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Crise d’épilepsie collective, armes à feu et blackface : quand la série animée Pokémon crée la pikanique

Crise d’épilepsie collective, armes à feu et blackface : quand la série animée Pokémon crée la pikanique

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© TV Tokyo

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Par Adrien Delage

Publié le

Une dizaine d’épisodes de la série animée portée par Sacha et Pikachu ont été sanctionnés, modifiés voire carrément interdits de diffusion pour leur contenu choquant depuis les années 1990. Retour sur l’origine de ces scandales.

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Le 1er avril 1997, TV Tokyo débute officiellement la diffusion de la série animée Pokémon. La franchise vidéoludique, qui cartonne sur le territoire nippon avec les versions rouge et verte lancées un an auparavant, commence tout doucement à s’internationaliser et s’exportera finalement en 1999 en Europe. Les cartouches avec Dracaufeu et Tortank remplaceront alors les billes et la marelle dans toutes les cours de récré, tandis qu’il faudra patienter jusqu’au 5 septembre de la même année pour découvrir les aventures de Sacha et Pikachu sur Fox Kids dans l’Hexagone.

Depuis ses débuts, la série animée s’adresse aux plus jeunes spectateurs pour les divertir devant leur bol de céréales. Elle truste les places des émissions jeunesse de TF1, Disney XD, Gulli ou encore Canal+ au fil des ans. Pokémon a également atteint les télévisions anglophones, mais aussi québécoises, brésiliennes, espagnoles, allemandes ou encore israéliennes. Toutefois, elle n’a pas toujours fait l’unanimité auprès des associations de parents et de certaines autorités de régulation de l’audiovisuel, allant parfois à l’encontre des mœurs voire de la loi.

Derrière les mignonneries de Rondoudou et le charisme de Dracolosse, la série animée Pokémon traîne une longue liste d’épisodes polémiques, qui ont parfois mis en péril la vie de leurs jeunes spectateurs. De la première (et dernière) apparition épileptique de Porygon au blackface de Quartermac, les petites créatures auraient parfois mieux fait de rester au chaud dans leur Pokéball.

“La beauté et la plage” (épisode 18)

Il n’a pas fallu attendre longtemps pour que la Pokémania souffre d’un premier coup de frein. Dès l’épisode 18, 4Kids Entertainment, en charge de la production de la série animée aux États-Unis et au Canada, supprime des scènes de “La beauté et la plage”. L’épisode est jugé vulgaire, inapproprié et offensant pour les jeunes enfants. En cause, James de la Team Rocket qui se fait pousser artificiellement des seins très (trop) réalistes et enfile un bikini pour remporter un concours de beauté…

Aujourd’hui encore, l’épisode poserait des problèmes liés à l’appropriation sexuelle, surtout pour un personnage qui n’a jamais été déclaré officiellement homosexuel et/ou transidentitaire. Par ailleurs, “La beauté et la plage” a également été censuré dans certains pays européens, dont la France (les scènes avec James ont été raccourcies voire coupées au montage). Il s’agit du tout premier épisode de la série animée modifié après sa diffusion au Japon et sa traduction dans d’autres langues.

“Tentacool et Tentacruel” et “La tour de la terreur” (épisodes 19 et 23)

Ces deux épisodes ont la particularité d’avoir été interdits temporairement de diffusion aux États-Unis, et ce bien après leur diffusion originale (en 1998). Car après la tragédie des attentats du 11 septembre, 4Kids Entertainment a trouvé des similarités perturbantes entre l’attaque de Porta Vista et celle des tours jumelles. En effet, dans “Tentacool et Tentacruel”, les Pokémon aquatiques se sentent menacés par les hommes et décident par vengeance de ravager leur ville, abattant les buildings d’un simple coup de tentacule.

De plus, les réactions du personnage de Nastina n’ont pas franchement plu aux diffuseurs : elle utilise des moyens militaires et de l’armement lourd pour chasser voire tuer les créatures. Cela dit, l’épisode est toujours disponible sur les versions DVD et l’image frappante de Tentacruel renversant un building a été gardée au montage du générique de la première saison. Il avait de nouveau été interdit de diffusion en 2005 suite à l’ouragan Katrina, une catastrophe bien trop comparable aux vagues qui submergent Porta Vista à cause des Pokémon en colère.

Dans “La tour de la terreur”, Sacha et ses compagnons voyagent jusqu’à Lavandia, une ville hantée par les fantômes des disparus. C’est un lieu glauque tout désigné pour accueillir des Pokémon spectres comme les joyeux lurons Fantominus, Spectrum et Ectoplasma. Mais la fameuse tour de la Terreur, que les joueurs de la première génération ne connaissent que trop bien pour son faux Ossatueur, était un titre bien trop évocateur pour 4Kids Entertainment. Dans un contexte post-attentat, les producteurs ont préféré retirer l’épisode pendant quelque temps.

Les diffuseurs ont été moins sévères avec “La tour de la terreur” qu’avec “Tentacool et Tentacruel”. En effet,  l’épisode a été reprogrammé sur Cartoon Network et Boomerang aux États-Unis peu après la sanction. Il s’agit des deux seuls épisodes de Pokémon impactés par une attaque terroriste sur le sol américain.

“La légende de Minidraco” (épisode 35)

Voilà un épisode qui a beaucoup contrarié les associations de parents et les citoyens américains opposés au deuxième amendement de la Constitution des États-Unis. “La légende de Minidraco” est le second épisode déprogrammé par 4Kids Entertainment pour utilisation d’armes à feu. Dans ce chapitre, Sacha et ses amis arrivent au parc Safari pour attraper des Pokémon rares. Là, ils se retrouvent face au gardien de ce paradis pour dresseurs, pas franchement chaud pour les laisser entrer.

Devant l’entrain du héros et la couardise de la Team Rocket, le protecteur du parc prend peur et menace Sacha avec un pistolet. Plus tard, il tire à balles réelles sur Jessie et James pour les faire fuir. L’épisode n’a jamais été traduit du japonais à cause de ces scènes violentes. Par ailleurs, les censeurs américains ont également reproché à “La légende de Minidraco” une référence trop osée à Adolf Hitler, due à la fausse moustache de Miaouss utilisée dans l’épisode. L’Hexagone avait aussi refusé de diffuser l’épisode.

Pour l’anecdote narrative, “La légende de Minidraco” a commencé à créer des incohérences avec la suite de la série animée, dont la capture inexpliquée d’un troupeau de Tauros par Sacha qui survient dans cet épisode et sera uniquement mentionnée au cours de la Ligue Indigo.

“Le soldat virtuel Porygon” (épisode 38)

Il s’agit sûrement de la controverse la plus célèbre et dramatique de toute l’histoire de la série animée. “Le soldat virtuel Porygon” a été diffusé le 16 décembre 1997 au Japon avant d’être interdit dans tous les pays et supprimé de toutes les versions DVD. Il est encore disponible sur certains sites de streaming illégaux (mais à vos risques et périls). En effet, l’apparition de ce Pokémon digital a déclenché une série de crises d’épilepsie sur l’archipel nippon.

Le matin du 16 décembre 1997, alors que les jeunes enfants japonais découvrent les nouvelles aventures de Pikachu, une séquence très intense en termes d’animation (le “paka-paka”) perturbe leur oreille interne. Au final, plus de 600 spectateurs (sur plusieurs millions) seront transportés d’urgence à l’hôpital après des symptômes similaires : maux de tête, nausées, vertiges et troubles de la vue. Ces traumatismes sont déclenchés par une attaque de Pikachu : ses flashs bleus et rouges très rapides et successifs ont entraîné des crises d’épilepsie chez les enfants.

Certains arrivent aux urgences avec des symptômes encore plus inquiétants : convulsions, cécité voire perte de conscience. Une poignée d’enfants restera clouée au lit pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines pour deux d’entre eux, mais ils en ressortiront tous indemnes. L’événement a très vite été médiatisé au Japon et surnommé “la panique Pokémon”. Des témoignages de médecins accessibles sur des sites d’archives sont plutôt effrayants : “Les enfants étaient plongés dans un état de transe similaire à l’hypnose. Ils se plaignaient de difficultés respiratoires, de nausées et de vision trouble”, pouvait-on lire dans le quotidien Yomiuri Shimbun.

Dans la matinée qui a suivi la diffusion de l’épisode, le ministre de la Santé japonais a tenu un meeting exceptionnel avec des experts pour comprendre la situation et trouver des solutions. TV Tokyo a rapidement supprimé l’épisode de toutes ses cases (“Le soldat virtuel Porygon” a été rediffusé pendant la matinée, mais on ne connaît pas l’impact du replay) et présenté un communiqué puis un spot d’excuses. La police de Tokyo a été chargée d’enquêter auprès des producteurs de Pokémon pour comprendre l’origine du traumatisme tandis que le Premier ministre de l’époque, Ryūtarō Hashimoto, a comparé l’animation de l’épisode à “une attaque avec des armes et des lasers”.

Enfin, les associations de parents ont demandé un mécanisme pour empêcher la diffusion du “paka-paka” sur leur téléviseur, tout en portant plainte contre la chaîne. Résultat des courses, tous les épisodes de Pokémon comportent depuis un message préventif à l’attention des enfants japonais sujets à l’épilepsie. La série animée a été suspendue pendant plusieurs mois avant de revenir à l’antenne en avril 1998 et de rapidement retrouver son audience massive d’origine, bien que l’introduction de Porygon ait failli signer la mort du phénomène nippon.

“La grotte de glace” (épisode 250)

Le physique de Lippoutou a très longtemps posé problème à la Pokémon Company et TV Tokyo, en dehors du Japon, déjà dans sa forme pixélisée. Quand il est finalement arrivé à l’écran, les firmes japonaises ont dû modifier son design. La censure internationale remettait en cause son apparence physique : une peau noire et des grosses lèvres. Pour certains, le Pokémon de type glace est un cliché racial, qui trouverait son inspiration dans le roman pour enfants controversé The Story of Little Black Sambo.

Ce récit d’Helen Bannerman publié en octobre 1899 présente l’un des premiers héros noirs pour les enfants. Mais au milieu du XXe siècle, le roman a commencé à être critiqué pour ses stéréotypes raciaux de l’histoire et de la personnalité des Noirs. En revanche, il a longtemps été adulé au Japon, où il ne subissait pas les mêmes reproches. Dans les jeux et les épisodes Pokémon qui ont suivi, Nintendo et les animateurs de la série ont pris la décision de changer la peau de Lippoutou en mauve pour éviter toute confusion.

Cela dit, “La grotte de glace” n’a jamais été diffusé hors du territoire nippon. L’épisode a tout de même été censuré en partie sur l’archipel à cause de la maladie contractée par Pierre, dont les symptômes étaient proches de l’épidémie de SRAS qui a frappé le pays en 2002 et 2003.

“Team Rocket vs. Team Plasma” (épisodes 680 et 681)

Après plusieurs années sans incident, c’est finalement une tragique coïncidence qui viendra empêcher la diffusion (dans tous les territoires, Japon compris) de l’épisode en deux parties “Team Rocket vs. Team Plasma”. Dans ce dernier, les membres de Giovanni rentrent en compétition avec ceux de N pour récupérer une météorite qui s’est écrasée sur la ville de Volucité. Mais au cours de leur course effrénée, ils vont dévaster le territoire.

Six jours avant la diffusion des épisodes, une catastrophe naturelle tragique et très médiatisée survient : le séisme de la côte Pacifique du Tōhoku, qui a notamment causé l’accident nucléaire de Fukushima. Devant la similitude des événements et les traumatismes liés aux tsunamis qui ont frappé l’archipel, TV Tokyo déprogramme pour toujours “Team Rocket vs. Team Plasma”.

Toutefois, certains passages de l’épisode sont apparus quelque temps plus tard dans “Meloetta et le temple englouti !” et “De la stratégie à revendre” pour un souci de cohérence scénaristique. Par ailleurs, les noms d’attaques tels que “Séisme”, “Amplitude” et “Abîme” ont été supprimés de la série animée.

“Une maison sous-marine !” (épisode 823)

Le cycle X et Y de Pokémon a lui aussi connu des hauts et des bas. La première rencontre entre Sacha et Venalgue comportait de nombreuses références à Titanic, mais le contexte de l’actualité a encore une fois joué en la défaveur de la série animée. En avril 2014, une semaine avant la diffusion de l’épisode, le Sewol, un ferry transportant des lycéens sud-coréens, chavire et coule dans la mer Jaune. 304 passagers périront dans le naufrage causé par une erreur humaine.

Or, Sacha et ses compagnons connaissent une catastrophe similaire en tentant de ramener Venalgue auprès de sa famille (le sous-marin Cousteau sombre dans les abysses à cause de la Team Rocket). “Une maison sous-marine” a été supprimé du calendrier de TV Tokyo mais, contrairement aux autres épisodes malencontreux, il a été diffusé plus tard dans l’année au Japon. Il fut également proposé en Corée du Sud malgré la catastrophe, puis dans les pays anglophones en 2015.

“Ash and Passimian ! Touchdown of Friendship !” (épisode 1005)

En 2018, la série animée Pokémon est entrée dans l’histoire en diffusant son 1 000e épisode. Cet impressionnant record de longévité aurait pu être entaché quelques semaines plus tard sans l’intervention de Disney XD. Après 200 épisodes sans malédiction ni crise d’épilepsie collective, l’arc Soleil et Lune a failli lancer une polémique raciale à la suite d'”Ash and Passimian ! Touchdown of Friendship !” (il n’a pas encore été diffusé en France), qui a été interdit de diffusion sur le territoire américain.

Dans ce récent chapitre des aventures de Sacha et Pikachu, le tandem fait la rencontre d’un nouveau Pokémon : Quartermac, puissante créature de type combat. Le troupeau de Quartermac terrorise les habitants d’Ekaeka et saccage le marché de la ville. Ni une ni deux, le dresseur à la casquette rouge décide de venir en aide aux citoyens en s’infiltrant dans la bande de Quartermac. Vous sentez la mauvaise idée venir ?

Pour ce faire, Sacha se déguise comme les Pokémon et se recouvre le visage d’un maquillage noir pour gagner leur confiance. C’en est trop pour la censure américaine, qui considère l’accoutrement du dresseur comme un blackface. Pour rappel, les comédiens blancs utilisaient ce procédé au XIXe siècle dans des pièces de théâtre. C’est au cours du siècle suivant que la communauté noire s’est battue pour stopper cette pratique jugée raciste, moqueuse et stigmatisante à l’égard des peuples africains. Cette censure n’est pas sans rappeler l’affaire Lippoutou du début des années 2000.

Ni la chaîne ni la Pokémon Company n’ont commenté leur décision depuis l’annulation de l’épisode, qui a en revanche été diffusé sans problème au Japon. Avec le récent scandale du blackface d’Antoine Griezmann, Disney XD devrait également prendre la décision de supprimer l’épisode de sa programmation en France. C’est la première fois en 16 ans qu’un épisode de Pokémon a été strictement interdit de diffusion aux États-Unis.