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Comment la culture hip-hop, née dans le Bronx, a fini par conquérir la haute-couture

Comment la culture hip-hop, née dans le Bronx, a fini par conquérir la haute-couture

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The Get Down

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Par Naomi Clément

Publié le

Avec The Get Down, Baz Luhrmann nous fait revivre la genèse du hip-hop en nous plongeant dans les années 1970, une époque où les vêtements tiennent une place toute particulière pour la jeunesse du Bronx. L’occasion de revenir sur la naissance d’une culture vestimentaire qui continue d’influencer la mode d’aujourd’hui.

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La culture hip-hop n’aurait sans doute pas eu le même impact sans l’identité visuelle qui l’a accompagnée. Lorsque les premiers rappeurs, b-boys et graffeurs voient le jour dans le Bronx new-yorkais des années 1970, ces derniers ne se contentent pas seulement de perfectionner leurs rimes et autres pas de breakdance : ils mettent également un point d’honneur à soigner leur apparence. Il n’y a qu’à se remémorer les incroyables silhouettes des pionniers du genre comme Grandmaster Flash and the Furious Five, Afrika Bambaataa ou plus tard des Run DMC pour saisir toute l’importance du style dans ce mouvement.

À une époque où la jeunesse du Bronx est plongée dans la misère, les habits, tout comme le rap ou le graffiti, constituent un moyen d’expression vitale qui permet de crier aux yeux du monde sa créativité, son identité, sa richesse. “Au début du hip-hop, la pauvreté à New York a atteint un niveau historique, relate pour nous la journaliste Elena Romero, auteure du livre Free Stylin’. De la coupe de cheveux aux chaussures, chaque élément de la tenue devait servir à affirmer une identité.” Elle poursuit :

“L’idée d’être constamment soigné, avec des vêtements repassés et des chaussures ultra-propres, sont quelques-unes des caractéristiques psychographiques qui ont accompagné la culture hip-hop. Cela servait en partie à briser les stéréotypes de la pauvreté. Puisque la mode est un moyen d’expression et d’aspiration, tout comme la musique, elle est une arme puissante pour symboliser la classe sociale, le succès et la richesse.”

The Get Down ou le défi de l’authenticité

Le style vestimentaire, le fait d’être “fresh” comme on disait alors, est tellement intrinsèque à la culture hip-hop que lorsque celle-ci commence à s’exporter au-delà des frontières américaines dans les 80’s, et de façon plus franche dans les années 1990 et 2000, les jeunes Européens qui s’en entichent ne font pas uniquement qu’adhérer à la musique hip-hop : ils imitent également le style hip-hop (quel kid des nineties ne s’est jamais scotché un pansement sur la face pour ressembler à Nelly ?).

Voilà pourquoi la styliste Jeriana San Juan a travaillé d’arrache-pied pour créer les costumes de The Get Down, la nouvelle série de Netflix qui retrace l’apparition du hip-hop en 1977 dans le Bronx. Les six jeunes protagonistes de ce show, entre autres incarnés par Shameik Moore (Dope)Justice Smith (La Face cachée de Margo) et notre cher Jaden Smith, reprennent ainsi à la perfection les codes vestimentaires utilisés par les pionniers du hip-hop dans les seventies, tels que la célèbre “Clyde” de Puma, les jeans estampillés de graffitis colorés, ou les vestes de survêtement à zip (dont Adidas et ses trois bandes sont devenus l’incontournable garant).

Ce travail d’authenticité aussi précis que minutieux a nécessité des heures et des heures de recherches, pendant lesquelles Jeriana San Juan s’est notamment replongée dans les archives des photographes américains Joe Conzo et Jamel Shabazz, qui ont tous deux capturé l’effervescence du hip-hop à ses débuts. “Chaque pièce que je présentais à Baz [Lurhmann] devait être accompagnée d’une photo qui prouvait que les gens portaient bien ce vêtement en 1977“, a d’ailleurs expliqué Jeriana San Juan à Complex Magazine.

Un travail de documentation rigoureux que Catherine Martin, productrice exécutive de The Get Down qui a également supervisé la création des costumes (et qui s’avère être la femme de Baz Luhrmann), nous confirme :

“Nous nous sommes appuyés sur des livres, des films etc., mais nous avons aussi bénéficié de l’aide d’artistes qui ont vécu cette époque de l’intérieur.

À la fin des années 1970, la communauté du South Bronx a insisté pour créer un programme d’art dans le but de sortir les enfants des rues. Parmi les cours créés dans le cadre de ce programme, il y en avait un dédié à la photographie en noir et blanc.

Donc nous avons également eu accès à des clichés datant précisément de la fin des années 1970, dont certains pris par Joe Conzo, qui est considéré comme le tout premier photographe de hip-hop. Il est allé au lycée dans le South Bronx, il était ami avec les Cold Crush Brothers, et il a pris des tas de photos de ses camarades de classe, ce qui nous a beaucoup aidés pour concevoir les costumes des personnages.”

“Les marques de prestige étaient nécessaires pour les rappeurs”

Également épaulée des légendaires Grandmaster Flash et Kurtis Blow, Jeriana San Juan a littéralement ressuscité le style urbain et sportswear (encore emprunts d’une touche discoglam) de la fin des 70’s en créant les vêtements de toute pièce, ou en customisant des habits achetés en friperies, comme en témoigne le compte Instagram de l’équipe dédiée à la réalisation des costumes de The Get Down, @thegetdowncostumes.

En outre, Jeriana San Juan a eu l’autorisation d’accéder aux archives de grandes maisons comme Halston, Diane von Furstenberg ou encore Gucci, une des nombreuses marques qui a fasciné la culture hip-hop. Dans les années 1980 en effet, les jeunes artistes affiliés au mouvement tels que Rakim, Nas, Salt-N-Pepa ou encore L.L. Cool J s’approprient les griffes de luxe dans le but de prouver leur richesse, d’exhiber leur réussite.

Comme le raconte très bien le documentaire Fresh Dressed (2015) de Sacha Jenkins, qui retrace l’évolution de la mode hip-hop, les jeunes du Bronx s’habillent alors chez Dapper Dan, un couturier qui achète des rouleaux de tissus signés Louis Vuitton ou Gucci et à partir desquels il recrée vestes, manteaux et pantalons dotés de coupes plus amples. D’autres encore prennent pour habitude de voler dans les étalages de Macy’s, à l’instar du crew Lo Life initié par le rappeur Thirstin Howl III, qui a fait de la marque Polo Ralph Lauren sa religion.

Dans les années 1980, les marques de prestige étaient nécessaires pour les rappeurs, elles leur permettaient de montrer qu’ils avaient rompu avec la pauvreté et atteint la ‘fortune’ (de façon légale ou illégale), commente Elena Romero. Certains faisaient dans la contrefaçon jusqu’à ce ce qu’ils réussissent. Mixer marques de luxe et vêtements customisés [comme ceux faits par Dapper Dan, ndlr] était un moyen simple de créer et de vendre une image.

L’ironie de l’histoire

Quatre décennies après la naissance du hip-hop dans le Bronx, cette relation entre artistes et marques de luxe semble s’être entièrement inversée. De plus en plus, les grands créateurs américains, français ou italiens font appel aux rappeurs pour incarner leur collection (A$AP Rocky pour Dior, Kanye West pour Balmain ou Vic Mensa pour Alexander Wang), et il n’est plus rare – si ce n’est systématique – de voir un Kanye West ou un A$AP Rocky au premier rang des Fashion Week aux côtés de grands pontes de l’industrie modesque tels qu’Anna Wintour.

L’ironie, c’est qu’à une certaine époque, les rappeurs ne pouvaient même pas se faire prêter des vêtements pour leurs clips, se remémore Elena Romero. Aujourd’hui, les designers viennent les voir et les arrosent de vêtements. Les créateurs de luxe ont bien compris toute la puissance et l’influence que les artistes hip-hop ont sur le consommateur final.” Et de conclure :

“Cela leur permet d’avoir une image cool, tout en engrangeant des gros bénéfices. De leur côté, les artistes augmentent de la popularité et reçoivent des chèques en tweetant, rappant et en faisant la promotion de ces marques. […] Ils sont désormais courtisés par ces mêmes labels qui, il y a quelques années encore, les rejetaient.”