Les comédies de loseuses redonnent le sourire à Séries Mania

Les comédies de loseuses redonnent le sourire à Séries Mania

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© UKTV / RTE One

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Par Delphine Rivet

Publié le

Filles perdues, cheveux gras... mais aussi crise de la trentaine, jobs ingrats, drama et questionnements existentiels.

Cette année encore, Biiinge bat le pavé Lillois à l’occasion du Festival Séries Mania. Et si les dramas tiennent le plus souvent le haut de l’affiche, souvent considérés (à tort) comme le genre “noble”, on aurait tort de négliger les comédies. Cantonnées à des formats plus courts, généralement une vingtaine de minutes, les meilleures d’entre elles recèlent en leur cœur une part de noirceur, de violence ou de mélancolie. Bref, elles ne sont pas là que pour nous faire marrer.

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Pour cette édition 2019, la deuxième à se tenir dans la métropole nordique, le festival a organisé une Nuit des Comédies qui s’est tenue le samedi 23 mars. À l’issue de cette semaine de festivités, c’est un jury composé de lycéens et lycéennes de la région qui décernera un prix à la meilleure des sept présentées lors de cette projection. Et les nommées sont : Arde Madrid (Espagne), Hangs Up (Royaume-Uni), M’entends-tu ? (Québec), Miracle Workers (US), Women on the verge (Royaume-Uni et Irlande), The Other Two (US) et Sally4Ever (US et Royaume-Uni).

Elles sont toutes très différentes, en particulier Arde Madrid, véritable ovni en noir et blanc que le public n’aura pas l’occasion de découvrir autrement que sur le festival puisqu’elle n’a, à ce jour, pas été achetée par un diffuseur français. Les départager n’a pas été aussi compliqué que ce qu’on avait imaginé et, selon nous, trois d’entre elles se distinguent. Peut-être parce qu’on aime les histoires de femmes. Peut-être aussi parce qu’on a une affection certaine pour les losers, surtout quand ce sont des loseuses. 

M’entends-tu ?, créée par Florence Longpré

© Télé-Québec

C’est notre coup de cœur de cette sélection. Un petit bijou bien planqué et qui se fait discret à côté de la clinquante Miracle Workers qui réunit à l’écran Daniel Radcliffe et Steve Buscemi. On aurait tort de sous-estimer M’entends-tu ?, comédie crue et mordante venue du Québec. Sans concession avec son trio d’héroïnes, elle raconte le quotidien de trois copines en galère, Ada, Fabiola et Caro.

Portrait au vitriol de jeunes femmes qui ont du mal à joindre les deux bouts et viennent d’un milieu défavorisé, mais qui parviennent à tirer le meilleur de leur situation, M’entends-tu ? est une comédie à vif, et brute de décoffrage. Sous la chronique, franchement drôle et jamais misérabiliste, se glisse des moments plus dramatiques. Car si ces filles se chambrent entre elles, chantent et rient à gorge déployée c’est aussi parce que la vie ne les a pas épargnées. 

Ada, la grande gueule de la bande, n’a pas de job, se prostitue occasionnellement contre de l’argent ou des faveurs, et s’est vue assigner des séances chez la psy pour gérer sa colère. Fabiola, elle, bosse dans un fast-food du coin, vit avec sa mère handicapée et s’occupe de sa petite nièce souvent abandonnée par sa maman. Caro, enfin, ne parle presque pas, mais elle adore lire, tout le temps, pour s’échapper d’un trauma qu’elle a essayé d’enterrer, sans succès.

On prévient quand même, mieux vaut la voir avec des sous-titres (si elle arrive un jour sur une chaîne française) : l’accent québécois des formidables actrices, Florence Longpré, Ève Landry et Mélissa Bédard, est assez hardcore. On ne sort pas indemne de ce visionnage, et on s’attache très vite aux héroïnes de M’entends-tu ?. La vie a peut-être fait d’elles des loseuses, mais dans nos cœurs, elles ont déjà tout gagné.

Women on the verge, co-créée par Sharon Horgan et Lorna Martin

© UKTV / RTE One

Adapté du livre de la journaliste Lorna Martin, Women on the verge of a nervous breakdown (littéralement : “femmes au bord de la crise de nerfs”), cette comédie de meufs assez classique est, certes, bien moins marquante et audacieuse que M’entends-tu ?, mais elle ne démérite pas pour autant.

Si le traitement est très différent de celle-ci, exit le discours social, elle choisit elle aussi de poser son regard sur trois femmes qui se débattent dans leur quotidien. Ici, il est davantage question de crise de la maturité, de désir d’émancipation et de “mais qu’est-ce que je fous là et qu’est-ce que j’ai fait de ma vie ?!”

Les trois héroïnes, Laura, Katie et Alison évoluent dans un milieu privilégié, mais à l’approche de la quarantaine, le confort dans lequel elles vivent est le cadet de leurs soucis : et l’épanouissement personnel dans tout ça ? Et l’ambition professionnelle ? Quand toutes les personnes autour d’elles commencent à se caser et semblent avoir une vie “en ordre”, ces trois femmes se demandent : “et moi alors, c’est quand mon tour ?”

Sharon Horgan était sans conteste plus inspirée quand elle a co-créé Catastrophe, petite merveille d’humour sur fond de crise familiale et de charge mentale. Il n’en reste pas moins que Women on the verge nous sert trois formidables actrices sur un plateau, Kerry Condon, Nina Sosanya et Eileen Walsh, et trois portraits de femmes qui se prennent de plein fouet les attentes et pressions d’une société qui nous promet qu’on peut tout avoir. Et c’est tellement épuisant d’essayer de s’y conformer !

The Other Two, créée par Chris Kelly et Sarah Schneider

© Comedy Central

Direction Los Angeles et son culte de la célébrité pré-fabriquée pour cette comédie américaine diffusée sur Comedy Central, et visible en France sur cette même chaîne. Chase Dreams (Case Walker) est une super star émergente de 13 ans, le nouveau Justin Bieber de la pop, après avoir percé grâce à une vidéo Youtube devenue virale. Rapidement propulsé au firmament, il fait s’évanouir les groupies partout où il va.

Mais ce qui nous intéresse ici, ce sont les “deux autres” qui l’entourent, ceux qui donnent son titre à la série. Son frère, Cary (Drew Tarver), aspirant acteur enchaînant les castings pourris et très attiré par son coloc soit disant hétéro, et sa sœur, Brooke (Heléne Yorke), fille paumée qui enchaîne les jobs pour lesquels elle n’est pas franchement douée. Les deux aînés de Chase vivent dans son sillage, hors cadre, et c’est ça qui est drôle… et super touchant.

Derrière le faste des cérémonies hollywoodiennes, des soirées promo bling-bling arrosées de champagne et des lancements d’album à bord d’un avion rempli de fans à peine pubères, il y a la galère de Cary et Brooke qui tentent d’exister dans l’ombre d’un petit frère qu’ils adorent pourtant. Ils sont aussi sangsues que protecteurs.

The Other Two est évidemment très drôle et attachante, mais elle montre aussi très bien l’amertume de ses deux protagonistes qui ont l’impression de travailler dur pour “devenir quelqu’un”, là où leur frangin, dont la vie est contrôlée jusqu’au moindre (faux) date, semble avoir le monde à ses pieds sans avoir fourni le moindre effort. C’est mordant, gentiment cynique, bref : on adore.