Dans sa saison 3, Gomorra élargit ses horizons et ça lui réussit

Dans sa saison 3, Gomorra élargit ses horizons et ça lui réussit

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Gomorra via Instagram

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Par Sophie Laroche

Publié le

Battant des records d’audience en Italie, la troisième saison de Gomorra n’a pas déçu. Entre changement de décors, nouveaux protagonistes et tentative de rédemption, on décrypte tout ça dans un article garanti mafia et spoilers.

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Plébiscitée par le public italien, la série Gomorra a réussi, en seulement deux saisons, à devancer Game of Trones dans son pays, mais surtout à bâtir les fondations d’un empire du crime au sein duquel on aime s’encanailler (avec remords bien sûr). Sur fond de drame, la création de la chaîne Sky Atlantic met en scène une guerre des clans au sein de la Camorra napolitaine dans laquelle le pouvoir, tant convoité par les protagonistes, s’acquiert en grande partie par le sang.

Entre les murs des quartiers de Secondigliano et de Scampia, personne n’est à l’abri et surtout pas la famille qu’il faut parfois consentir à sacrifier – les personnages principaux, Gennaro Savastano et Ciro Di Marzio, le montreront à maintes reprises. Une histoire de pouvoir et de trahison qui résonne avec d’autres récits millénaires, de Macbeth de Shakespeare à ceux de la mythologie grecque. Si ce n’est que la série, inspirée du livre-enquête éponyme de Robert Saviano (aussi coscénariste), a fait du réalisme un de ses principaux critères narratifs.

En effet, Gomorra a pour ambition de tirer le portrait sombre, froid, âpre mais surtout réaliste de la mafia napolitaine. À l’heure du narco-capitalisme “dopé et sans règles”, les mises en scènes fastes des films de parrains des années 1970 et 1980 sont devenus obsolètes. La série se situe d’avantage dans le sillage de son aînée américaine The Wire qui explorait, de façon quasi sociologique, les dynamiques du pouvoir dans le décor urbain des quartiers pauvres de Baltimore.

Le succès paradoxal d’une série repoussoir

Pour Roberto Saviano, l’auteur désormais traqué par la Camorra, ainsi que pour ses différents scénaristes, la fiction se devait donc d’être aussi repoussante que la réalité. Pour ce faire, la série a planté son décor dans les véritables places de pouvoir des clans de la mafia locale : les quartiers délabrés de Scampia et Secondigliano dont les Vele, ces tours décrépies en forme de voile de bateaux, sont devenues les tristes emblèmes du trafic de drogue.

Suivant une direction de la photographie qui se veut adaptée à la laideur des âmes, les lumières prennent la couleur verte peu attractive des néons. Ainsi, elles finissent d’enterrer toute prétention esthétique que pourrait revendiquer un contenu destiné à la télé. On l’a bien compris, Gomorra n’est pas une série contemplative. Elle frappe vite et fort, comme les rafales qui déciment les personnages.

Des personnages caractérisés par une malveillance radicale, qui laisse peu de doutes sur leurs intentions. Dans cette série de mafieux, il est d’ailleurs intéressant de constater qu’aucun repenti n’est représenté. La bienveillance et la rédemption se font quasi absentes, ou ceux qui l’incarnent ne font pas long feu (RIP le Prince).

Si on aura toujours une préférence pour “le moins pire”, on ne peut, à moins de disposer d’un sens de la morale assez limité, que difficilement s’identifier à ces personnages peu recommandables. Les arguments des procureurs napolitains accusant Gomorra de livrer une image trop positive des criminels semblent donc assez légers. Même le générique, instant traditionnel de mise en valeur des héros d’un programme, est ici laissé à l’abandon. Seul le nom de la série s’affiche sur une plaque de métal criblée de balles. Simple. Basique. Comme dirait l’autre.

Le grand renouvellement de la saison 3

Des personnages tout bonnement affreux dont les crimes, tous plus horribles les uns que les autres, servent à rythmer l’intrigue. C’est d’ailleurs un assassinat qui conclut la saison 2 et la guerre de Secondigliano. Gennaro Savastano, qui renoue avec Ciro, son allié des premiers jours, fait éliminer son père, dernier obstacle au pouvoir absolu.

Après l’exécution de Don Pietro Savastano, le premier épisode de la saison 3 s’ouvre sur l’identification du corps par son fils. Le roi est mort et Gennaro se voit couronné à Rome, sacro-sainte capitale. Au même moment naît son fils qu’il nomme en hommage au vieux parrain. Une prise de pouvoir fugace puisque Genny, qui a décidément des problèmes avec la figure paternelle, se voit privé de sa famille et de son capital par son beau-père. Renvoyé à Secondigliano, le jeune mafieux doit se reconstruire. Un retour à la case départ en forme de challenge pour les scénaristes qui se doivent d’innover.

Sortir du bitume de Secondigliano

Dans une interview accordée au Figaro, le créateur et scénariste Stefano Bises expliquait avoir du matériel et des histoires pour dix saisons. Au vu de la troisième, on est bien tentés de le croire.

Un des grands changements de cette saison 3 réside dans son décor. Pour se reconstruire et récupérer sa famille, Gennaro, secondé par Ciro, va franchir les frontières des quartiers nord de la ville jusqu’alors peu explorés, pour investir le centre et défier les vieux clans affiliés à son beau-père.

Le labyrinthe de béton des Vele est remplacé par un autre : celui des rues pavées et étroites de la ville. Les planques et les règlements de compte ne se font plus dans les appartements, caves ou autres loges, mais dans les églises ou vestiges abandonnés du vieux Naples. Une façon de dépayser le spectateur mais surtout, de montrer à quel point la mafia s’est infiltrée partout, notamment chez les jeunes générations. Pour l’accompagner dans ces territoires, de nouveaux visages s’imposent : ceux d’un clan de jeunes délinquants barbus aux ambitions premièrement modérées, qui vont s’avérer d’une aide précieuse.

Le trafic de drogue, mais pas que…

Dans son livre, Roberto Saviano explique que “l’organisation criminelle repose directement sur l’économie”. De cette économie, les scénaristes de la série avaient majoritairement exploité le trafic de drogue et son imagerie choc, omettant les autres activités dans lesquelles le pouvoir de la mafia s’insinue. Cette nouvelle saison s’attache à le rappeler.

Un des nouveaux personnages principaux de ce début de saison est Gégé, le comptable de Gennaro. Avec son allure chétive et ses réflexes apeurés, il n’a rien à voir avec le trafic. Son rôle : gérer les entreprises qui servent au blanchiment d’argent. Des activités un peu moins télégéniques qui ralentissent le rythme du début de saison, mais qui s’avèrent indispensables si l’on veut comprendre la construction de cet empire du mal. Par la suite, Genny mettra lui-même la main à la pâte en acquérant divers commerces et activités qu’on pensait éloignés de l’univers de la mafia : une cantine scolaire, une blanchisserie… et de manière assez ironique, un service de pompes funèbres.

Encore une fois, l’un des objectifs affichés est la narration d’un récit qui se veut réaliste, voire sociologique. Pour mettre en scène la pauvreté des quartiers dans lesquels la plupart des individus sont au chômage ou travaillent au noir, les scénaristes ont choisi de braquer les projecteurs, le temps d’un épisode, sur les hommes et femmes prêts à payer pour avoir du travail (un peu comme nos conventions de stage, mais façon Camorra).

Des ordures aux antihéros

Regarder Gomorra, c’est s’arranger avec sa conscience et avoir un faible pour un personnage, c’est accepter d’apprécier une ordure. À chaque fois que l’on croit déceler une lueur d’humanité en l’un d’eux, elle s’effondre en deux-deux à coups de kalachnikov. En somme, décider si on est “plus Savastano que Ciro” (ou inversement), une phrase bien connue du rap français, c’est en quelque sorte choisir entre la peste et le choléra.

Roberto Saviano expliquait d’ailleurs au journal Le Monde : “On y voit plus le mal que le bien, aucun des acteurs n’incarne la rédemption.” Pour cette saison 3, le bien, ou du moins ce qui pourrait s’en approcher, fait son apparition. Qu’il s’agisse de Gennaro ou de Ciro, le pouvoir n’est plus une fin mais un moyen. Exit le désir avide de fortune, Genny veut retrouver et sauver sa famille. Certes, il commet toujours des ignominies, mais pour “la bonne cause” dirons-nous.

Le personnage de Ciro développe quant à lui toute sa complexité et son paradoxe. Alors qu’il a tout perdu, ce mafieux mort à l’intérieur se montre plus humain que jamais, prenant en pitié une jeune Albanaise qu’il sauve d’un trafic d’êtres humains. Il mettra surtout tout en ouvre pour aider Gennaro, son pote dont il a précédemment tué le père et la mère (une broutille). Ainsi, et à condition de fermer les yeux sur le passé, cette saison 3 développe des sentiments de compassion et de bienveillance pour ces antihéros, que le spectateur avait jusqu’alors peu l’habitude de ressentir.

Au final, Gomorra a réussi son pari, parvenant à mettre en scène de manière plus globale l’influence de la mafia et proposant dans la foulée de réelles nouveautés, qu’il s’agisse des décors ou des personnages. On se surprendrait presque à lâcher une larme en fin de saison, si on arrivait à oublier qu’au moins un des protagonistes a tué une femme, un vieillard, ses parents, voire des enfants. Car il est là tout le challenge de cette série, arriver à ne pas mettre sa conscience de côté.

Les épisodes de la saison 3 de Gomorra seront diffusés sur Canal+ tous les jeudis soir à partir du 15 février.