The Man in the High Castle, saison 2 : une uchronie terriblement réaliste et fascinante

The Man in the High Castle, saison 2 : une uchronie terriblement réaliste et fascinante

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Par Adrien Delage

Publié le

La saison 2 de The Man in the High Castle a repris sur Amazon Prime le 16 décembre. Elle continue de nous plonger avec force dans sa réécriture sombre de l’Histoire.

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Les fans de The Man in the High Castle désespéraient de la voir arriver un jour. Pourtant, la saison 2 de la série d’Amazon a bel et bien vu le jour. Inspirée de l’œuvre littéraire éponyme de Philip K. Dick, The Man in the High Castle nous plonge pour rappel dans un “non-temps”, une époque qui n’a jamais existé. Cette intrigue uchronique pose ses bases dans une réalité où l’Allemagne nazie et le Japon ont remporté la Seconde Guerre mondiale. Mais les deux puissances se partagent le pouvoir, notamment sur le continent américain qui est séparé en trois parties : le Reich, les États du Pacifique et la zone neutre. Au milieu de cette guerre froide, tout du moins pendant la première saison, on suit une poignée de personnages qui évoluent dans ce monde froid et austère.

À travers des flash-backs et une narration évoluant sur un faux-rythme, la saison 2 nous remémore d’entrée de jeu la situation des personnages. Julianna a trahi la rébellion, Joe s’est emparé du film et a pris la fuite par la mer tandis que l’Obergruppenführer Smith a découvert une conspiration contre Adolf Hitler. Mais le twist le plus surprenant concernait le ministre du Commerce, Nobusuke Tagomi (Cary-Hiroyuki Tagawa, impérial, sans jeu de mots contextuel).

Était-il vraiment capable de voyager dans le temps ? Souffrait-il simplement de visions le propulsant dans un univers parallèle ? Assiste-t-on à des flash-sideways à la manière de Lost ? Va-t-on finalement rencontrer “le maître du haut château” ? Les cinq premiers épisodes de la saison 2 laissent apparaître un début de réponse.

Pluri-intrigues et voyage dans le temps

La première saison s’est terminée sur un cliffhanger surprenant qui a divisé les spectateurs mais a posé de nouveaux enjeux pour la série. Le season premiere nous rappelle d’ailleurs combien la photographie de The Man in the High Castle est superbe. L’épisode s’ouvre sur une séquence poignante d’endoctrinement à l’école, histoire de nous rappeler d’entrée de jeu que le IIIe Reich est au pouvoir. De cette manière, les scénaristes semblent faire leur mea culpa, pour le retard pris entre les deux saisons, tout au long des deux premiers épisodes de la saison 2. Ces derniers, qui évoluent sur un rythme assez lent, contrastent avec la suite de la saison qui subit un emballement général accentuant la tension des situations. On n’est jamais contre une petite piqûre de rappel après une longue pause.

On prend beaucoup de plaisir à retrouver les nombreux personnages de la série dont les prestations des interprètes sont toujours aussi justes. Pourtant, trois d’entre eux sortent clairement du lot. Il s’agit tout d’abord de Rupert Evans, alias Frank, dont le destin est complètement chamboulé. Les scénaristes s’attèlent à lui donner une place toujours plus importante dans la série et l’acteur semble en parfaite harmonie avec son personnage. Frank fait appel à une part insoupçonnée de lui-même, plus sombre, plus active également. Fini l’ingénieur un peu intello sur les bords, bienvenue au Frank redoutable qui n’a plus rien à perdre. Tout comme Tobey Maguire dans Spider-Man 3, ce changement d’apparence transparaît physiquement sur Frank : vêtements de couleur noire, sourires de plus en rares, cernes sous les yeux, cheveux décoiffés… Le paradoxe frappant ce personnage, qui entrevoit la lumière via ses actions réalisées pour la rébellion et notamment des opérations d’assassinat, est passionnant à suivre.

De son côté, Juliana (Alexa Davalos, sublime et touchante) subit une longue descente aux enfers qui s’arrangera en milieu de saison. Contrairement à Frank, elle cherche à jouer sur les deux tableaux et ses sentiments pour Joe, d’origine aryenne, la poussent à s’intéresser au nazisme. À plusieurs reprises, elle semble convaincue que l’herbe est toujours plus verte chez les voisins des Japonais. Sa rencontre avec “le maître du haut château” tend à prouver que la série oscille par moment vers la science-fiction pure et dure. On ne serait pas étonné d’apprendre que les Nazis ont trouvé un moyen de créer un gigantesque black-out pour convaincre le monde entier de leur victoire.

Mais même ces deux personnages hauts en couleur, qui gagnent en profondeur au fur et à mesure que l’intrigue avance, ne font pas le poids face au MVP de cette saison. J’ai nommé Rufus Sewell, aka l’Obergruppenführer John Smith. Lui qui semblait être entièrement dévoué à la cause de son Führer et de l’idéologie aryenne dévie de sa trajectoire. Tout comme Frank et Juliana, John Smith est perturbé, hésitant, perdu. Il va même jusqu’à trahir sa pensée en sauvant son fils handicapé d’une exécution certaine.

On tient en ce personnage l’archétype ultime de l’antihéros en puissance : un vrai faux-méchant, que Rufus Sewell transcende à la moindre de ses mimiques. Dans l’épisode 3, alors qu’il s’apprête à sacrifier son fils pour la cause, l’acteur nous a offert une séquence de 20 secondes d’une intensité folle, dans laquelle il exprime, sans prononcer le moindre mot, toute la dualité de son personnage en un seul regard.

Condition humaine et quête de vérité

Sur certains points, la saison 2 de The Man in the High Castle se rapproche de Westworld. Même si les deux séries se situent dans des temporalités diamétralement opposées, elles traitent chacune à leur manière de la condition humaine. Un thème cher à la série uchronique et ce dès sa première saison, comme nous l’avait confié Frank Spotnitz. Le créateur de la série avait d’ailleurs quitté son poste de showrunner de la série au cours du tournage de la saison 2 pour des raisons de divergences artistiques, selon Variety. Le banc des producteurs a donc continué son travail, en le bonifiant et en le complexifiant.

Dans les deux séries, les personnages souhaitent parvenir à une certaine forme de conscience. Dans Westworld, il s’agit d’un voyage initiatique vers la conscience de soi et sa propre nature pour Dolores et les androïdes. Dans The Man in the High Castle, Julianna, Frank et même l’Obergruppenführer Smith sont lancés dans une quête de vérité pour échapper aux armées allemandes et japonaises, ou encore pour découvrir l’origine des films présentant un univers parallèle. C’est une forme de prise de conscience et ce n’est d’ailleurs pas par hasard si Frank emploie le verbe “se réveiller” dans l’épisode 4, quand il parle à Ed de son envie de rébellion. Un terme également utilisé par les robots de Westworld quand ils parlent de liberté de penser et de libre-arbitre.

Autre point commun avec la série de HBO : The Man in the High Castle a également une citation récurrente qui agit comme le “virus” d’Arnold dans Westworld. Il ne s’agit pas d’une citation de Shakespeare, mais d’un passage tiré logiquement de l’ouvrage éponyme de Philip K. Dick dont est dérivé la série d’Amazon : “Truth, she thought. As terrible as death. But harder to find” (“La vérité est aussi terrible que la mort, mais plus difficile à trouver”). Si dans Westworld les androïdes doivent souffrir pour gagner leur liberté et devenir pleinement vivants, les personnages de The Man in the High Castle doivent eux souffrir pour résoudre le mystère des films et s’élever contre la dictature du IIIe Reich. Ils sont chacun une clé, ont chacun un destin prométhéen à accomplir dans cette quête de vérité. Ils sont soumis à des dieux tyranniques et meurtriers et devront se libérer de leur chaîne pour tenter de renverser ce gouvernement qui n’aurait jamais dû exister.

Au final, voyages dans le temps ou pas, les films du “maître dans le haut château” sont des passerelles temporelles. Ils représentent une issue de secours pour s’enfuir de cette réalité, de ce “non-temps” où les personnages sont enfermés malgré eux. À notre époque, où les extrémismes se développent, où des guerres silencieuses font rage dans les quatre coins du monde, où on aimerait parfois s’évader de notre terrible réalité, The Man in the High Castle délivre un message clair mais pas toujours évident à mettre en œuvre : il vaut mieux souffrir pour vivre que souffrir pour subir.

La saison 2 de The Man in the High Castle est disponible en intégralité sur Amazon Prime.