Série culte : Prison Break, un chemin de croix vers la liberté

Série culte : Prison Break, un chemin de croix vers la liberté

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Par Adrien Delage

Publié le

Escapade et évasion sociale

Si Lost cultivait la culture du mystère, Paul Scheuring se défend par la science du récit à rebondissements. L’histoire de Scofield et Burrows est, à l’époque, un exemple d’écriture à twists où chaque épisode se termine sur un cliffhanger. La mise en scène nerveuse retranscrit le rythme haletant de l’intrigue où tout va très vite malgré un lieu d’action cloisonné, à savoir les cellules de Fox River. De ces limites spatiales, le créateur de Prison Break tire le meilleur.
Dès les premiers épisodes de la série, il tend la carotte aux spectateurs en les attirant dans son terrier du lapin (un procédé narratif qui, au final, le rapproche de la recette “boîte mystère” de J.J. Abrams). Non seulement Michael a un tatouage stylé sur tout le corps dissimulant le plan de la prison, mais Paul Scheuring épice l’intrigue avec plusieurs couches d’histoires secondaires pour garder le spectateur en haleine : le passé des autres détenus, une conspiration derrière l’affaire Burrows, la romance naissante entre Scofield et Sara Tancredi…
Il a ainsi mis au point une recette addictive qui donne envie au spectateur de revenir chaque semaine pour découvrir les nouvelles étapes du plan de Michael. Le showrunner aurait pu lancer la mode du binge-watching bien avant Netflix. Mais surtout, ce dernier attache une certaine importance à complexifier ses personnages : les prisonniers ne sont pas tous si mauvais, tandis que Michael, à force de côtoyer le monde carcéral au quotidien, révèle des facettes plus sombres de sa personnalité.

De cette manière, Paul Scheuring espère créer chez le spectateur une forme d’identification et de compassion pour ses deux personnages pris dans une véritable descente aux enfers. Michael sacrifie sa confortable vie d’architecte du jour au lendemain (on n’est pas loin d’un “jump the shark” dès le pilote) tandis que Lincoln est dans le couloir de la mort pour un crime qu’il n’a pas commis. La sauce va prendre et le public se prend de passion pour ces deux protagonistes, qui incarnent respectivement l’opposition aux États-Unis individualistes des Bush et l’échec du rêve américain.
À cette époque plus clémente sur les notions de diversité culturelle à la télévision, Paul Scheuring choisit sans se poser trop de questions deux acteurs blancs cisgenres pour incarner… deux protagonistes blancs cisgenres. Toutefois, les minorités ethniques restent représentées via les personnages secondaires gravitant autour du tandem pendant la série, Fernando Sucre (Amaury Nolasco) et C-Note (Rockmond Dunbar) en tête.
S’ils serviront malheureusement en premier lieu de “supporting cast” à Wentworth Miller et Dominic Purcell, et restent bourrés de clichés, ces personnages se mettent toujours au service de l’intrigue. Au fur et à mesure des épisodes, la bromance entre Michael et Fernando crée un nouvel enjeu dramatique, tandis que ce dernier devient touchant, notamment à travers son histoire d’amour shakespearienne avec Marie-Cruz. Quant aux deux frères, ils enfilent la cape de l’antihéros archétypal de l’époque, héritiers de Tony Soprano mais précurseurs de Don Draper et d’un certain Heisenberg.
Et malgré ces stéréotypes, une autre force de Prison Break sera de ne jamais sous-estimer ses personnages secondaires. Le glaçant T-Bag (Robert Knepper, qui n’était pas encore accusé d’agression sexuelle à l’époque) s’impose comme une parfaite opposition à Michael “Blanche-Neige” Scofield. Bagwell est le mal incarné, une vraie pourriture sociopathe, pédophile et raciste, polarisant toutes les angoisses de la société américaine. Tout au long des quatre premières saisons, il sera au centre de questions aussi existentielles que : a-t-on le droit à une deuxième chance ? La réinsertion est-elle possible après de telles atrocités ? La liberté est-elle un droit inné ou acquis ?
Impossible de ne pas citer Sucre encore une fois, sidekick comique et attachant de la bande, mais aussi et surtout symbole de la conscience de Michael. Sans la bonté et la loyauté du petit ami de Marie-Cruz, Scofield serait passé du côté obscur et aurait échoué à faire évader son frère. C-Note, Abruzzi, Bellick, Patoshik, Mahone, Kellerman, Krantz… La galerie de personnages de Prison Break est vaste et diversifiée alors que chacun incarne une perversion du système américain : le flic névrosé, le gardien de prison sans ambition, la déception paternelle, la perte d’identité dans un pays uniformisé… C’est paradoxalement derrière les barreaux que la série décrypte le mieux la société états-unienne.

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Le roi du “jump the shark”

Après une première saison addictive et jouissive, Prison Break commence à révéler ses travers. En cause, la mort du concept initial et la sensation que les scénaristes partent dans tous les sens. Ils vont même jusqu’à le ridiculiser en replaçant Michael en prison (Sona puis Ogygia) comme un aveu ouvert de leur perte d’inspiration.
Le succès rencontré par la première saison et la concurrence en hausse des productions originales sur le petit écran ont eu raison de son authenticité. Exit le huis clos, les réflexions sur l’enfermement et l’aliénation en milieu carcéral brillamment illustrées par les épisodes “Brother’s Keeper” et “J-Cat”, où Lincoln est sauvé in extremis de son exécution. Dès la saison 2, le groupe d’évadés jouera au jeu du chat et de la souris pendant plus d’une cinquantaine d’épisodes, certains frappés de fulgurances et d’autres tristement ennuyeux voire insipides.
Vraisemblablement à court d’idées après la saison 2 (où les audiences commencèrent d’ailleurs à chuter), Paul Scheuring et son équipe vont inventer les twists les plus grotesques et alambiqués pour pallier leur manque de créativité. Ils atteindront le point de non-retour avec la fausse mort de Sara et sa fameuse tête retrouvée par Lincoln. En réalité, Sarah Wayne Callies était enceinte à ce moment-là et ne pouvait donc être présente sur le tournage.

La grossesse de l’actrice ne justifie en rien ce “jump the shark” venu de nulle part, surenchère glauque et ridicule dans la fuite interminable des deux frères. On atteindra l’ineptie lorsque l’infirmière de Fox River reviendra saine et sauve, la tête dans le carton n’étant qu’une tromperie. En vérité, Prison Break souffre (et la saison 5 a confirmé encore une fois cette idée) de ce que j’appellerai le “syndrome Marvel” : elle a peur de tuer ses personnages.
La série a connu également les prémices de l’effet The Walking Dead, à savoir les désirs des fans qui dictent l’écriture de l’équipe créative. Dans une interview à TVGuide datée de 2007, Paul Scheuring a révélé que Sara était censée mourir dès la première saison. Mais la popularité du personnage et la pression des fans l’ont convaincu de la sauver.
Il n’est pas nécessaire de revenir sur la saison 4, longue, poussive et complètement étrangère à l’âme de Prison Break. Si elle se terminera sur une note finale touchante, on ne peut s’empêcher de penser que l’œuvre de Paul Scheuring aurait dû rester au format mini-série, et ainsi marquer l’histoire du petit écran positivement. Quant à la saison 5, et la future sixième, elles ne font que confirmer le caractère obsolète des revivals de notre époque.

La scène culte

Avec 90 épisodes et un téléfilm en deux parties à son compteur, il y a de quoi trouver des séquences inoubliables dans Prison Break, même si la première saison en compte la majeure partie. On pense évidemment au double épisode “Riots, Drills and the Devil”, où le centre de détention se transforme en chaos. Une émeute éclate sous la garde d’un Bellick désemparé, nouvelle étape (diabolique) du plan de Michael qui coûtera presque la vie à Sara.
On pourrait aussi citer “End of the Tunnel”, où la première tentative d’évasion de Scofield échoue, le perturbant “Brother’s Keeper” et sa tension palpable tout du long, “Tonight” quand Michael avoue au directeur Pope l’intégralité de son plan au risque de tout perdre ou même le pilote, petit bijou d’épisode d’exposition capable de vous rendre accro à l’histoire en une quarantaine de minutes. Mais il y a bien un épisode et une scène en particulier qui sortent du lot.

Impossible de ne pas classer en premier “Go”, l’épisode le plus attendu de toute la série : l’évasion (officielle cette fois) de Michael et les autres détenus. Un passage charnière pour Prison Break, mais aussi tendu et oppressant de bout en bout, de la mort de Westmoreland au câble qui lâche au-dessus des gardes. La concrétisation du plan établi par Scofield est très certainement le meilleur épisode du show, symbole de l’écriture haletante de Paul Scheuring à son meilleur niveau.
Si on oublie les nouvelles saisons récentes, le series finale “Free” a une saveur toute particulière et s’avère très méta. Les deux frères trouvent enfin leur MacGuffin à travers la liberté, concluant Prison Break sur une note particulièrement sombre et mélancolique avec la mort de Michael. Et d’une certaine manière, cette fin libératrice pour les fans traduit tout l’amour, la colère et la passion qu’ils ressentent à la vue d’une œuvre, comme si une partie de leur vie trépassait en même temps que la série et ses personnages. En ce sens, c’est toujours à la télévision que les sériephiles sont invités aux plus beaux enterrements.

Les héritières

Si les séries en milieu carcéral ne manquent pas à notre époque (Orange Is the New Black, The Night Of, Wentworth), aucune ne traite de la mise à exécution d’un plan d’évasion. En revanche, la série de Paul Scheuring a inspiré de nombreux autres shows. On pense notamment à Blindspot, qui reprend le concept du tatouage avec son héroïne, ici au service de la traque de criminels. En 2011, la petite chaîne A&E avait lancé Breakout Kings, où des détenus pouvaient réduire leur peine de prison en aidant deux marshals à résoudre leurs enquêtes, ce qui se rapproche du concept de la saison 4 de Prison Break.
Dans l’idée de franchir les limites entre le bien et le mal, Breaking Bad a des airs de Prison Break à travers le personnage de Walter White. Avec Michael, ils suivent une trajectoire finalement assez similaire : les deux hommes souhaitent faire le bien en aidant leur famille. Mais à force de se prendre au jeu, ils épousent leur côté obscur jusqu’à se perdre dans ce qui devient leur passion, à savoir l’évasion pour Scofield (entre Fox River, Sona et Ogygia, il a eu le temps de parfaire sa technique) et le business de la drogue pour Heisenberg.

Vous l’ignorez peut-être (et à raison), mais Prison Break aurait dû avoir des héritiers directs à l’époque. En 2009, alors que la série est en pleine diffusion de sa quatrième saison et que les audiences fondent comme neige au soleil, la Fox décide de développer un spin-off baptisé Cherry Hill. L’ultime épisode de Prison Break était alors censé introduire les nouveaux personnages, soit un groupe de femmes désireuses de s’évader après les exploits de Michael et Lincoln. Le départ de Paul Scheuring pour un projet inédit et la lassitude des spectateurs auront eu raison de ce reboot au féminin, qui sera peut-être remis au goût du jour en 2018.
Enfin, Prison Break a eu le droit à un remake… russe, intitulé Pobeg. Plusieurs scènes d’origine ainsi que des dialogues étaient littéralement copiés-collés dans cet essai surprenant. 38 épisodes virent le jour entre 2010 et 2012, avant que la chaîne Channel One n’annule son bébé et laisse ses spectateurs sur un cliffhanger jamais résolu. Le show de la Fox a également inspiré des boot camps imitant une expérience carcérale aux États-Unis et en Australie, ainsi que la websérie précurseure Proof of Innocence, uniquement disponible sur mobile.
En France, les quatre premières saisons de Prison Break sont disponibles en intégralité sur Netflix.