Rencontre avec Marc Simonetti, le premier dessinateur du Trône de Fer

Rencontre avec Marc Simonetti, le premier dessinateur du Trône de Fer

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Par Théo Chapuis

Publié le

Marc est arrivé à retranscrire le Trône de Fer au plus proche de la vision que j’ai en tête que n’importe quel autre artiste. Dès à présent, CETTE ILLUSTRATION sera la référence que je présenterai à quiconque tentera de représenter une scène se déroulant dans la salle du trône. Ce Trône de Fer est massif. Moche. Assymétrique.

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Et c’est comme cela qu’il le préfère. Il y a quelques jours, à l’occasion du Festival du film d’animation d’Annecy, nous avons rencontré l’homme qui a su s’attirer les louanges de l’écrivain sans pitié. Là, aux abords du cadre idyllique du lac d’Annecy, nous découvrons un homme affable et accueillant, aussi bien capable de nous entretenir de sa vie quotidienne de jeune papa que de ses références littéraires science-fiction et fantasy – dont, à 37 ans, il a déjà largement illustré les univers littéraires.

D’ailleurs, à l’image de ses lectures, le parcours de Marc Simonetti est original. Passionné de dessin dès son plus jeune âge, cet Annécien d’origine est aujourd’hui l’un des illustrateurs de romans de science-fiction et de fantasy parmi les plus célèbres au monde. Son mélange d’influences classiques et contemporaines font de son art numérique (qu’il commence sur une feuille de papier) l’un des plus respectés.

Des débuts loin de l’illustration

Marc est inscrit dès l’âge de neuf ans aux Beaux-Arts par ses parents pour un cours hebdomadaire. Avec un père “dans la finance” et une mère au foyer “qui aimait bien dessiner mais que je n’ai jamais vu dessiner”, Marc, aux côtés de ses deux sœurs, ne grandit pas dans une famille à la fibre particulièrement artistique.
À 17 ans, persuadé qu’il ne payera jamais son loyer grâce à son trait, il met un point d’honneur à ses années Beaux-Arts et intègre un plus classique IUT science et génie des matériaux, après avoir été séduit par des responsables de la marque Salomon : “Ils disaient qu’on pouvait faire des skis !”.
Il poursuit sur une école d’ingénieur et trouve très vite un emploi en recherche et développement pour Tefal, à Rumilly, non loin de sa ville natale. Marc se sent pourtant loin, très loin de l’accomplissement personnel. Il en garde un souvenir “très spécial” et termine “limite en dépression”.

J’avais vraiment besoin d’un emploi plus créatif. Il y avait vraiment un côté Germinal à Téfal.

“Je dessine encore des personnages de Street Fighter”

Exit Tefal. Marc se dirige alors vers l’une de ses passions : le jeu vidéo. Depuis tout petit, cette pratique l’accompagne, lui qui a grandi avec Prince Of Persia, Les Voyageurs du Temps et d’autres jeux d’aventure qui se jouent sur des consoles oubliées comme Atari ST, CPC, Amiga… Puis passe sur Super NES et finalement, ne lâche jamais vraiment le gaming. “Je dessine encore des personnages de Street Fighter”, avoue-t-il, sans savoir s’il faut en être fier ou bien gêné.
Après une formation à la prestigieuse école lyonnaise Emile Cohl, il atterrit alors comme modeleur 3D dans le jeu vidéo. “Je voulais déjà faire de l’illustration mais je ne pensais jamais y arriver.” Au cours de deux ans d’un boulot “assez violent” où il assiste, inquiet, à l’étrillage de son équipe, qui se réduit comme peau de chagrin, il travaille le jour et s’entraîne la nuit à faire de l’illustration, “tous les soirs, toutes les nuits”.

En parallèle, j’apprenais la modélisation 3D. J’allais me coucher avec d’affreux maux de crâne où je voyais des modèles 3D, je sentais le cerveau se reconnecter… J’ai même encore des séquelles !

Je suis vraiment inspiré par un mélange de styles actuel, avec les jeux vidéo, le cinéma… et du XIXème siècle.

Pour lui, le jeu vidéo, ce n’est pas que le gaming pur. C’est aussi des illustrateurs mythiques qui accompagnent son enfance. Il est marqué par le travail d’artistes comme Frank Frazetta (Tarzan, Conan le barbare…), Bisley (DC Comics, Marvel…) ou les Bitmap Brothers.

La littérature SF au cœur

Précoce, il découvre la bibliothèque de son père à une époque où ses camarades lisent “des bouquins complètement débiles sur le Moyen Âge, etc”. Pour lui, c’est un choc : “il n’avait que de la vieille SF avec du Asimov, du Lovecraft… Mon premier livre, c’est Niourk de Stefan Wul.” Ce livre à l’univers post-apocalyptique avec des poulpes mutants marque son premier contact avec la SF : c’est le coup de foudre.
Plus tard, il dévore tous les Wul, mais se repaît aussi des incontournables de la science-fiction comme Philip K. Dick, Frank Herbert, Isaac Asimov… puis découvre la fantasy plus tard dans son cheminement littéraire.

Quel plaisir, cette année, d’avoir été choisi pour faire l’illustration de l’intégrale de Stefan Wul. Personnellement important parce que ce sont des bouquins auxquels mon père m’a introduit.

Premier (ou presque) à illustrer Westeros

Après avoir quitté l’entreprise de jeux vidéo pour laquelle il est modeleur 3D, à 25 ans, il rentre dans le game de l’illustration en travaillant sur un jeu de cartes à collectionner, “un peu comme Magic”, dérivé de la nouvelle culte de H.P. Lovecraft, l’Appel de Cthulhu. “Le jeu était très connu aux États-Unis, mais le job très mal payé”. Il se retrouve alors en compétition avec de nombreux illustrateurs bien plus introduits que lui. Ensuite, il illustre pendant un an et demi un jeu de cartes similaire dérivé… du Trône de Fer. Son sentiment est clair : “J’étais comme un ouf”. Puis les contrats s’enchaînent : “en même temps j’ai fait les couvertures pour J’ai Lu, pour Pocket, qu’on m’a proposées”.

J’ai été parmi les premiers, avec quelques colosses de l’illustr’, à donner une forme au monde de George R.R. Martin”.

Le défi du Trône de Fer

C’est après ce long parcours qu’il s’est retrouvé à tenter d’illustrer le fameux trône de Fer des Sept Royaumes imaginé par George R.R. Martin. Et les ennuis commencent très vite : selon l’auteur, le support du postérieur royal de Westeros est composé de mille épées fondues par le feu d’un dragon noir capable d’avaler un auroch et forgées ensuite. Bref, ce n’est pas n’importe quoi. Marc Simonetti le concède : c’est un véritable “challenge”. Et ça ne marche pas du premier coup.

Quand j’ai fait ma première proposition à Martin, il m’a dit “ce n’est pas du tout ça ! Il doit être moche, il doit être gigantesque…”, je l’avais par exemple dessiné de trop loin et les épées ressemblaient à de petites épines…

Un brouillon après l’autre, Marc Simonetti travaille d’arrache-pied et produit 50 versions différentes à l’écrivain barbu, qui ne lui répond que de manière très laconique, par e-mail, sans sembler très convaincu par les propositions de l’Annécien. Il se souvient : “Avec Martin, c’est soit “I love it”, ou “plus simple”, ou encore “ça, j’aime pas”, ou encore “Awesome”, point. Il a l’air d’avoir du caractère”.

Le trône papal comme inspiration

Représenter un siège royal composé de mille épées est un sacré pari. “Dans le roman, il parle d’une bête recourbée, une bestiole accroupie… dans le livre, le trône, c’est quasiment un personnage.” Sauf que voilà : “je me suis vite heurté à un problème numérique : mille épées, ça fait un trône d’à peu près un mètre de haut”. Bref, pour un séant hideux et menaçant, il s’agit de ruser.
Parmi ses inspirations pour s’en sortir, il regarde du côté des gritches d’Hypérion (créature robotique de l’univers de l’écrivain Dan Simmons, ndlr) et même carrément de la forme générale et des rayons du trône papal. Ce mini-blasphème fait encore rire Marc rien que d’y penser. Même si à l’époque, il en bavait plutôt.

J’étais prêt à abandonner. J’ai fait un dernier essai en 3D où j’ai appliqué les épées de manière aléatoire sur ma structure du trône. Puis j’y suis allé comme un gros porc, j’ai mis à peu près 50 000 épées. Puis une version a fini par lui plaire, il l’a postée sur son blog alors qu’elle était supposée rester confidentielle, et c’est comme ça qu’on a commencé à parler de moi. C’est amusant : mon dessin le plus connu est un travail inachevé…

Et la pop culture, alors ?

La série Game Of Thrones ? Marc l’aime beaucoup mais a bien quelques critiques à émettre. “Je trouve leur représentation des cités médiévales pas assez crado. Pareil pour les Dothrakis : je trouve qu’ils étaient trop proprets. Ils avaient même un côté kitsch à la Xéna ou Hercule.” Il adore également les dragons mais reste déçu par les loups garou : là où Martin décrit d’immenses canidés plein de griffes et de dents, dans la première saison, ils n’ont la taille que de simples loups.
Son ambiance, il aime se la concocter en musique. Ses écoutes sont variées et il cite aussi bien Agnès Obel (“elle chante, mais ça ne me dérange pas”) que de l’électro. Pour travailler, il se passe volontiers la BO de Tron 2.0 composée par Daft Punk, mais aussi Danny Elfman ou la musique du film Sherlock Holmes par Hans Zimmer. Pour le reste, ses coups de cœur du moment évoluent entre Black Keys, Arctic Monkeys ou encore Rage Against Machine, qu’il écoutait plus jeune aux côtés de Skunk Anansie ou Metallica.
Côté cinéma, il s’excuse presque de sa culture “très grand public, je suis ne pas très pointu”. Jeune papa, il a deux enfants, “encore tellement petits qu’ils ont peur devant Barbapapa”. On attendra donc un peu pour les introduire à Game Of Thrones. Son plus grand, qui a trois ans, ne veut pas dessiner parce qu’il “ne sait pas faire comme papa” – un futur ingénieur à Tefal, sans doute.
Côté actu, l’Annécien sortira Coverama, un bouquin regroupant nombre de ses œuvres, qui paraît grâce au financement participatif (par ici). Le crowdfunding n’est pas encore arrivé à échéance. Pourtant, c’est déjà un certain succès :

Je devais être édité par le Café Salé, une belle maison d’édition, mais ils ont fermé… N’ayant pas envie de me taper la tournée des éditeurs, j’ai choisi le crowdfunding. Aussi, c’était un pari : si le financement n’avait pas fonctionné, ça aurait voulu dire que personne ne voulait le livre et je n’aurais pas eu de raisons de le faire.

GOT, ce business

Bonus : la sélection littéraire SF et fantasy de Marc Simonetti

En tant que véritable spécialiste de littérature SF et fantasy, il aurait été dommage de quitter Marc Simonetti sans recueillir ses conseils en la matière. Pour Konbini, l’illustrateur a bien voulu se prêter au jeu et a dressé une liste toute personnelle de quelques portes d’entrée dans ces univers si prenants. Du classique inoubliable à la pépite planquée, l’artisan du trône de fer de Westeros détaille quelques-uns de ses goûts ci-dessous.
Science-fiction :

  • Je Suis Une Légende de Richard Matheson. “Le bouquin est dix mille fois mieux que le film, très psychologique. Il se passe dans une banlieue tranquille, un peu à la Desperate Housewives, alors que tous les voisins du dernier survivant sont devenus des vampires”. Rien à voir avec l’aventure bancale que vit Will Smith.
  • L’Appel de Cthulhu ou les Montagnes Hallucinées de Howard Philips Lovecraft. “On peut même en mettre deux tellement ses histoires sont superbes”.
  • L’Ecorcheur de Neil Asher. “Je le conseille pour ceux qui aiment les histoires qui bougent”.

Fantasy :

  • La Compagnie Noire de Glenn Cook. “Un de mes livres favoris. À lire en particulier quand on est fan du Trône de Fer
  • Légende de David Gemmell
  • Le Disque Monde de Terry Pratchett. “Incontournable”.
  • Le Nom du Vent de Patrick Rothfuss. “C’est de la fantasy très gentille, très douce, très calme. Mais c’est très bien aussi !”
  • Le Livre Malazéen des Glorieux Défunts de Steven Erickson. “Le titre est horrible mais le bouquin génial”.