Avec Grégory, Netflix nous offre le premier true crime à la française

Avec Grégory, Netflix nous offre le premier true crime à la française

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Par Delphine Rivet

Publié le

Et pour cette grande première, quoi de mieux que la plus célèbre affaire criminelle du pays ?

C’est une histoire qui a secoué et passionné la France. Une saga criminelle qui avait tous les ingrédients pour nous tenir en haleine à coups de flashs dans les JT et de scoops en couverture des journaux. Trente cinq ans après les faits, elle fascine encore. Gilles Marchand, scénariste du thriller psychologique Harry, un ami qui vous veut du bien et réalisateur de Qui a tué Bambi ? nous immerge de façon méticuleuse dans la célèbre affaire du petit Grégory. En cinq épisodes, il convoque devant sa caméra des témoins de l’époque et partage une flopée d’archives, dont certaines inédites, qu’il a mis six mois à rassembler.

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Nous sommes le 16 octobre 1984, dans les Vosges. Une brigade de gendarmes retrouve le petit corps sans vie de Grégory Villemin, 4 ans, dans les eaux de la Vologne. L’enfant a été ligoté avant d’être jeté dans la rivière. Mais les circonstances exactes de sa mort restent encore aujourd’hui un mystère. La France n’oubliera jamais le visage souriant du garçon, dont la photo fait rapidement la une de tous les journaux, et pour toujours synonyme d’un crime affreux. Autour de ce meurtre se cristallisent les tensions, les rancœurs et les secrets d’un clan, soudé dans le mutisme : les Villemin et les Bolle. Et, comme dans le film d’Henri-Georges Clouzot, un corbeau terrorise tout ce petit monde en le faisant chanter par téléphone ou à travers des lettres menaçantes. Les nombreux rebondissements vont déchirer cette famille, de fausses accusations en tentative de suicide, jusqu’à l’assassinat d’un des suspects par le père de Grégory. 

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Ce qui frappe dans cette enquête c’est, d’une part, les failles de l’appareil judiciaire et policier à une époque où le relevé d’empreintes ADN n’était pas d’usage, mais aussi l’emballement médiatique sans précédent. On y découvre des journalistes zélés, piétinant sans vergogne les limites de la décence. Comme le photographe de Paris Match, Jean Ker, qui devint, selon ses dires, un proche de la famille Villemin, s’assurant ainsi quelques scoops et qui assume sans détour avoir fait du “racket” auprès d’eux pour mettre la main sur leurs albums photos. Mais ce que Grégory a mis en évidence, c’est le sexisme révoltant d’un des principaux acteurs de l’enquête, le commissaire Jacques Corazzi, envers Christine Villemin, la mère du petit garçon assassiné. Dans l’épisode 3, le policier, chargé de l’enquête à partir de février 1985, se remémore sa visite chez les parents de Grégory :

“La première fois où je les vois, c’est vrai que j’ai une double impression. Le couple est là, Jean-Marie Villemin est effondré, c’est quelqu’un qui est complètement… comment dire… on est de tout cœur avec lui quoi. Par contre, avec elle, on a moins d’atomes crochus disons. Pourquoi, je ne sais pas. Elle a une tenue… elle est en noir, d’accord. Mais elle a une tenue qui est plaisante disons. Elle a un pull extrêmement collant. Bon, dans d’autres circonstances, on est presque là à lui faire la cour quoi. Je me dis tiens, elle est moins… elle est presque agréable à regarder, je veux dire que pour un homme je trouve qu’elle est pas mal quoi. Moi j’aurais vu quelqu’un d’éploré, de pas coiffé, d’habillé de manière négligée, c’est pas le cas. Bon ça fait pas un coupable, bien entendu, mais on a un doute, on a quelque chose qu’on veut élucider là.”

Il ajoutera plus tard l’avoir trouvée “excitante”. Parce qu’elle ne correspondait pas à l’idée qu’il se faisait d’une mère endeuillée, la voilà tout en haut de sa liste des suspects. Elle n’a pas le visage déformé par la douleur ? C’est qu’elle n’est pas vraiment affectée ! Elle est bien habillée ? C’est forcément pour séduire et s’en tirer à bon compte ! Elle pleure et s’évanouit à l’enterrement de son enfant de 4 ans sauvagement assassiné ? Elle en fait trop, c’est du cinéma ! Il note, de façon totalement subjective, que parfois, le seul à pleurer lors de l’enterrement d’une victime de crime, c’est le meurtrier. Une appréciation très personnelle et sans le moindre fondement scientifique.

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Difficile d’écouter ça sans avoir la nausée, et les abonné·e·s à Netflix ne s’y sont d’ailleurs pas trompés : suite à la mise en ligne du docu-série, on a assisté à une levée de boucliers sur les réseaux sociaux, dénonçant le traitement honteux de cette mère par le commissaire. Christine Villemin a un temps été suspectée d’avoir tué son propre enfant. Acculée par la vindicte populaire et les soupçons qui planaient sur elle, elle a fait une tentative de suicide. Puis, alors enceinte de son deuxième enfant, elle entame une grève de la faim. Elle sera enfin innocentée, neuf ans après, pour absence de charges. Pourtant, aujourd’hui encore, la deuxième occurrence lorsque l’on tape son nom dans la barre de recherche sur Google est “Christine Villemin coupable”.

Grégory est une plongée fascinante et glaçante dans cette incroyable saga. Un true crime à la française qui a bien intégré tous les codes du genre inaugurés par Making a Murderer, jusqu’au générique qui semble fait du même moule. La mise en scène joue à fond la carte du lugubre, de manière parfois trop appuyée : dès qu’on fait mention de l’auteur des lettres anonymes menaçantes, on voit littéralement un corbeau, lâché dans un des lieux clés de l’affaire, comme la chambre de Grégory, reconstituée au détail près. Les intervenant·e·s sont plongé·e·s dans la pénombre de leur bureau, éclairé·e·s par un spot. Il y a comme un air de Faites entrer l’accusé dans cette théâtralité des décors. Pour le reste, la formule est sobre, mais diablement efficace : pas de commentaires en voix off, un déluge d’archives, et des témoins de l’époque qui se souviennent.

Le documentaire passe au crible les nombreux errements judiciaires et médiatiques de cette affaire qui a défrayé la chronique à l’époque. L’assassinat du petit Grégory n’a pas fini de faire couler de l’encre puisqu’on ignore encore aujourd’hui qui a commis ce crime sordide, et qui était le corbeau. Des points communs que Grégory partage avec Making a Murderer et qui réveille les voyeurs et détectives qui sommeillent en nous. Car, comme le notait le Huffington Post, les internautes se sont emparés de l’enquête et chacun y va désormais de sa petite hypothèse. La justice, quant à elle, n’a toujours pas dit son dernier mot.