Il faut qu’on parle du twist jouissif de Star Trek: Discovery

Il faut qu’on parle du twist jouissif de Star Trek: Discovery

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© CBS All Access/Netflix

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Par Adrien Delage

Publié le

On n’avait pas vu un retournement de situation aussi imprévisible depuis Lost. Attention, spoilers.

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L’épisode “Vaulting Ambition” de Star Trek : Discovery présentait deux particularités. D’abord, il est le plus court épisode en live action de toute l’histoire de la saga spatiale. Ensuite, il s’est conclu sur un twist comme on en voit rarement en cette ère de “Peak TV”, où les vrais rebondissements de situation se banalisent voire se perdent face à la montée des slow burner. Depuis sa reprise et le commencement de l’arc “The Mirror Universe”, la série de CBS All Access brille par son inventivité et sa qualité d’écriture.

Pour la petite remise en contexte, l’équipage de l’USS Discovery s’est téléporté dans un monde alternatif du leur, où les humains, les Klingons et les autres espèces évoluent dans une paix illusoire. En vérité, les Hommes dominent cet univers et traquent les traîtres de l’empire Terran. Coincés après l’utilisation abusive des spores par Stamets, Gabriel Lorca et son crew n’ont d’autre choix que de s’adapter à leur nouvel environnement en attendant que l’ingénieur en chef reprenne connaissance.

Rapidement, Michael et les autres découvrent les doppelgängers de l’univers miroir, à commencer par Philippa Georgiou, vivante dans ce monde et à la tête de l’ISS Charon. Au détour d’un petit, que dis-je, minuscule détail morphologique, l’officière Burnham prend conscience que Gabriel Lorca est un imposteur : il s’agit en vérité du Gabriel Lorca de l’univers parallèle, agissant dans l’ombre et pour son propre intérêt depuis le début de la série. Manque de s’étouffer, arrêt respiratoire, PLS enclenchée, hurlements de stupéfaction, vaisselle cassée… Les réactions sont multiples mais unanimes : la surprise est totale et jouissive.

Twist de fou ≠ foutage de gueule

C’est donc au détour d’un petit épisode de 37 minutes que les scénaristes de Star Trek : Discovery ont lâché une énorme bombe. Le tour de passe-passe est réussi pour la raison la plus simple (et essentielle) du twist : l’imprévisibilité. On est à mille lieues de la mort de Ragnar dans Vikings, étape clé dans cette fresque historique, ou encore de l’absurdité de la survie de Glenn dans la saison 6 de The Walking Dead.

Non, dans la série de science-fiction, le showrunner Aaron Harberts et son équipe ont tout compris au twist et sont revenus à sa forme primaire. Ils se sont servis du plot secondaire (l’arc “The Mirror Universe”) pour complètement bouleverser l’intrigue principale. Encore plus fort, ils ont utilisé un simple détail, symbole de l’effet papillon employé judicieusement, pour mettre à exécution leur plan (diaboliquement) génial : la photophobie des personnages en provenance du monde parallèle.

Dans la première partie de saison, Michael et Lorca avaient eu une très courte discussion à propos de la sensibilité du capitaine à la lumière. Rien de grave selon ce dernier, qui invoquait le prétexte du traumatisme lié à l’explosion de l’USS Buran, où il officiait également en tant que leader du vaisseau. C’est de ce petit battement d’ailes que dix épisodes plus tard, on comprend en quelques minutes comment Gabriel a manipulé tout le monde depuis son arrivée dans notre univers.

On peut reprocher à tort et à travers les explications scientifiques douteuses de Star Trek : Discovery, mais l’écriture du personnage de Lorca est excellente et à contre-courant des clichés. Même la partition molle de son interprète, Jason Isaacs, prend finalement un sens dans ce twist maîtrisé. Personne n’aurait pu se douter que le pire ennemi de la série se cachait derrière le masque d’un homme apathique et peu expressif.

Seuls les initiés de la saga, conscient de l’existence du monde parallèle et de la photophobie intrinsèque aux humains, auraient pu deviner dès le début le double jeu de Lorca. Mais la série s’adresse-t-elle vraiment à eux avant tout ?

We have to twist back

La culture du twist a tendance à se perdre ces dernières années. En cause, ces longues séries que les créateurs présentent comme “des films de plusieurs heures”. Belles, complexes, esthétiques, exigeantes, elles prennent souvent la forme d’un slow burner qui, comme son nom l’indique, évolue sur un rythme lent pour mieux exploser dans leur final. Des œuvres comme Godless, The Night of, True Detective et Breaking Bad ont participé à cette césure narrative malgré les qualités scénaristiques indéniables qu’elles défendent.

Pour comprendre cette disparition de la culture twist, il faut également accepter l’aspect niche, la cible resserrée de certaines productions. Autrement dit, les séries blockbuster, à comprendre spectaculaires, ont davantage d’arguments pour jouer de ce ressort narratif : tenir en haleine une audience pour la fidéliser, créer une implication émotionnelle pour les personnages de la part du spectateur, employer la surenchère comme effet de surprise quitte à dépasser les bornes…

Game of Thrones y a tout de suite adhéré avec la viralité des réactions face au “Red Wedding”, qui sont quasiment devenues des moments de pop culture au sein d’une œuvre ultrapopulaire. Paradoxalement, l’attente créée par la série peut aussi jouer en sa défaveur : Kit Harington avait beaucoup de mal à convaincre le public et les médias de la mort de Jon Snow en saison 5. Difficile de surprendre son audience quand les fans finissent par s’approprier la série et que leurs exigences sont revues considérablement à la hausse chaque saison.

The Walking Dead souffre également du syndrome “fanservice” depuis trop longtemps, si bien que ce sont les spectateurs qui semblent décider du sort de Rick et ses camarades. Quand la série zombiesque était trop violente lors de l’exécution de Glenn et Abraham, les producteurs ont promis d’adoucir la suite de la saison 7. Plus récemment, l’éjection de Scott M. Gimple de son siège de showrunner est probablement liée aux audiences en chute libre et à la pétition signée massivement par les fans remontés à l’égard des décisions du big boss.

Pour entretenir et embellir le twist, il faut donc mélanger habilement ces deux facettes. Star Trek : Discovery le fait à merveille, n’ayant pas peur de fâcher les Trekkies au passage pour attirer une audience plus jeune, avec une esthétique retravaillée, modernisée, et une intrigue plus accessible.

Dans un genre différent, Westworld mixe avec aisance spectaculaire et partis pris risqués : en jouant la dualité sur son univers robotique, elle a pris tout le monde à contre-courant dans l’épisode 7 en dévoilant la véritable identité de Bernard, au milieu d’une intrigue décousue qui égare le spectateur dans sa mythologie.

Si Lost et Prison Break (surtout amatrice malgré elle du “jump the shark” pour le coup) ne sont plus là pour faire lever les foules et affoler les forums de fans, les madeleines de Proust type “Not Penny’s boat” restent intouchables. Des séries qui ont donné un grand coup de pied dans la fourmilière des procedurals pour les déloger du petit écran et révolutionner le format feuilletonnant au milieu des années 2000. En cette ère de Peak TV post-Breaking Bad, le twist a encore adopté une forme différente et évolué en fonction des nouveaux modes de consommation : le binge-watching.

Sur les plateformes de streaming, qui ajoutent au minimum une saison à leur catalogue par acquisition, c’est le cliffhanger qui paie au-delà du twist. Il faut garder l’abonné en haleine à chaque épisode pour le convaincre d’effectuer un visionnage boulimique de la saison en cours ; et donc de poursuivre son abonnement. Certaines séries adoptent le twist avec une nouvelle vision, comme 13 Reasons Why et sa narration en sens inverse qui nous secouent les tripes à chaque fois que Clay lance une cassette, révélant la crasse inattendue endurée par Hannah.

Si de nos jours le twist est trop souvent utilisé à mauvais escient, principalement pour relancer une série à bout de souffle, il a encore de beaux jours devant lui. Ne serait-ce que pour ses coups d’éclat comme dans Star Trek : Discovery, témoignage d’inventivité et de créativité en ébullition chez les scénaristes du show qui se permettent tout, mais pas n’importe quoi. Longue vie et prospérité aux twists et à ses effets curatifs sur le symptôme de saturation des innombrables séries à suivre.

En France, Star Trek : Discovery est diffusée tous les lundis en US+24 sur Netflix.