Pourquoi The Magicians est la meilleure série que vous ne regardez pas

Pourquoi The Magicians est la meilleure série que vous ne regardez pas

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SYFY/NBC Universal

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Par Delphine Rivet

Publié le

Celle que l’on décrit comme un Harry Potter pour millennials croisé avec Le Monde de Narnia se révèle être une série qui défie tous les codes, envoie valser son format feuilletonnant quand ça l’arrange et se permet toutes les audaces.

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Créée par Sera Gamble et John McNamara, The Magicians, lancée sur Syfy en décembre 2015, est l’adaptation de la trilogie littéraire de Lev Grossman. Transposer cette œuvre à la télé était déjà, en soi, un sacré challenge. Mais la chaîne de l’imaginaire est coutumière du fait. Elle trouve toujours des projets un peu fous et parvient, sans trop de moyens, à en faire des séries tout sauf honteuses. C’est elle qui a osé, en 2004, relancer la franchise Battlestar Galactica (avec le succès critique qu’on lui connaît aujourd’hui).

Pour ce qui est de The Magicians, ce croisement entre Harry Potter et Le Monde de Narnia ne présageait rien de bon. D’abord parce que s’inspirer de deux œuvres aussi populaires, c’est forcément casse-gueule, mais aussi parce que réussir une série fantastique relève de l’exploit quand on ne s’appelle pas Game of Thrones (et le budget qui va avec). Si Wynonna Earp (également sur Syfy) peut décrocher sans rougir une place sur le podium, The Magicians parvient, elle aussi, à s’imposer dans un genre, de niche, particulièrement périlleux.

Dépoussiérer le genre

Après une première saison inégale, encore un peu fragile mais qui montrait déjà de belles audaces, elle est devenue l’une des meilleures séries diffusées actuellement, et on n’exagère même pas. Une réussite qui est d’abord due à son approche unique et résolument moderne d’un genre que l’on croyait figé. Œuvre de “fantasy”, The Magicians raconte l’histoire de Quentin Coldwater et de son groupe d’amis étudiants magiciens à l’école Brakebills, et qui va découvrir que le monde féerique de son livre préféré, Fillory, existe vraiment. C’est ici que s’arrête la comparaison avec Harry Potter et Le Monde de Narnia.

The Magicians est résolument adulte, unique et ancrée dans la réalité, en dépit de ce que son pitch peut laisser penser. Car la première chose que l’on apprend sur notre héros, Quentin, c’est qu’il est dépressif, qu’il a fait des séjours en hôpital psychiatrique, et qu’il préfère se plonger dans les contes de Fillory plutôt que d’avoir une vie sociale. Le mot n’est jamais prononcé, mais on le soupçonne d’être quelque part sur le spectre de l’autisme. Tout au long de ses aventures, il rencontrera toutes sortes de créatures, des dieux farceurs ou vengeurs, des fées, des lapins messagers, des dragons… mais, et c’est ce qui fait la force de la série, lui et ses amis seront aussi confrontés à l’addiction, à la maladie (mentale ou non), au deuil, au viol, etc.

L’agression sexuelle dont Julia a été victime a d’ailleurs été traitée avec une infinie justesse. La scène, extrêmement dure à regarder, a laissé des traces et continue d’avoir des répercussions sur la jeune femme et son histoire. Une attention dont bien des séries contemporaines à The Magicians ne s’embarrassent pas. Elle n’est pas seulement aux prises avec son époque, elle est aussi parfois en avance sur son temps quand il s’agit d’aborder la sexualité de ses personnages.

Loin de la vision binaire largement adoptée par le reste de la production télé, où l’on peine déjà à bien représenter l’homosexualité, la série de Sera Gamble et John McNamara aborde de façon très saine et décomplexée la sexualité de ses protagonistes, sans les mettre dans des cases. Plutôt que d’aborder le schéma classique du “hétéro jusqu’à preuve du contraire”, on nous invite à les voir comme “queer jusqu’à preuve du contraire”. Ça n’a peut-être l’air de rien comme ça, mais c’est une autre façon qu’a trouvée The Magicians pour marquer son affranchissement des normes.

Sans cesse réinventer les codes

Un sacré coup de balai dans un genre que l’on croyait trop poussiéreux pour rivaliser avec les séries contemporaines. La fantasy n’est pas morte, et on le doit beaucoup plus à The Magicians, qui a significativement explosé le moule, qu’à Game of Thrones qui, elle, a davantage séduit le grand public avec ses intrigues politiques, son côté soap de luxe et sa production value inégalée.

Mais, bien consciente que le genre fantastique réclame de son spectateur un acte de foi pour lui faire croire en la magie, The Magicians sait qu’elle marche sur un fil, entre le crédible et le ridicule. Comment nous faire embarquer pour Fillory en laissant notre scepticisme à l’entrée de l’université de Brakebills ? La réponse : assumer. Assumer tout, même les intrigues les plus WTF. Et surtout, savoir en rire.

C’est une des grandes forces de la série, qui peut passer de moments vraiment dramatiques, et émotionnels, à des scènes complètement absurdes et franchement drôles. On pense notamment à cette potion magique en saison 1, qui n’est autre que le sperme du dieu Ember, ou encore à ce moment, en saison 2, où Quentin et Penny sont en plein trip hallucinogène dans un bois de Fillory.

Le prix des meilleures répliques étant décerné d’office à Eliot et Margo, un duo d’une incroyable complicité et qui, lors du premier épisode de la saison 3, nous a servi sur un plateau d’argent un dialogue codé pour déjouer la surveillance des fées, bourré de références à la pop culture, de Buffy à Gossip Girl, en passant par The Craft ou encore Battlestar Galactica. Le tour de force étant de nous offrir cette merveilleuse scène, non pas pour faire un clin d’œil appuyé au téléspectateur (c’est le fonds de commerce de tant de séries, que ça en devient lassant), mais pour servir l’histoire.

Série rebelle

Car en matière de storyline, The Magicians n’obéit à aucune règle. Tout est bon pour pimenter les aventures de nos héros, et ça part souvent dans tous les sens, sans jamais laisser entrevoir ce qu’elle nous réserve pour la suite. Et ce qui laisse la critique que je suis totalement coite, c’est que ce fragile équilibre, ce feu d’artifice de n’importe quoi, ne se fracasse jamais. Pour prendre un exemple concret, à la fin de la saison 2, nos héros se retrouvaient dans un monde sans magie… Pour un show qui s’appelle The Magicians, c’est presque de l’inconscience.

Mais la série gère parfaitement cette contrainte et prouve qu’elle a encore plein d’histoires folles à nous raconter en saison 3, qui se révèle, à ce jour, la plus solide de la série depuis ses débuts. On pense notamment à “A Life in the Day”, l’épisode 5, qui offre une pause dans la quête des sept clés et nous livre une merveilleuse histoire de persévérance, d’abandon, d’amitié qui se mue en affection profonde, de temps qui passe… Un “bottle episode” comme seule The Magicians sait les faire. Il ne répond à aucun autre impératif que celui de nous raconter de belles choses.

Un art qui se perd dans les séries, souvent au profit d’intrigues plus “signifiantes”, plus efficaces. Mais si Quentin et ses potes nous ont bien prouvé une chose, c’est qu’il n’y a pas de règles, ni avec la magie, ni avec l’écriture. La série a même poussé le vice jusqu’à inventer son propre langage pour jeter des sorts avec le “finger tutting”, une chorégraphie des mains et des doigts imaginée par Paul Becker.

Ils se permettent aussi de balancer des moments musicaux, comme lorsque Margo ensorcelle Eliot pour qu’il parte au combat avec la détermination et la confiance nécessaires pour gagner, et les voilà qui s’engagent dans la chanson phare de la comédie musicale Les Misérables, “One Day More”. Ou, plus récemment, quand pour se sortir d’un piège tendu par un dieu qui s’ennuie un peu trop, nos héros, dispersés entre notre monde, celui de Fillory et la bibliothèque de l’Underworld, entrent en connexion psychique et se mettent à chanter “Under Pressure”. Et comme toujours dans The Magicians, c’est fun, mais surtout, ça fonctionne à merveille.

Il y a une formule pour écrire les séries, selon le format que l’on choisit. C’est une poésie mathématique. Il y a un rythme, des actes, une grammaire… The Magicians fait un bon gros doigt d’honneur à tout ça. Une fraîcheur et une candeur assez inédites, le tout porté par un cast parfait qui semble prendre autant de plaisir à jouer que nous en avons à les regarder. Une série qui bouscule, s’autorise des libertés qui devraient la faire trébucher, mais elle ne flanche jamais. Comment ne pas être sous le charme ?