À la croisée des mondes, la magie de Philip Pullman opère enfin sur nos écrans

À la croisée des mondes, la magie de Philip Pullman opère enfin sur nos écrans

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© HBO/BBC

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Par Delphine Rivet

Publié le

La série était peut-être le seul endroit où l'œuvre de l'auteur pouvait survivre au-delà des livres.

Échaudé·e·s par une tentative d’adaptation au cinéma qui s’est révélée infructueuse (et avortée, puisque le film The Golden Compass de 2006 n’a pas eu de suite), les fans de la trilogie de Philip Pullman attendaient au tournant cette version, en série cette fois, d’À la croisée des mondes. Les envies de nouvelle saga de fantasy à contempler étaient bien fortes, même chez celles et ceux qui n’ont pas lu les romans.

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L’histoire est moins violente et sexy que celle de Game of Thrones, mais tout de même suffisamment sombre et épique pour passionner le plus grand nombre. C’est en tout cas la promesse que nous faisait le mariage de raison entre HBO et BBC qui a donné naissance à cette adaptation. La première saison, dont nous avons pu voir quatre épisodes sur les huit qui la constituent, vient d’être lancée ce 5 novembre sur OCS, et une saison 2 a d’ores et déjà été commandée.

Dans une Angleterre dystopique, la jeune Lyra Belacqua (Dafne Keen, révélée dans Logan), une orpheline placée par son oncle Lord Asriel (James McAvoy) au Jordan College, coule des jours heureux jusqu’à la disparition soudaine de son camarade Roger. Avec l’aide de son inséparable daemon Pantalaimon, elle va partir dans une quête pleine de dangers et d’improbables amitiés pour retrouver Roger. Elle découvre au passage l’existence de la Poussière, une substance magique très convoitée et qui pourrait renverser l’ordre des choses. Lancés à ses trousses, les agents du Magistérium, le bras armé du régime théocratique créé par l’Église, vont tout faire pour l’empêcher d’atteindre son but. La mystérieuse Mrs. Coulter (Ruth Wilson) va, un temps, la prendre sous son aile. Mais sa bienfaitrice a bien des choses à cacher…

Réputée inadaptable, tant elle est riche en intrigues et en mythologie, l’histoire d’À la croisée des mondes est ambitieuse, mais la série est sans doute le médium le plus approprié pour la raconter. La temporalité, émancipée des contraintes étriquées du format ciné, lui permet d’étendre son récit tentaculaire, sans trop se presser, sans négliger les détails et sans bâcler les personnages. Deux saisons commandées, c’est donc au moins la garantie que la série ira plus loin que le film et couvrira ainsi les deux premiers tomes de la trilogie. Un défi pas totalement insurmontable, mais néanmoins de taille.

Après avoir vu ces quatre premiers épisodes, une évidence s’impose : la série, fidèle à l’œuvre originale, semble dévouée à satisfaire les fans de la trilogie de Pullman. Il se passe beaucoup de choses durant ces quatre premières heures (bien que les épisodes 2 et 3 soient moins denses) mais, paradoxalement, pour peu qu’on n’ait pas lu les romans, on nous laisse remplir les blancs. Mieux vaut donc avoir préparé quelques fiches avant ou, puisqu’il faut bien lui trouver une utilité, le film peut s’avérer une aide précieuse.

Blague à part, si la compréhension de l’univers et sa mythologie relève parfois du challenge pour le ou la néophyte, le résultat n’en demeure pas moins magique. Un récit aussi extravagant et épique réclame une production à la hauteur de ses ambitions. Un contrat parfaitement rempli par À la croisée des mondes qui, comme son nom l’indique, respecte sa promesse d’un voyage en terres inconnues — même si le générique laisse deviner un monde plus vaste que ne le dévoilent ces quatre premiers épisodes.

(© HBO/BBC)

Lors de sa parution à la fin des années 1990, la trilogie avait essuyé certaines critiques de la part d’organisations chrétiennes, qui la qualifiaient de brûlot antireligieux. Une dimension qui n’est qu’effleurée dans cette première moitié de saison, même si l’on prend bien conscience de l’emprise totalitaire de l’Église sur toute la société. Le Magistérium, dont l’autoritarisme ne fait aucun doute, n’a pas encore montré l’ampleur de la menace qu’il représente. Il est craint par tous et toutes, mais on ignore encore pourquoi il inspire tant de terreur. La plupart des dialogues entre ses membres concernent Lyra et la Poussière et, bien qu’on soupçonne ces derniers d’être des fanatiques religieux, il n’y a guère que leur apparente rigueur morale qui les trahisse.

Parmi les autres thématiques à peine suggérées (mais qu’on espère que la série creusera davantage), il y a l’idée d’être une femme évoluant dans un monde d’hommes. Si Lyra croise autant la route d’amis que d’ennemis — et même si les premiers ont une fâcheuse tendance à vouloir décider ce qui est le mieux pour elle — elle fait ses choix toute seule. Héroïne courageuse, impétueuse et déterminée, avec un sens aigu de la justice et dotée d’une intelligence supérieure à celles de bien des adultes qui l’entourent, elle tient souvent tête aux hommes qu’elle rencontre. Elle sait notamment être une fine calculatrice lorsqu’il s’agit de convaincre l’aéronaute et arnaqueur chevronné Lee Scoresby (Lin-Manuel Miranda).

Mais si, à l’avenir, la série n’a pas peur d’aller plus loin dans le commentaire politique (ce pour quoi les livres sont aussi réputés), Lyra pourrait devenir une vraie figure féministe, se dressant face au patriarcat et aux préceptes oppressants des religions d’État. La série tâtonne encore sur ces thématiques et concentre son énergie sur le “world building”, ce qu’on conçoit aisément. À la croisée des mondes est certes un peu timide et cherche à respecter presque religieusement l’œuvre originale, mais elle livre un spectacle dépaysant et fantastique, porté par un cast tout aussi impeccable.