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Ces séries américaines qui se sont politisées depuis l’élection de Donald Trump

Ces séries américaines qui se sont politisées depuis l’élection de Donald Trump

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Par Delphine Rivet

Publié le

On les regarde pour se divertir, mais parfois, certaines séries sortent de leur réserve pour asséner quelques vérités. La cible n° 1 de ces derniers mois : Donald Trump.

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Parce qu’elles vivent avec leur temps et s’infiltrent jusque dans nos foyers, les séries télévisées sont le terreau idéal pour des discussions politiques. Et force est de constater que la récente élection de Donald Trump a réveillé de leur léthargie démocrate les scénaristes de nos fictions US préférées. Et ces séries ne sont pas celles que vous croyez…

Quand on lance Girls, on sait que Lena Dunham va nous servir une forme de féminisme (pas intersectionnel pour deux sous, mais tout de même) qui ferait vriller l’estomac de n’importe quel bigot républicain. Les séries de pure science-fiction, comme Battlestar Galactica, ou Star Trek avant elle, s’inscrivent aussi dans une longue tradition politique et brassent des thèmes comme l’importance de la science (et ses dérives), l’exploration de nouveaux territoires, l’écologie, la découverte de cultures différentes, etc. Les séries politiques, satiriques ou non, sont évidemment hors compétition.

Mais on attend moins ce genre de discours au sein de séries plus grand public, celles dont le but est surtout de nous sortir la tête du quotidien (et donc, de la politique). Pourtant, depuis quelques mois, une curieuse épidémie semble se répandre parmi elles. Chacune à sa façon, Supergirl, Agents of S.H.I.E.L.D., Black-ish ou les méconnues The Carmichael Show et la petite nouvelle Superior Donuts, pour ne citer qu’elles, ont rué dans les brancards du Grand Old Party et de son nouveau chef, Donald Trump.

Ces rebelles insoupçonnées

S’il ne fallait en citer qu’une, ce serait Agents of S.H.I.E.L.D. La série qui transpose l’univers Marvel sur ABC nous a carrément eu par surprise. Qui s’attendait, aux deux tiers de cette saison 4, à ce qu’elle opère une volte-face, un renversement total de son monde et de ses codes, pour nous plonger dans une dystopie totalitaire ? Même s’il y a toujours eu des racines politiques en sous-texte dans la série (et plus largement, les comics dont elle s’inspire), Agents of S.H.I.E.L.D. était restée en surface. Toute l’intrigue qui concerne l’assimilation ou le fichage des Inhumains était évidemment une allégorie du climat actuel sur l’immigration.

Mais depuis quelques épisodes, la série ne retient plus ses coups envers l’administration Trump et, cette fois-ci, c’est loin d’être une coïncidence, ou un bref clin d’œil en passant. Elle infuse sa vision de l’Amérique selon Trump dans tout un pan de sa quatrième saison. Par le truchement de l’univers alternatif, qui s’avère ici être virtuel, Agents of S.H.I.E.L.D. bascule dans un régime fasciste et devient Agents of Hydra. On rappelle au passage que dans les comics autour des Avengers, Hydra est un rejeton du nazisme, depuis considéré comme une organisation terroriste.

Et ce qu’a fait Agents of S.H.I.E.L.D. cette saison était tellement anti-Trump, tellement ancrée dans les dérapages de ceux qui l’entourent, qu’il était impossible de passer outre. Comme ce moment, dans “No Regrets”, l’épisode 18 de la saison 4, où face à la résistance de Daisy à la torture, Fitz ne peut que constater qu’en dépit des avertissements sa prisonnière s’obstine. Il prononce alors une phrase qui résonne avec l’actualité américaine récente : “Nevertheless, she persisted”. En février dernier, des sénateurs républicains ont tenté de réduire au silence Elizabeth Warren, sénatrice démocrate, au milieu de son speech critiquant la nomination de Jeff Session. Ces messieurs constatant, dépités, l’entêtement de la femme politique, ont déclaré plus tard : “Elle a été avertie. On lui a donné une explication. En dépit de cela, elle a persisté”. “Nevertheless, she persisted” leur est alors revenu en pleine poire. La phrase est devenue un symbole de résistance féministe.

Agents of S.H.I.E.L.D. ne s’est pas contentée de cette citation, qui d’ailleurs n’évoquera peut-être pas grand chose aux spectateurs du reste du monde. Pour être sûre que le message passe sans interférence, la série a mis les mots de Donald Trump dans la bouche d’une des têtes d’Hydra. À plusieurs reprises, Fitz, qui est le visage du fascisme dans cet univers alternatif, reprend un slogan inspiré d’une expression matraquée à longueur de meetings durant la campagne présidentielle de Trump : “We will defeat these terrorists and we will make our society great again” (“Nous allons vaincre ces terroristes et faire de nouveau briller notre société”). Les terroristes, ici, ne sont autres que les derniers membres de la résistance, d’anciens agents du S.H.I.E.L.D. L’expression “Make America Great Again” est aujourd’hui évidemment indissociable du nouveau résident de la Maison-Blanche.

Les exemples sont nombreux. On peut encore citer ce moment où Sunil Bakshi, le présentateur télé d’Hydra, s’adresse à une femme en ces termes : “It’s no bother. You need to buy furniture. I know a good place to go.” (“Ce n’est pas un problème. Vous devriez acheter des meubles. Je connais un bon endroit.”) Une phrase qui paraît totalement anodine… sauf qu’il s’agit d’une référence à cet enregistrement où l’on entend Trump vanter ses “techniques” d’agressions sexuelles auprès d’un Billy Bush complice et admiratif. Le président en devenir expliquait alors comment il avait fini par “séduire” une femme mariée en l’emmenant dans un magasin de meubles. Si un frisson vous parcourt l’échine en lisant cela, c’est qu’Agents of S.H.I.E.L.D. s’est chargée de rappeler que cette “conversation anodine” n’en a jamais vraiment été une.

Coulson, de son côté, dit qu’Hydra contrôle les gens en les abreuvant d’“alternative facts”. Une formule elle aussi bien connue, prononcée par la conseillère en communication de Trump, Kellyanne Conway, le 22 janvier dernier à la télévision, et qui a fait d’elle la risée des médias… et du reste du monde.

Super-militante

Comme Agents of S.H.I.E.L.D., Supergirl a toujours plus ou moins flirté avec la politique, ne serait-ce qu’en s’opposant aux injustices et en défendant l’ouverture aux autres (les aliens d’un côté, les humains de l’autre). Mais depuis quelques mois, elle aussi connaît une phase d’éveil de sa conscience politique. Comme si l’outrage était si fort qu’il s’infiltrait même dans le monde alternatif de notre héroïne et de ses copains.

Supergirl, déjà en octobre 2016, appelait de ses vœux une victoire d’Hillary Clinton et craignait, comme beaucoup, que Trump ne l’emporte. Dans la série, c’est Lynda Carter (la Wonder Woman des 70’s) qui est présidente. Dans l’épisode 3 de la saison 2, intitulé “Welcome to Earth”, la Commander in Chief Olivia Marsdin critiquait la “droite xénophobe américaine” et signait, pour protéger les populations qui ont émigré d’autres planètes, l’Alien Amnesty Act. La série a eu du flair hélas, puisque trois mois après, Trump, désormais président, signait le Muslim Ban.

En mars dernier, elle remet le couvert avec “Exodus”, l’épisode 15 de la saison 2, et tape encore plus du poing sur la table. Et parce qu’alien, en anglais, veut autant dire “étranger” qu’extraterrestre, les analogies vont bon train. Ici, Cadmus, une espèce de société secrète militarisée et usine à “méchant de la semaine”, décide carrément de capturer les aliens immigrés et de les déporter sur la première lune qui passera à proximité. L’épisode est aussi une belle occasion de montrer que pour résister, on n’a pas besoin d’être une super-héroïne aux pouvoirs incroyables comme Kara. À l’arrivée, la femme d’acier a joué les sidekicks de sa sœur Alex Danvers, une humaine dotée d’une super détermination qui s’opposera à l’oppresseur au péril de sa vie.

Bien sûr, Supergirl manque de subtilité dans son message, et on aurait vite fait de discréditer ses intentions. Sauf que, comme on l’a vu au moment de son lancement fin 2015, cette série a eu un impact sur toute une génération de petites filles qui s’identifient à la Kryptonienne ou à Alex Danvers. Sous ses airs un peu naïfs, Supergirl tape en réalité dans le mille. Mine de rien, elle présente déjà à ses jeunes fans un modèle de courage et d’ouverture sur l’autre.

Quand les comédies se font sérieuses

Black-ish est un très bon exemple de comédie qui se permet des parenthèses désenchantées sur l’état de la société. On pourrait aussi citer la toute récente Superior Donuts, plus classique dans la forme, mais qui aime tacler les stéréotypes racistes, ou encore The Carmichael Show, qui n’hésite pas à rebondir sur l’actualité en s’engageant dans de vraies discussions, avec des points de vues divers. Elles appartiennent à une longue lignée de sitcoms dites “mainstream” qui se sont engagées sur la voie politique le temps d’un épisode, voire davantage.

Mais là où Murphy Brown, en son temps, fustigeait les valeurs familiales prônées par le parti républicain de l’époque, Black-ish, par sa nature même, s’est toujours distinguée sur le terrain du racisme. C’est ce qu’on attend d’une sitcom sur une riche famille noire, non ? Pas vraiment. Et elle a prouvé, en trois saisons, que la réduire à cela, c’est déjà soulever un racisme sous-jacent. Mais là où elle s’est vraiment illustrée, c’est lors de l’épisode “Lemons”, le douzième de la saison 3. Elle y adresse frontalement le résultat des élections, deux mois à peine après la victoire de Trump.

Surtout, l’épisode est diffusé le lendemain du discours d’adieu d’Obama, et quelques jours avant l’anniversaire de Martin Luther King Jr., dont le fameux “I have a dream” tiendra une place toute particulière ici. Dre, le père de la famille Johnson, y tient un monologue aussi poignant qu’important. Car celui-ci ne se contente pas de dresser un portrait peu flatteur de l’Amérique – “I love this country. Even though at times it doesn’t love me back” (“J’aime ce pays. Même si parfois, il ne m’aime pas en retour”), il soulève aussi des questions plus sensibles. Il partage à la fois un certain sentiment de résignation, mais aussi, une lueur d’espoir.

“La vérité, c’est que si vous demandiez à la plupart des Noirs, ils vous diraient que quel que soit le gagnant de cette élection, ils n’espéreraient aucun changement pour leur quartier. Mais ils sont quand même allés voter”.

Ce n’est pas leur rôle, et ce n’est certainement pas là que l’on irait chercher une analyse politique en profondeur, mais les récentes “pulsions militantes” de ces séries de network révèlent une chose : les inquiétudes de toute une frange de la société américaine sont telles qu’elles nourrissent les créatifs et s’insinuent de plus en plus franchement dans leur travail. L’immédiateté du médium sériel permet cette réaction à chaud. Mais interrompre un récit pour le transformer en plateforme politique serait une erreur. L’impact est d’autant plus fort quand, comme dans les exemples cités ci-dessus, ils servent l’histoire et s’insèrent dans l’univers de la série. Un rôle que la science-fiction a toujours su tenir, en mêlant pur divertissement et critique sociale.