Time After Time, la série qui envoie Jack l’Éventreur et H.G. Wells en 2017

Time After Time, la série qui envoie Jack l’Éventreur et H.G. Wells en 2017

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Par Delphine Rivet

Publié le

Time After Time est la preuve qu’un bon concept ne fait pas forcément une bonne série.

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En 1893, le célèbre auteur de science fiction H.G. Wells (Freddie Stroma, vu dans UnREAL) refait le monde avec ses contemporains, des intellectuels des beaux quartiers de Londres, dans le décor feutré de son salon. Au sous-sol de sa maison, celui qui rêve d’un futur utopique a construit une machine à voyager dans le temps. Au même moment, dans une ruelle mal famée, Jack L’Éventreur fait une nouvelle victime. La police à ses trousses, il trouve refuge chez son bon camarade… H.G. Wells. En effet, l’auteur de ces crimes n’est autre que le Dr John Stevenson (Josh Bowman, vu dans Revenge), un bon ami de l’écrivain.

Pour échapper aux autorités, et à la peine capitale qui l’attend s’il se fait capturer, il saute dans la machine à explorer le temps et se retrouve en 2017. Lancé à sa poursuite, Wells va débarquer au beau milieu d’une exposition qui, ça tombe bien, lui est consacrée dans un musée de Manhattan. Il y rencontre la jeune curatrice Jane Walker, dont il s’entiche instantanément, et fait la connaissance peu après de son arrière-arrière-petite-fille, la riche philanthrope Vanessa Anders.

RIP les codes du genre

H.G. Wells n’aurait sûrement pas approuvé une série dont il est le dindon de la farce, qui fait de Jack L’Éventreur un serial killer sexy et séducteur, et surtout qui méprise à un niveau stratosphérique les règles élémentaires du voyage temporel. Les amateurs de science-fiction risquent de s’offusquer, et on les comprend. Mais Time After Time, créée par Kevin Williamson (The Following) ne s’adresse pas eux. Ce n’est pas non plus une série inspirée de la chanson de Cindy Lauper. Non, il s’agit en fait d’une adaptation du livre de Karl Alexander, datant de 1979, et qui a lui-même donné naissance à un film éponyme, la même année, avec Malcolm McDowell.

Mais avant de tomber à bras raccourcis sur cette nouvelle fiction diffusée sur ABC depuis le dimanche 5 mars, il faut poser le contexte. Récemment, le sous-genre du voyage temporel est partout à la télé US. Il a tellement conquis le petit écran que ça en deviendrait presque suspect. Outre Time After Time, on a vu apparaître le même jour la comédie Making History, un peu plus tôt cette saison Timeless et Frequency, sans oublier 11.22.63 et DC’s Legends of Tomorrow, qui étaient là un peu avant. Dans tous les cas, l’exploration temporelle est au cœur de l’intrigue et permet des va-et-vient dynamiques entre chaque époque. Les codes du genre ne sont pas toujours exploités avec la plus grande lucidité (oui Legends of Tomorrow, c’est à toi qu’on pense), mais au moins, il y a une réelle intention de s’amuser avec.

La seule du lot qui fait exception, c’est justement Time After Time. Faire du neuf avec du vieux, c’est l’assurance d’avoir un concept déjà éprouvé. Le hic, c’est quand ce concept se résume à n’être qu’un prétexte pour une configuration que l’on a vue mille fois. Time After Time est une série qui prétend juste revisiter la bonne vieille histoire du gentil héros à la poursuite du méchant tueur. Une version édulcorée de The Following, en somme.

Entre deux confrontations, insérez quelques scènes comiques pour marquer le choc culturel de Wells, homme de la fin du XIXe siècle propulsé à notre époque, et le tour est joué. Les paradoxes temporels ? Time After Time ne s’en préoccupe pas. Ou plutôt si, elle s’en sert pour justifier le fait que Wells n’utilise pas sa machine pour revenir dans le passé et empêcher Jack L’Éventreur de la lui dérober. Pratique ! D’ailleurs, notre héros ira jusqu’à la détruire (enfin, il la débranche et arrache quelques câbles, faut pas déconner). Dans Time After Time, le voyage temporel fait tapisserie.

Un message sous-jacent qui met mal à l’aise

Mais ce n’est pas le seul souci du dernier bébé de Kevin Williamson, qui cultive d’ailleurs une fascination morbide pour les tueurs en série, s’obstinant à vouloir les rendre magnétiques pour la gent féminine. Ici, il imprègne Jack L’Éventreur d’une aura plus dérangeante encore que son statut, déjà ultra-intrigant, de tueur en série le plus célèbre de l’histoire. Stevenson est interprété par Josh Bowman, que l’on a vu auparavant jouer les serial lovers dans Revenge. L’acteur est, selon les standards en vigueur, un beau mec. Mais plus encore, Kevin Williamson fait de lui un homme qui flirte et auquel les femmes sont réceptives. Le rendre sexy pour attirer un public féminin, c’est le genre de female gaze au ras des pâquerettes dont on se serait bien passé.

Moralement, les choix du showrunner sont plus que problématiques. Il décide, par exemple, que, transposées à notre époque, les victimes de Jack L’Éventreur sont passées de prostituées à jeunes femmes qui sortent dans les bars et les clubs, bref, des filles qui s’amusent et vivent la nuit. On a connu moins sexiste, comme parallèle. Même si le célèbre tueur est indissociable de sa haine viscérale envers le sexe opposé, on aurait apprécié que la série ne tente pas aussi fort de l’humaniser. C’est surtout à travers Wells, qui, pendant la majeure partie du pilote, donne l’impression de toujours le considérer comme un ami qui aurait fait une bêtise, plutôt que comme un meurtrier misogyne.

Symboliquement, Wells est l’impuissant, le puceau romantique et courtois, inadapté à cette époque moderne qu’il a pourtant tellement rêvée, et Stevenson, le jouisseur qui s’est immédiatement acclimaté au XXIè siècle. La série, à laquelle on ne peut reprocher d’être un pur divertissement, envoie tout de même un message assez perturbant.