Ricky Whittle : de la pelouse des stades au panthéon d’American Gods

Ricky Whittle : de la pelouse des stades au panthéon d’American Gods

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Par Adrien Delage

Publié le

“Maman, je veux être blanc”

Quelques années après sa naissance, la famille Whittle déménage en Irlande du Nord. Le jeune Ricky rencontre des difficultés pour s’intégrer : tout le monde est blanc dans cette région du monde. Il se sent différent, rejeté, stigmatisé. Un soir, il rentre de l’école et fait une terrible confidence à ses parents :“J’aimerais être blanc.” Ces derniers comprennent que des camarades de leur fils l’intimident et le malmènent sous le préau.
Heureusement, sa mère est une épaule solide pour le réconforter et lui permettre de relativiser, comme il le racontait à la BBC : “Écoute, quand tu seras plus grand, tu apprécieras ta couleur de peau. Tu ne veux pas être comme tout le monde, tu veux être différent et unique.” Pour le jeune Ricky, le message est reçu cinq sur cinq. Tellement clair qu’il n’hésitera pas des années plus tard à militer pour la représentation de la culture noire dans le monde, notamment avec ce shooting du photographe Tyler Shields qui avait fait sensation à Los Angeles.

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Pour oublier ces problèmes raciaux vécus au quotidien, le jeune Ricky se concentre sur sa grande passion : le sport. Il va jusqu’à représenter son pays en athlétisme et au rugby, mais excelle particulièrement au football américain. Comme les fans de The 100 et American Gods n’auront pas manqué de le remarquer, il développe très vite une imposante musculature et obtient un corps d’Apollon dès la vingtaine. À cet âge-là, Ricky Whittle est courtisé par des équipes nationales de foot telles qu’Arsenal et le Celtic Glasgow. Ses chances de devenir sportif professionnel volent malheureusement en éclats après une série de blessures. Sauf qu’au lieu de s’apitoyer sur son sort, il rebondit et s’inscrit à l’université de Southampton afin d’étudier la criminologie.
Pour obtenir son diplôme, Ricky Whittle doit passer quatre ans dans cette prestigieuse fac jumelée avec le MIT de Cambridge. Afin de mettre quelques économies de côté, il entame une carrière de mannequin qui portera ses fruits. En 2000, il devient égérie de Reebok pour les sous-vêtements de la marque. Avec cette nouvelle notoriété, les directeurs de casting commencent à s’intéresser à lui, d’abord pour son corps d’athlète. Ainsi, Ricky Whittle effectue deux ans plus tard ses premiers pas sur le petit écran dans la série de sport Dream Team (inédite en France), où il incarne un bad boy champion de football américain.

Le jour où Ricky Whittle a failli mourir

L’acteur interprète pendant 111 épisodes le personnage de Ryan Naysmith. Entre-temps, il décide d’abandonner ses études avant l’obtention de son diplôme pour se consacrer entièrement à sa carrière d’acteur. En 2004, il apparaît dans le show médical Holby City où il joue son premier personnage gay. Coup du sort : c’est à cette période qu’il se brise la jambe en trois après un gros contact et apprend de la bouche des médecins qu’il ne pourra plus jamais jouer à haut niveau.
Ricky Whittle s’est remémoré ce terrible événement pour le Manchester Evening News : “Le craquement qu’ont fait mon tibia et mon péroné en se brisant a été entendu par des gens jusqu’à vingt mètres à la ronde. La deuxième chose dont je me souviens est de m’étendre sur le dos, de tenir ma jambe en hauteur et de voir qu’un second genou était apparu à côté du premier. Ça saignait énormément.” À son arrivée en urgence au Fairfield General Hospital de la ville de Bury, les infirmières tentent d’arrêter l’hémorragie tout en maintenant sa jambe stable.

Il est opéré pendant plusieurs heures en salle d’opération et en ressort avec des tiges en métal dans la jambe. La situation empire quand des bouts de chair remontent dans son thorax et obstruent ses poumons. Alors qu’il semble dormir paisiblement en salle de réveil, Ricky Whittle est entre la vie et la mort.

“L’embolie aurait pu m’être fatale, car les médecins ne pouvaient pas passer ma jambe sous les rayons X. Ils ne pouvaient pas faire grand-chose excepté m’aider à respirer et espérer que le caillot bouge ou se dissolve. Et j’ai eu de la chance.”

Il en réchappe. Quelques jours après son opération, les médecins sont prudents et lui prédisent une jambe boiteuse. Finalement, Ricky Whittle ne pourra “juste” plus gambader sur un terrain pour marquer des touchdowns. Plus fort que le roc, l’acteur se reprend et les scénaristes de Dream Team transposent son histoire dans la série pour que son personnage n’ait plus à jouer au football.
Sous les nombreuses lettres de soutien de fans, il finit par achever sa période de convalescence. Sa jambe est alors parfaitement guérie et prouvera aux médecins qu’ils ont eu tort de douter de sa guibole. Aujourd’hui encore, Ricky Whittle continue de participer à des matchs de charité. Avec contacts.

L’expression par le corps


Dans la deuxième moitié des années 2000, le comédien termine de tourner la neuvième saison de Dream Team et en profite pour signer un tout nouveau contrat. Cette fois, il jouera un flic débutant dans Les Feux de l’amour britanniques, intitulées Hollyoaks. Entre ce feuilleton et la série de Sky One, Ricky Whittle n’a pas vraiment l’opportunité de montrer l’étendue de son talent dramatique, mais il remplit sa tirelire et rencontre l’amour en la personne de Carley Stenson, elle aussi actrice. Surtout, il continue de gagner en visibilité et décide finalement de quitter successivement Dream Team et Hollyoaks après y avoir passé un temps considérable.
Les années qui suivent, Ricky Whittle ne trouve pas chaussure à son pied. Il enchaîne les guests et les petits rôles (Single Ladies, NCIS, Mistresses), se sépare de Carley Stenson puis participe au Strictly Come Dancing de la BBC One en 2009. Pas franchement amateur de danse à la base, Ricky Whittle le prend comme un nouveau challenge pour sa jambe et se consacre corps et âme à l’émission. C’est encore une fois l’occasion de prouver la résistance de son corps tout puissant. Il finira sur la deuxième marche du podium, juste derrière le présentateur Chris Hollins et sa partenaire alors que les juges le donnaient gagnant.
À l’aube de la nouvelle décennie, il décide de tenter sa chance chez l’Oncle Sam. Il emménage en Californie et s’attire les faveurs de Ken Jacobson, un agent d’acteurs qui compte notamment dans ses rangs Michelle Williams, Hilary Swank et James Franco. Il tourne d’abord à New York dans le court-métrage Losing Sam, avant de rejoindre la distribution de la comédie romantique Austenland, où il donne la réplique à Keri Russell (The Americans). Ces quelques apparitions lui permettent de gratter une green card. Le cœur sur la main, il dévoue également une partie de son temps libre à des œuvres de charité dans des hôpitaux, conséquence directe de son accident quelques années auparavant.
La chance lui sourit enfin en 2014, quand il intègre le casting de The 100. Sur le papier, le nouveau show de la CW est alléchant : un teen drama transposé dans un monde post-apocalyptique. En incarnant Lincoln, un membre des Grounders (le Peuple des arbres en VF), Ricky Whittle a l’opportunité d’utiliser sa meilleure arme en tant qu’acteur. Ses muscles saillants et son visage sévère siéent parfaitement à cette communauté établie sur une Terre en perdition. Le Peuple des arbres compte essentiellement dans ses rangs des guerriers, dont les corps sont marqués par les conflits traversés. En résumé, leurs cicatrices parlent pour eux, de la même manière que les blessures de Ricky Whittle reflètent les étapes de sa vie.

Trois saisons plus tard, alors que le couple “Linctavia” fait battre le cœur des fans de The 100, l’acteur et Jason Rothenberg se prennent le chou. Selon Ricky Whittle, le showrunner de la série prend un malin plaisir à écarter progressivement son personnage de l’intrigue principale. Il évoque même des harcèlements au quotidien. Finalement, il jouera l’exécution de Lincoln dans une scène aussi controversée que la mort de Lexa. Ricky Whittle claque la porte sans se retourner, en souhaitant le meilleur à la chaîne et à ses camarades, puisqu’il a trouvé un projet sériel galvanisant supervisé par un grand monsieur du petit écran : Bryan Fuller (Hannibal) et sa série American Gods.
Dès les premières lectures du script, l’acteur comprend qu’il a franchi une étape de sa carrière. American Gods réunit des grands talents de tous horizons : Bryan Fuller donc, son pote réalisateur David Slade, déjà à l’œuvre sur Hannibal, mais aussi l’auteur du bouquin, Neil Gaiman, ou encore l’inénarrable comédien Ian McShane (Deadwood, Game of Thrones). Petite pression supplémentaire, la réussite du show dépend en grande partie de son interprétation puisqu’il tient le rôle principal. “Si j’avais mal bossé, la série n’aurait pas marché”, avait-il confié à GQ. Bilan à mi-parcours d’American Gods ? Starz a donné son feu vert pour une deuxième saison. Good job, Ricky.

Toucher le divin ?

Pour le moment, American Gods a reçu des avis plutôt favorables dans le monde des séries. Pourtant, le style visuel de Bryan Fuller, fantasmagorique, contemplatif et chargé au possible, est exigeant. Les personnages tourmentés et difficiles à cerner nés dans l’imagination de Neil Gaiman n’aident pas forcément à comprendre au mieux cette histoire nébuleuse d’un conflit cyclique entre les anciens et les nouveaux dieux. D’ailleurs, son histoire était réputée inadaptable. Les deux hommes pouvaient toutefois faire confiance à leurs acteurs principaux, puisque Ricky Whittle s’en sort avec les honneurs pour son premier rôle central.
La tâche n’est pourtant pas aisée. Il doit donner la réplique à Ian McShane, acteur avec plus de cinquante ans de carrière derrière lui. Son interprétation magistrale de Mr. Wednesday a été saluée de toute part, et il faut bien évidemment rendre sa couronne de laurier à César, mais ne pas évincer le travail de Ricky Whittle. Sa stature et son regard à la fois si touchant et intransigeant traduisent à merveille la lassitude, le stoïcisme et l’ignorance qui caractérisent le personnage de Shadow Moon. Il incarne un parfait contrepoids à l’omniscience de M. Wednesday, sans pour autant tomber dans la béatitude ou le ridicule (même si sa carrure et son rôle le font parfois tomber dans un jeu monoexpressif).

Son regard perçant sied à merveille au côté sombre du monde d’American Gods, où les éléments naturels entrent en collision et s’effondrent comme du bois pourri, reflétant la colère divine qui s’apprête à s’abattre sur Terre. Intelligemment et avec brio, Bryan Fuller et David Slade utilisent leur style visuel ultrapointilleux pour sublimer le corps et les cicatrices de Ricky Whittle.
À l’aide de contrastes appuyés et de gros plans à faire pâlir le maître du genre, Terry Gilliam, Shadow Moon est rapproché d’une entité divine : Hercule quand il bande ses muscles ou encore Prométhée quand les sbires de Technical Boy le massacrent dans l’épisode 2. Sur plusieurs plans en contre-plongée, il est d’ailleurs sacralisé comme une figure suprême, un antihéros voué à un destin exceptionnel. C’est encore plus frappant dans les scènes de violence et de sexe, esthétiques bien que très crues.
Si Ricky Whittle touche le divin à travers le personnage de Shadow Moon, on espère qu’il suivra la même trajectoire pour sa carrière. Il a frôlé la mort pour mieux rebondir au paradis. Contrairement à son personnage dans American Gods, Ricky Whittle n’aime pas l’art de l’illusion. “Je hais les tours avec des pièces”, disait-il à GQ. Pourtant, il faut bien un peu de magie pour survivre à ce parcours semé d’embûches, définitivement inspirant.
En France, la première saison d’American Gods est disponible sur Amazon.