Les Nouvelles Aventures de Sabrina est une série sur la soumission féminine

Les Nouvelles Aventures de Sabrina est une série sur la soumission féminine

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Par Marion Olité

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Et comment on en sort.

Mise en ligne le 5 avril dernier, la deuxième partie des Nouvelles Aventures de Sabrina vient conclure une saison fun, divertissante et particulièrement ancrée dans les préoccupations sociétales, voire philosophiques, actuelles. Son univers fantastique en fait, comme Buffy en son temps, un parfait cheval de Troie pour explorer des thématiques féministes qui passeraient beaucoup moins bien sans ce joli vernis pop.

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Le message féministe de Sabrina peut paraître évident : les femmes vivent seules (autant la tribu Spellman que Madame Satan), sont dotées de pouvoir, très fortes moralement, ont de la repartie, mènent les hommes par le bout du nez, et n’hésitent pas à torturer à l’occasion ceux qui semblent vraiment irrécupérables. Pourtant, cette première saison des Nouvelles Aventures de Sabrina – composée de deux parties – raconte à sa façon une histoire de la soumission féminine.

Être ou ne pas être (soumises)

L’arc narratif de la première partie, diffusée par Netflix en octobre 2018, nous présentait Sabrina Spellman, jeune femme âgée de 16 ans, mi-sorcière, mi-humaine, face à un choix compliqué : accepter son Baptême obscur, qui fera d’elle une sorcière à part entière et lui offrira les pouvoirs qui vont avec, ou y renoncer. Dans le premier cas, elle doit signer son nom dans le Livre de la Bête, et se soumettre au Seigneur Obscur, c’est-à-dire choisir de renoncer à sa liberté. Sabrina s’engagerait alors à obéir à tous les ordres donnés par le Satan ou ceux de toute autorité le représentant, de lui donner son esprit, son corps, son âme. Dans un premier temps, elle refuse, et s’enfuit de son baptême. Ce qui donnera lieu à un procès retentissant à l’épisode 3. Au passage, elle met en danger la position de ses tantes dans l’Église de la Nuit, et ses amis mortels, qu’elle veut protéger à tout prix, se retrouvent dans la ligne de mire des forces maléfiques, que Sabrina est censée servir. Une situation pour le moins paradoxale.

Mise sous pression par son entourage, harcelée par le Seigneur Obscur lui-même, influencée par Mme Wardwell, professeure en qui elle a confiance mais qui est en fait le bras droit sur Terre de Satan, Sabrina finit par céder en toute fin de saison 1, pour bénéficier de pouvoirs qui lui permettront de sauver Greendale de la fureur de 13 sorcières. Elle a eu beau tenter de trouver des compromis durant toute cette première saison, elle se retrouve à choisir entre liberté et pouvoir, comme si une femme ne pouvait pas prétendre aux deux.

On lui fait croire qu’en se soumettant à la volonté de Satan, elle gagnera en pouvoir ce qu’elle perd en liberté. Pourquoi continuer à se battre, s’aliéner ses amis et sa famille, ne se sentir vraiment à sa place nulle part quand il suffit de signer ce livre pour être libérée de tous ces dilemmes et gagner en pouvoirs magiques ? Le système de récompense est particulièrement pervers… et imparable. Et en sous-texte, la série nous dit que la vraie nature de Sabrina, celle de sorcière, exige d’être soumise au Seigneur Obscur. Les Nouvelles Aventures de Sabrina cacherait finalement un discours sexiste et essentialisant, c’est-à-dire qui postulerait qu’il est dans la nature des femmes d’être soumises ?

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La deuxième partie, mise en ligne sur Netflix le 5 avril dernier, poursuit cette réflexion sur la soumission féminine, à visage de moins en moins couvert. Après avoir signé son nom dans le Livre de la Bête, Sabrina embrasse sa nature de sorcière, délaissant ses amis mortels et le lycée de Baxter High pour suivre les cours de l’Académie des arts invisibles. Exit Harvey, bonjour Nick, le petit ami warlock. Si dans un premier temps, la jeune femme savoure ce qu’elle croit être son identité, elle déchante rapidement, faisant face à des traditions sexistes – comme l’élection du Dominant de la promotion, réservé aux hommes – mais on découvre aussi que Père Blackwood, le représentant du Seigneur Obscur au sein de l’Église de la Nuit, organise des soirées “boy’s club” pour encourager les sorciers à être ambitieux et à servir ses intérêts. Grand misogyne devant l’éternel, il finira même par développer une doctrine ouvertement sexiste, l’Église de Judas. Ce grand méchant de la partie II serait presque l’arbre qui cache la forêt. S’il touche à son but, c’est aussi parce que les sorciers et sorcières ne réagissent pas, dans un premier temps, aux signes précurseurs de sa montée en puissance. Car chacun·e y trouve son intérêt.

Les avantages de la soumission

Avant de se retrouver complètement soumise à Blackwood, qui la transforme après leur mariage en femme robot obéissant à ses ordres, Zelda a fait le choix de se marier avec lui, après avoir été son amante pendant longtemps. Elle explique à sa sœur, Hilda, qu’elle ne l’épouse pas par amour, contrairement aux apparences : “Je n’aime pas Faustus. Je le respecte. Je vais accepter sa demande en mariage, pas par amour, mais pour le pouvoir. Nous allons bien ensemble. Je l’élèverai en étant à ses côtés, et cela va aider à redorer le blason de notre famille. Sans oublier de chercher ma gloire personnelle.”

Cette quête du pouvoir et de la gloire passe par la soumission de Zelda, comme le prouvent les échanges de vœux de mariage entre elle et Blackwood, pour le moins orientés : “Sœur Zelda, au nom de Satan, vous me devrez respect, obéissance et soumission. Comme Lilith servait Satan, vous me servirez aussi.” En échange d’une hypothétique récompense que la gloire de son futur mari retombe un peu sur elle Zelda est prête à se soumettre à cet homme. Elle n’est pas le seul personnage féminin à tomber les deux pieds dans le piège de la soumission, tendu par le système patriarcal de l’Église de la nuit, en espérant que le sacrifice de sa liberté ne sera pas vain. Prudence Night, fille non-reconnue par Blackwood, procède au même calcul, quand elle accepte de devenir le bras droit de son père.

Après avoir goûté au pouvoir que cela lui procure, elle fait l’expérience amère du revers de la médaille, comprenant que sa condition de femme l’empêche d’être considérée comme une égale par son propre père et d’obtenir son respect. Prudence mettra longtemps à réaliser l’aliénation dans laquelle elle est tombée. Cherchant désespérément l’approbation de son père (et par la sa légitimité) mais aussi la gloire personnelle, elle obéit à ses ordres les plus injustes et sexistes, celui-ci lui promettant des “dérogations” particulières qui feront qu’elle sera la seule femme puissante de l’Église de Judas. Paradoxe suprême : ces personnages féminins acceptent – dans un premier temps du moins – de se soumettre aux hommes, donc de perdre leur libre arbitre, dans l’espoir d’être traitées par la suite avec plus d’égards que leurs consoeurs.

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La promesse d’une récompense, c’est aussi ce qui a perdu la première des femmes, Lilith. Cette deuxième partie nous révèle qu’il s’agit en fait de celle que l’on appelait Madame Satan, et qui avait pris l’apparence de la professeure préférée de Sabrina, Mrs Wardwell. Dans l’épisode 2 de la partie II, l’histoire de Lilith nous est révélée. Exclue du jardin d’Eden par Adam pour avoir refusé de se soumettre à son faux Dieu et à lui, elle rencontre Lucifer, également déchu sur Terre. “Je n’étais pas seulement la première femme vois-tu. J’étais la première sorcière.” explique-t-elle à Sabrina. Elle le guérit et va lui accorder sa soumission. Pour quelles raisons, lui demande alors Sabrina, qui a elle-même interprété le personnage de Lilith dans une pièce de théâtre un peu plus tôt dans la saison ? “Il m’a fait des promesses. Si je le servais avec dévotion, il m’élèverait au rang de Reine des Enfers.” (Partie II, épisode 9), répond-elle. Visiblement, la récompense s’est fait attendre pour Lilith, qui des années et des années plus tard, est restée une servante, et apprend finalement que Lucifer ne l’estime pas digne de devenir sa Reine des Enfers. Il a choisi Sabrina pour remplir ce rôle. “Pourquoi vous le servez encore aujourd’hui ?” demande alors la jeune sorcière ? “Je n’ai connu que cela” lui répond Lilith. La résignation est passée par là, ainsi que la peur de la liberté. “Quelle raison terrible et faible”, lance Sabrina.

“Il n’y a rien d’autre à faire que de te soumettre.” Lucifer à Sabrina

Il y a quelque chose de terrifiant à contempler l’étendue infinie des possibilités qu’offre la liberté, tandis que la soumission apporte un confort, celui de ne plus avoir à faire de choix. Le mécanisme que décrit Lilith est aussi celui que Manon Garcia appelle dans son livre passionnant, “On ne naît pas soumise, on le devient”, l’amour-abdication. Cette tentation des femmes amoureuses à se dévouer entièrement à l’autre. Lilith explique qu’elle a passé des jours à soigner Lucifer, ange déchu dont les ailes avaient été arrachées. Elle en est tombée amoureuse. Or, notre conception de l’amour est genrée et résulte d’une histoire patriarcale, que la religion fait débuter précisément par l’histoire de Dieu, Adam, Eve, Lilith… “L’amour, pour les femmes, est une forme particulièrement profonde de soumission : l’amoureuse cherche souvent à se diluer dans l’homme qu’elle aime. Transformant cet homme en une sorte de dieu, elle prend plaisir à le servir et gagne un sens d’elle-même dans son renoncement à soi” écrit la philosophe.

Quelle est la première personne masculine à laquelle une femme va être confrontée au cours de sa vie et qu’elle va avoir tendance à déifier ? Le père. Révélation ultime de cette partie II des Nouvelles Aventures de Sabrina : Lucifer est en fait le père biologique de la jeune sorcière. Et il a décidé que sa fille serait donc sa reine, ce qui sous-entend un inceste. Le sujet tabou est plutôt évacué et édulcoré, notamment par le fait que Satan est incarné par un acteur objectivement assez sexy, à qui l’on donnerait vaguement le début de la trentaine en âge mortel. Là encore, le vernis pop sert à couvrir une écriture subversive, explosive, radicale.

Sabrina, l’insoumise

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La saison s’achève sur le face-à-face tant attendu entre les deux. Lucifer lui annonce ses plans : qu’elle ouvre la porte des Enfers, et règne sur un nouveau monde à son image, pour l’éternité. Sabrina l’insoumise refuse. “Tu m’as dit non à toutes les étapes de ton 16e anniversaire, et pourtant, voici où nous en sommes”, ironise MorningStar. Voyez-vous, il a décidé de son destin, qui est donc déterminé à l’avance, à coups de prophéties. Sabrina représente aussi ce combat contre le déterminisme. Son destin est d’être cette reine soumise à Lucifer, qui ouvrira les portes de l’Enfer. Depuis le début, elle s’y refuse, tente des compromis, prend des chemins de traverse. Au final, elle trouve la clé pour vaincre son père. Lui faire croire qu’elle est soumise, comme dans l’épisode 3 de cette deuxième partie, où se joue un combat psychologique. Après avoir refusé de voler un bête chewing-gum pour lui prouver sa soumission, Sabrina est tourmentée par Satan et se retrouve dans une impasse. Il lui demande de faire pire puisqu’elle a refusé une première fois, la voilà sur le point d’incendier son lycée. Au dernier moment, il éteint le feu, car c’est l’intention qui compte plus que l’acte. Lucifer est ainsi persuadé d’avoir gagné l’allégeance de Sabrina car elle était prête à commettre ce crime. Sauf qu’elle avait compris sa façon de penser et savait qu’il l’arrêterait avant.

Pour se débarrasser du Seigneur Obscur, elle va donc de nouveau lui faire croire qu’elle s’est soumise de son plein gré à sa volonté. Le fait qu’elle consente à sa propre soumission lui paraît très important, ce qui est assez contradictoire, puisqu’il dit plus tard à Sabrina : “Le choix, ça n’existe pas. La seule chose qui existe, c’est mon désir.” Mais il a tout de même besoin de voir sa fille accepter “son destin” avec le sourire. Pour contrer ce père tout-puissant, la jeune sorcière fera appel à toutes les bonnes volontés. Son triomphe passe par une alliance féminine avec Lilith et le sacrifice de son petit ami Nick, qui lui lance avant d’être possédé par Lucifer : “Tu m’as appris à aimer”. Après avoir eu connaissance d’une prophétie qui faisait d’elle la Reine des Enfers, Sabrina avait renoncé à ses pouvoirs. La nouvelle reine des Enfers, Lilith, les lui redonne poétiquement, par un baiser sur le front. “Maintenant, tu as le pouvoir et la liberté. Puisses-tu ne plus jamais y renoncer”.

Tandis que Lucifer se retrouve en Enfer avec Lilith, emprisonné dans le corps de Nick, Faustus Blackwood est en fuite avec ses jumeaux. L’Église de la nuit et sa doctrine patriarcale ne sont plus. Sabrina Spellman a montré la voie vers la liberté sans perdre ses pouvoirs. Elle a exposé le jeu de dupe de la soumission aux hommes. À quoi ressemblera la saison 2 ? Les Spellman vont-elles reconstruire leur Coven en suivant la doctrine de Lilith ? Les possibilités sont infinies quand on retrouve son libre arbitre.

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