Making a Murderer, saison 2 : la tentation de la dramatisation face à la machine judiciaire

Making a Murderer, saison 2 : la tentation de la dramatisation face à la machine judiciaire

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Par Delphine Rivet

Publié le

Une saison 2 qui interroge sur la pertinence de son parti pris, bien plus sensationnaliste, mais révolte toujours autant face à une institution kafkaïenne.

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C’est presque devenu un lieu commun, mais si cette saison 2 de Making a Murderer assène bien une vérité, c’est que la machine judiciaire américaine broie des gens. C’était déjà le cas dans sa première, en 2015, et ce sentiment n’est que renforcé trois ans après. Dix nouveaux épisodes qui se penchent sur l’après, mais se demandent aussi : “Et maintenant, on fait quoi ?” On sort de ce visionnage essoré·e, avec l’impression de s’être tapé la tête contre un mur encore et encore.

Si la masse d’informations est difficile à ingurgiter, a fortiori quand on ignore presque tout des protocoles de la justice outre-Atlantique, de ses raccourcis, ses connivences, ses démarches qui peuvent rendre dingue, c’est surtout une résolution qu’on a du mal à digérer. Durant ces dix dernières années, Steven Avery et Brendan Dassey, les deux hommes condamnés pour le meurtre de Teresa Halbach, n’ont eu de cesse de clamer leur innocence et de faire appel de la peine prononcée.

Et en effet, cette saison 2 a quelque chose de répétitif. On ne saurait trouver meilleure allégorie de cette guerre des nerfs entre la défense et l’accusation : un pas en avant, trois pas en arrière, depuis une décennie. Steven Avery est philosophe. Depuis sa cellule de prison, l’homme désormais âgé de 56 ans affiche une étonnante sérénité face aux événements, et dit se battre pour rétablir la vérité, aussi bien pour lui que pour Teresa Halbach.

Deux héroïnes mènent la charge

Plus encore qu’en saison 1, cette nouvelle salve d’épisodes de Making A Murderer flirte avec la dramatisation du réel. Le documentaire devient thriller, puis enquête policière. Une démarche qui peut poser certains problèmes, mais nous y reviendrons. Ce qui frappe ici, c’est que la focalisation se porte sur deux nouveaux protagonistes (en plus du clan Avery/Dassey, bien entendu). Deux femmes, Kathleen Zellner et Laura Nirider, qui deviennent les héroïnes de ce récit effroyable. La première est la nouvelle avocate de Steven Avery, une killeuse du barreau, spécialisée dans les condamnations à tort. Lorsqu’on la rencontre, elle annonce la couleur :

“Je n’ai qu’un seul but, celui de casser la condamnation de Steven Avery… S’il est coupable, alors j’échouerai.”

Déterminée, méthodique, d’un calme olympien, Kathleen Zellner semble inébranlable. Les experts en balistique, en incinération de corps, en taches de sang ou en prélèvement d’ADN se succèdent dans son bureau. Elle a deux objectifs : trouver des preuves que l’enquête a été bâclée et les preuves manipulées, et proposer à l’accusation un autre suspect. Ses investigations la conduiront à mener des expériences pas toujours ragoûtantes mais dignes des meilleures séries policières.

L’autre héroïne de cette saison 2, c’est Laura Nirider, elle aussi avocate, et qui défend les intérêts de Brendan Dassey. Elle est professeure de droit et dirige le Center on Wrongful Convictions of Youth, une firme se battant pour les jeunes injustement accusés. Moins présente sur le terrain que sa consœur Kathleen Zellner, sa méthodologie est plus analytique. Son but : démontrer que la confession de Brendan lors de sa garde à vue lui a été arrachée, sans considération pour son jeune âge au moment des faits (il avait 16 ans), ni pour son retard intellectuel (il aurait un QI de 70). C’est sur cette seule confession que le jeune homme a été condamné pour complicité de meurtre au premier degré, mutilation de cadavre et agression sexuelle au deuxième degré.

La dramatisation du réel en question

Cette saison 2 de Making a Murderer, en choisissant de faire de ces deux femmes déterminées des allégories de la vertu, de la probité et de la quête de vérité, donne à son récit deux figures héroïques qui manquaient à la première partie du documentaire. Et justement, ce choix conscient fait subtilement basculer la série dans quelque chose d’un peu plus binaire : on abandonne certains éléments objectifs pour proposer un discours plus orienté vers le divertissement. Est-ce que c’est mal ? Non, évidemment. Après tout, le titre du docu signifie littéralement “fabriquer un meurtrier”, sous-entendant que l’accusation a créé un récit qu’elle entend bien imposer au jury. On ne devrait donc pas être surpris de voir la série utiliser à son tour cette forme de récit.

En réalité, tout dépend de ce que l’on attend de Making a Murderer. La première saison, qui mettait déjà en évidence les nombreux impairs commis par la justice du comté de Manitowoc, flirtait toutefois moins avec la dramatisation du réel. La saison 2, quant à elle, joue avec des codes bien connus de la fiction télé. L’écriture de Laura Ricciardi et Moira Demos semble glisser dans un certain sensationnalisme, laissant ce sentiment, par moments, que notre perception des événements est manipulée. Le fait est qu’entre la diffusion sur Netflix des saisons 1 et 2, Making a Murderer est devenu un véritable phénomène. Et la série documentaire a pleinement conscience de ce statut.

L’Amérique a désormais les yeux braqués sur les procès de Steven Avery et Bredan Dassey, et tout le monde a son avis sur leur innocence ou leur culpabilité. Comme si le pays avait besoin de davantage de division. Ce qui était, au départ, un règlement de compte entre familles est devenu une affaire d’État. Du local au national. Et cette médiatisation joue un rôle essentiel dans ces dix nouveaux épisodes. On soupçonne que c’est ce coup de projecteur qui a finalement décidé Kathleen Zellner d’accepter de défendre Avery, après des dizaines de mails de Sandy Greenman, sa petite amie qui se bat pour lui depuis le début, la suppliant d’y jeter un œil.

C’est aussi pour cette raison que la star de cette série docu s’est attiré les faveurs de beaucoup de femmes à travers le pays. Ce fut le cas de Lynn Hartman, qualifiée de “gold digger” (qu’on peut traduire par “croqueuse de diamants”) par certains médias indélicats, avec qui il a longtemps correspondu. Leur relation, même éphémère, va être largement commentée. On a ici tous les ingrédients d’un bon drama avec de faux airs de soap. Les souffrances de la famille Avery/Dassey font l’objet de séquences interminables, d’aucuns diraient un brin misérabilistes, mais le tout fonctionne. Chaque scène avec les parents de Steven Avery, en particulier, est un crève-cœur. L’affaire devient une course contre la montre pour cet homme et cette femme, vieillissant et à bout de forces, pour qui les longues heures de route jusqu’au parloir sont une épreuve, et qui espèrent juste pouvoir revoir leur fils en liberté avant de mourir.

On peut débattre de l’idée de rendre “divertissant” le calvaire vécu par ces familles, les Avery, les Dassey et le clan de la victime, les Halbach. Et sans doute cette saison 2 aurait-elle mérité d’avoir une vraie conclusion. Les pistes d’autres suspects ne sont pas retenues, nous coupant de facto d’un dernier twist, d’une résolution bienvenue ouvrant sur une potentielle nouvelle enquête. On est peut-être trop conditionné·e·s à attendre d’une série qu’elle finisse par un gros “bang !”. Mais il y a quelque chose qui échappe au contrôle des scénaristes de Making a Murderer : le temps. À l’heure où la saison 2 est diffusée, on ignore toujours ce que l’avenir réserve à Steven et Brendan. La justice est ainsi faite, et le réel n’obéit à aucune règle, il ne peut pas faire les mêmes promesses que la fiction.

Les deux saisons de Making a Murderer sont disponibles sur Netflix.