Sexualités queer dans les séries, la grande révolution

Sexualités queer dans les séries, la grande révolution

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Par Delphine Rivet

Publié le

Les personnages queer des séries ont sauté de case en case et de stéréotype en stéréotype avant d’avoir droit, eux aussi, à une sexualité épanouie à l’écran.

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Dans l’histoire de la télévision, le sexe a toujours été accueilli par une dose d’indignation, et les langues ont mis du temps à se délier (littéralement) sur la question. Mais jamais la représentation d’une sexualité n’a soulevé autant de colère et de censure que celle des personnes queer. Fort heureusement, on n’a jamais eu autant de protagonistes LGBTQ+ à la télé américaine, sur les networks comme sur le câble, mais celle-ci semble encore rechigner à parler cul entre gays, bisexuel.les, transgenres…
Quand on demande autour de nous quelles sont les scènes de sexe queer à la télé qui ont le plus émoustillé les gens, le constat est sans appel. Beaucoup de sériephiles, qu’ils soient hétéro ou non, ont un exemple très précis en tête, mais ce sont toujours les mêmes séries qui reviennent : Queer as Folk, The L Word, Looking, Sense8… Des fictions centrées sur l’expérience et la sexualité des personnes LGBTQ+, mais surtout, des séries diffusées sur le câble (Netflix est assimilée ici au câble en termes de ligne éditoriale et de liberté de ton). Un environnement plus permissif donc. Mais pour vraiment comprendre où on en est en matière de représentation des sexualités queer, c’est aux networks qu’il faut s’intéresser, histoire de prendre le pouls d’une société qui bégaye encore quand il faut parler d’autre chose que de sexe hétéro.

Une normalisation pernicieuse

Dans un souci de “normaliser” les couples homosexuels, les séries se sont mises au diapason d’un monde qui change, qui s’ouvre au mariage pour tous, à l’adoption, petit à petit. Mais à bien y regarder, un aspect essentiel est passé à la trappe. Dans Will and Grace, dont deux des quatre personnages principaux sont gays, les deux hommes en question ne sont pratiquement jamais montrés en pleine action. Bien entendu, une sitcom diffusée en prime time comme celle-ci ne pourrait pas offrir une scène de sexe digne de ce nom, qu’elle soit gay ou hétéro, pas à cet horaire, pas avec ces annonceurs, ni ce public. Mais même un bref instant au lit, un geste d’affection, aurait fait l’affaire. Grace, elle, a souvent été montrée dans cette situation, et la série n’a évidemment pas perdu de sa candeur pour autant. Plus récemment, Modern Family qui comptait révolutionner la représentation de la famille homoparentale, n’a en fait jamais mis Cam et Mitchell dans un contexte sexualisé.
Dans une étude datant de 2000 intitulée “Adolescent Sex and Mass Media: a Developmental Approach” (“le sexe adolescent et les médias traditionnels : une approche développementale”), John R. Chapin, professeur en communication à la Penn State University, a démontré l’importance de la représentation de la sexualité sur le petit écran. Selon ses travaux, les adolescents se reposent beaucoup sur la télévision (et en particulier la fiction) et les “modèles” qu’elle donne à voir. Elle les pousserait à aller chercher d’autres sources d’information sur la sexualité, la prévention, les comportements à risque, etc., sans avoir à en passer par les parents. Chapin parvient à la conclusion que la juste représentation de diverses expériences et sexualités les aide à “solidifier leur identité sexuelle”. Les séries ne soufflent pas à l’oreille des ados pour les faire “devenir gays ou lesbiennes” comme peuvent encore le craindre de nombreux téléspectateurs conservateurs et homophobes, mais les placeraient plutôt sur la voie de l’acceptation, brisant au passage un sentiment d’isolement.

De case en case

En 1981, le primetime soap Dynasty mettait en scène un personnage gay, Steven Carrington, qui a par la suite été “rétrogradé” en bisexuel. Comprendre : il était homosexuel, mais la chaîne a fait machine arrière et l’a rendu “hétéro with a twist”. La “vraie” bisexualité reste invisible à l’écran, mais sert souvent d’excuse pour rebooster un scénario ou, comme ici, le rendre plus “acceptable”. Mais surtout, à cette époque, nous sommes en pleine crise sanitaire avec l’épidémie de sida, et les annonceurs ne voulaient pas être associés à ce que l’on appelait encore le “cancer gay”. Neuf ans plus tard, ABC remet le couvert avec Thirtysomething : deux hommes au lit, qui ne se touchent pas, mais viennent clairement d’avoir une relation sexuelle. Shocking ! Le Los Angeles Times expliquera par la suite que “si bénigne soit-elle, la scène a poussé les annonceurs à fuir massivement l’épisode”. L’été suivant, il a même été retiré des traditionnelles rediffusions.
Il faudra attendre 2000 pour le premier baiser entre deux hommes sur un network, dans la série Dawson (saison 3, épisode 23). Pour le sexe, c’est neuf ans plus tard que ça se passe, dans un daytime soap : One Life to Live. Le sexe entre hommes a toujours été considéré comme “obscène”, alors que le désir lesbien présente beaucoup moins une menace aux bonnes mœurs. La raison, on la connaît : la société patriarcale. Les femmes étaient en effet, jusqu’à une récente prise de conscience, uniquement sexualisées pour satisfaire le male gaze. Les chaînes ont longtemps occulté le fait qu’elles ne créaient pas de la fiction pour un public 100 % hétéro. Entre le premier baiser lesbien sur un network en 1991, dans The L.A. Law (saison 5, épisode 12) – techniquement, l’une des deux était “bi-curious” – drama judiciaire écrit par David E. Kelley, et la première scène de sexe entre deux filles, dans l’épisode 20 de la saison 7 de Buffy intitulé “Touched”, douze ans se sont tout de même écoulés.

Pour la sexualité des personnes transgenres, il y a encore plus de boulot. La confusion est telle dans l’esprit du grand public que bien des scénaristes se gardent d’effleurer ce sujet. Pourtant, une petite révolution est arrivée là où on ne l’attendait pas, mais alors pas du tout. Dans Doubt, sur la chaîne conservatrice CBS (qui a depuis annulé la série faute d’audience), un drama judiciaire qui devait signer le grand retour de Katherine Heigl dans une série grand public, c’est finalement Laverne Cox qui lui vole la vedette. Dans l’épisode 8 de son unique saison, son personnage, Cameron – comme elle, une femme transgenre – passe à l’acte avec son petit ami. Il aura donc fallu attendre 2017 pour qu’un personnage transgenre ait une sexualité des plus banales à la télévision.
Dans son combat pour revendiquer le droit à une sexualité à la télé, tout en demandant de ne plus être réduits à des stéréotypes, la communauté LGBTQ+ s’est retrouvée à nouveau enfermée dans un cliché. En prenant le parti d’y aller franco, et de choquer l’Amérique puritaine qui les rejette, les gays sont passés d’invisibles à flamboyants mais asexuels, pour finalement s’enfermer dans une nouvelle case. De Queer as Folk (qui a déblayé le terrain pour toute une génération de personnages queer) à Looking, on retient surtout les scènes de sexe torrides et les rencontres sans lendemain dans les clubs, le tout interprété par une flopée d’adonis. Le sexe entre hommes consentants, ce serait donc un érotisme dénué de sentiment, une mêlée de corps tous plus beaux les uns que les autres, et basta.

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