The Walking Dead et les enfants, une relation tumultueuse

The Walking Dead et les enfants, une relation tumultueuse

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Par Adrien Delage

Publié le

La série zombiesque a tendance à maltraiter ses jeunes personnages, quitte à les rendre détestables. Attention, spoilers.

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Vivre dans un monde post-apocalyptique cerné par les zombies et les psychopathes n’a absolument rien de réjouissant. Au bout de huit saisons, Rick et les survivants de The Walking Dead, confrontés quotidiennement à la mort, en savent quelque chose. Mais au milieu de ces adultes en souffrance, on oublie trop souvent que des kids se retrouvent privés de leur innocence et grandissent tellement vite que les joies de l’enfance leur sont interdites.

Carl, Enid, Beth, Lizzie, Henry… La liste est longue et les scénaristes n’ont jamais été tendres avec eux. Pire, leurs choix narratifs sont si souvent contestables (et contestés par les spectateurs) qu’ils concentrent toute la haine d’une fan base déjà décontenancée par la baisse de qualité du show. Quand l’une ne parvient pas à contrôler ses pulsions meurtrières, elle est exécutée. Quand l’autre peut entrevoir l’espoir de vivre avec ses deux parents dans ce monde désolé, il se retrouve forcé à littéralement tuer sa mère…

La vie est décidément bien difficile pour les enfants de The Walking Dead et il serait peut-être temps de leur rendre justice, surtout quand leurs décisions absurdes proviennent principalement de défauts d’écriture inhérents à l’équipe créative et non aux jeunes acteurs.

Henry et le trope du “child hater”

Le dernier exemple de torture infantile est tout récent puisqu’il date de l’épisode “Do Not Send Us Astray” de la saison 8. Henry, le jeune protégé d’Ezekiel en provenance du Royaume, s’est attiré l’ire des spectateurs. En cause, sa vendetta liée à la mort de son frère qui a entraîné la libération des Sauveurs retenus par Maggie à la Colline. Le personnage n’était pas aidé par une écriture complètement incohérente (où sont passés les gardes de l’enclos ? Sur les remparts ? Et comment diable a-t-il obtenu la clé ?) et sa mise en parallèle avec Morgan.

En effet, Morgan pète un boulon depuis plusieurs épisodes. Un yo-yo narratif agaçant pour ce personnage qui tourne en rond, entre compassion auprès d’Eastman et soif de sang face à Negan. Désormais, tout est fait par les scénaristes pour le pousser jusqu’au point de non-retour et ainsi justifier sa présence dans le crossover avec Fear The Walking Dead. Malheureusement, cette écriture forcée déteint sur le reste des personnages, à commencer par Henry qui se ramasse toutes les faiblesses de Morgan.

En hésitant à tuer Gavin, et donc en “forçant” Henry à le faire, Morgan est désormais rongé par la culpabilité. C’est d’ailleurs pour cette raison que le Sauveur lui apparaît sous la forme d’une hallucination, répétant en boucle “tu sais ce que c’est”. Sous-entendu, tu connais le sentiment de culpabilité et d’où il vient, à savoir de transformer Henry en monstre sans cœur dès son plus jeune âge. Résultat, le kid du Royaume part venger son frère et entraîne une énorme bêtise, pour rester poli.

Ce trope résonne comme celui du “child hater”, c’est-à-dire quand les scénaristes font tout pour détruire l’innocence et la candeur de l’enfance d’un personnage, jusqu’à les transformer en haine. C’est exactement la situation d’Henry, gamin précoce qui choisit d’embrasser la violence de ce monde comme un mécanisme de survie. Et plus encore, comme une leçon de pédagogie, une méthode à assimiler sous l’influence de ses mentors, qui ne sont quand même pas des enfants de chœur (Ezekiel, Carol et Morgan).

Contrairement aux Désastreuses Aventures des orphelins Baudelaire, où la série joue sur cette ironie de l’enfance saccagée pour en faire de l’humour noir, ou encore à Stranger Things où les enfants sauvent le monde sans jamais être profondément écorchés par leurs actes et dans une forme d’entraide solidaire, The Walking Dead a tendance à exploiter ce trope pour appliquer la carte de la surenchère, voire manipuler ses spectateurs.

Flower power

Évidemment, le cas Henry n’est pas isolé et la mort de Carl, également survenue en saison 8, rajoute une couche à cette relation conflictuelle. Outre les raisons mystérieuses et nauséabondes pour évincer Chandler Riggs de la série, le fils de Rick n’avait aucune raison de mourir à ce moment précis. Bien au contraire, Carl ne cessait de prendre de l’importance dans les comics et les fans ont tous les droits de se sentir trahis.

Une fois encore, The Walking Dead se joue de nous et il faut accepter de se soumettre à la toute-puissance des scénaristes pour ne pas lâcher la série. On préfère également leur laisser le bénéfice du doute concernant le dénouement de la saison 8, qui verra peut-être la clémence réclamée par Carl l’emporter sur la vengeance et la violence ressentie par Rick et ses camarades à l’égard de Negan. Dans ce cas-là, on comprendrait davantage le sacrifice de Carl, même si son parcours a été chaotique de bout en bout.

Carl est probablement le personnage le plus touchant de la série en raison des épreuves qu’il a traversées. Il a cru perdre son paternel avant de le retrouver, a abattu son père de substitution transformé en zombie, achevé sa mère et mis au monde sa sœur, failli être violé, perdu un œil, est mort avant de connaître l’amour… En fin de compte, Carl n’était ni vraiment un enfant, ni vraiment un adulte : il était littéralement un mort-vivant, perdu dans un entre-deux putride né de cette société chaotique où les mœurs et la logique sont bouleversées.

Si ses derniers mots ont permis de montrer qu’une lueur d’espoir perdurait en lui, les kids de la série n’ont pas tous eu le droit au même traitement. Ron, ce gamin présenté comme égoïste, stupide, insignifiant, fut longtemps la tête de Turc des fans. Au final, il aura tout de même privé Carl de son œil alors qu’il visait… Rick. Juste avant de voir son frère être dévoré par des zombies. Même entre eux, les enfants s’infligent les pires supplices dans The Walking Dead.

On en vient alors à oublier que leurs réactions ne sont peut-être pas si romanesques. Après tout, comment réagirions-nous face à un monde violent et inconnu à leur âge ? Cet univers en décomposition abîme forcément le cerveau de jeunes individus, déjà traumatisés par des visions d’horreur, de sang et de morceaux de chair charcutés.

Le meilleur exemple de cette putréfaction tient dans le personnage de Lizzie. Complètement chamboulée par la sauvagerie et la brutalité de cet univers, Lizzie est née avec les codes de survivante qu’il exige. Sa scène de mort dans l’épisode “The Grove”, glaçante, est d’ailleurs symbolique : elle regarde les fleurs, métaphores de la beauté, des vertus et de l’espoir, avant d’être abattue par Carol. Comme si elle tuait la dernière part d’enfance de Lizzie, voire de toute la série.

On pourra toujours reconnaître à The Walking Dead son audace, d’être une série qui n’épargne personne et scrute au scalpel ses personnages pour les trifouiller dans tous les sens. Mais on lui demande aussi un peu de justice pour ces enfants sacrifiés sur l’autel du twist horrifique et du cliffhanger mortel. Qu’elle les laisse grandir pour nous prouver que sous les terres recouvertes de sang et de zombies décrépits, il y a une petite fleur d’espoir qui peut pousser.

En France, la saison 8 de The Walking Dead est diffusée en US+24 sur OCS Choc.