. Et Maniac vient de nous en faire une très belle démonstration.